Une croissance peut en cacher une autre

Anne Barrat

4 minutes de lecture

Netflix oui, Peloton non: ne pas confondre croissance de qualité et hypercroissance. Gérer l’exubérance des marchés avec Hollie Briggs de Loomis Sayles.

Le premier trimestre de l’année a vue des écarts de valorisation tout à fait inhabituels entre les entreprises de croissance de qualité, moins prisées ces dernières années que les actions d’hyper-croissance, c’est-à-dire celles dont le chiffre d'affaires croît de plus 10% de manière consécutive pour chacune des cinq années à venir. Une période intéressante pour Loomis Sayles, qui a fait des valeurs de croissance de qualité une spécialité et le cœur de la génération d’alpha pour toutes ses stratégies actions. Hollie Briggs, VP et Directrice de la gestion des produits pour l'équipe Growth Equity Strategies chez Loomis, Sayles & Company revient sur cette période agitée et faste.

«Un des principaux éléments que nous regardons avant d’investir est la capacité d’une entreprise à produire des free cashflow.»
Comment avez-vous géré l’envolée de certaines actions Growth en ce début d’année?

Notre stratégie en matière d'actions de croissance a toujours été de suivre une discipline stricte en matière d'évaluation.  Nous résistons aux chants des sirènes des marchés étroits, basés sur le momentum, et investissons dans des sociétés de croissance de haute qualité uniquement lorsque l'action de la société se vend avec une décote significative par rapport à notre estimation de la valeur intrinsèque de la société, ou valeur réelle. 

En 2020, après le «krach Covid» du premier trimestre, un nombre relativement restreint d'actions de  qualité médiocre liées au travail à domicile ont réalisé des rendements exceptionnels, bien supérieurs à 100 %. Les attentes intégrées dans ces valorisations de type bulle ont démontré un biais d’appétit pour la nouveauté où les investisseurs ont supposé que la croissance des revenus induite par l'environnement de confinement lié à la pandémie se poursuivrait indéfiniment dans le futur. 

D'après notre expérience, les périodes où le leadership du marché a été concentré de manière similaire dans un groupe restreint d’entreprises sur un thème à la mode sont généralement des précurseurs de points d'inflexion majeurs et de corrections importantes pour ces sociétés à fort potentiel. Ainsi, en 2000 et en 2008, les cours des actions de sociétés très performantes ont subi d'importantes corrections à un moment où l'indice de référence et notre groupe de référence présentaient des expositions substantiellement élevées. Notre analyse bottom-up des actions à hyper-croissance en 2020 sont cohérentes avec les comportements que nous avons observés à des points d'inflexion antérieurs. Fin 2021, nous avions déjà constaté que certaines de ces actions liées au travail à domicile, telles que Zoom ou Peloton, avaient perdu 40 % à 60 % de leur valeur maximale.  Le Credit Suisse HOLT a suivi un groupe d'actions à hypercroissance pendant plus de 40 ans, depuis 1980.  Malgré quelques corrections du cours des actions en 2021, 98 sociétés remplissaient les critères d'hyper-croissance à la fin de l'année dernière. L'histoire des dernières décennies dément que cette attente puisse être satisfaite. En fait, depuis 1980, seules 69 entreprises ont atteint ce niveau élevé de croissance du chiffre d'affaires.  Cela fait environ deux par an, en moyenne.  Si les 98 entreprises en hypercroissance de 2021 réussissent, cela représenterait environ 50 fois la moyenne historique annuelle des 40 dernières années.  Ces niveaux de valorisation n'ont pas été vus depuis la bulle Internet de 2000. Ces expériences nous amènent à penser que le scénario ne sera pas fondamentalement différent cette fois-ci. 

Cette approche nous a conduit à garder la tête froide et à nous en tenir à notre discipline, donc à n’investir que dans des entreprises de grande qualité, à la croissance séculaire et rentable, qui se vendent avec une décote importante par rapport à notre estimation de leur valeur intrinsèque. 

En quoi consiste cette différence?

Un des principaux éléments que nous regardons avant d’investir est la capacité d’une entreprise à produire des free cashflow, c’est-à-dire les flux de trésorerie qu’elle pourra utiliser librement pour financer sa croissance future. Associée à un endettement faible ou nul, cette caractéristique peut s'avérer encore plus cruciale dans un environnement de hausse des taux où l'argent gratuit disparaît pour un certain temps. Les entreprises de qualité ont également tendance à afficher des rendements élevés sur le capital investi et des équipes de gestion très compétentes capables d'allouer efficacement le capital. Outre la qualité, la plus grande différence entre les sociétés de croissance que nous souhaitons détenir et la cohorte des entreprises en hyper-croissance est la valorisation. Même lorsque nous pensons avoir identifié une société de qualité à croissance élevée, durable et rentable, nous ne sommes pas encore satisfaits. Contrairement aux investisseurs qui ont surenchéri face aux valorisations des actions liées au travail à domicile en 2020, nous n’avons pas changé de cap et nous sommes concentrés sur les entreprises de croissance de haute qualité et investi seulement lorsqu'elles ont présenté une décote importante par rapport à leur valeur intrinsèque– un potentiel de gain par rapport au risque d'au moins 2 pour 1. Toutes choses égales par ailleurs, plus la décote entre le prix du marché et notre estimation de la valeur intrinsèque est importante, plus nous considérons que notre marge de sécurité est grande. Notre discipline est inébranlable. De plus, notre compréhension approfondie des gagnants structurels à long terme qui se vendent à des prix inférieurs à leur valeur intrinsèque nous amène à reconnaître les sociétés structurellement déficientes qui se vendent à des primes significatives par rapport à leur valeur intrinsèque, et qui sont des candidats à la vente à découvert dans notre stratégie Long/Short Growth Equity.  Ainsi, bien que nous résistions aux actions d'hyper-croissance dans nos portefeuilles longs, elles peuvent créer des opportunités de vente à découvert intéressantes.

«Nous avons investi dans Shopify, la 2e plus grande plateforme e-commerce derrière Amazon aux Etats-Unis.»
Quelles opportunités en particulier?

Au fil de l'année 2022, l'exubérance des investisseurs a cédé la place à leur crainte, à mesure que de plus en plus d’entreprises ont publié des résultats décevants. Les investisseurs extrapolent maintenant sans discernement les vents contraires à court terme comme des changements fondamentaux pour les opportunités à long terme. L'autre facette du biais d’appétit pour la nouveauté est la mentalité de troupeau. Ce qui se passe aujourd'hui ou au quotidien ne dicte pas ce que nous ferons à long terme, nous regardons au-delà de l'environnement actuel.

Le premier trimestre de 2022 a créé quelques rares points d'entrée pour investir dans des sociétés de croissance de grande qualité. Après une correction significative de son plus haut sur 52 semaines, nous avons investi dans Shopify, la 2e plus grande plateforme e-commerce derrière Amazon aux Etats-Unis.

Axée sur la réussite de ses commerçants, l'architecture de Shopify permet aux développeurs de créer des applications qui étendent les fonctionnalités des solutions commerciales de base de l'entreprise. Aujourd'hui, plus de 8 000 applications sont disponibles pour les commerçants sur l'App Store de Shopify. Shopify joue sur le terrain du commerce de détail, qui représente quelque 24 000 milliards de dollars de dépenses annuelles (hors Chine).  Nous estimons qu'aujourd'hui, le commerce électronique n'a pénétré "que" 14 % de ce marché, contre seulement 3 % de pénétration en 2006, lorsque nous avons acheté Amazon, un taux qui pourrait à long terme dépasser 30 %.  
Nous avons également investi dans Netflix, dont le cours de l'action a également fait un "aller-retour" pour revenir à des niveaux égaux ou inférieurs à ceux d'avant la pandémie.  Même avec la perte anticipée de plus de 2 millions d'abonnés dans les mois à venir, notre thèse d'investissement à long terme reste intacte.  En fait, nous avons profité de la récente faiblesse du cours de l'action liée à cette nouvelle pour consolider notre position et réduire notre coût moyen. De la même façon que les investisseurs ont fait grimper le prix de l'action Netflix en 2020 en voyant la croissance des abonnés, ils pensent maintenant que son déclin post-pandémie - pas totalement imprévu - reflète un changement fondamental dans les opportunités à long terme de la société et ont réagi de manière excessive. Pourtant, les avantages concurrentiels de Netflix sont solides et durables. Netflix dispose de plus de 10 000 heures de contenu original de qualité, soit deux fois plus que les cinq concurrents suivants réunis.  Avec plus de 220 millions d'abonnés, représentant environ 50 % de la part de marché de la SVOD, nous pensons que la société a le potentiel de passer à 400 millions d'abonnés sur notre horizon d'investissement. Nous investissons également dans Disney, dont l'activité de streaming deviendra de plus en plus importante.

Quid des opportunités à la vente?

Au cours du premier trimestre, nous avons vendu Cisco Systems, que nous détenions depuis 2006, principalement pour réaffecter le capital à de meilleures opportunités de rendement par rapport au risque. Nous avons également vendu Colgate et notre position de longue date dans Schlumberger. Cela peut sembler contre intuitif dans un environnement où les pétrolières ont été portées par la crise énergétique que nous connaissons. Peu importe la conjoncture, nous avons réalisé que notre hypothèse d’investissement d’origine n’avait pas complètement intégré l’impact de la volatilité dans l’industrie, laquelle réduit la valeur intrinsèque de l’entreprise quelle qu’elle soit. Nous avons profité de pouvoir vendre dans de bonnes conditions pour sortir.

 

1 Source: Credit Suisse HOLT.

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