Une longueur d’avance

Anne Barrat

4 minutes de lecture

Tout vient à point à qui sait attendre. Leçon de stratégie avec Hollie Briggs de Loomis, Sayles & Company.

On peut être un gérant actif et patient. C’est même la patte de l’équipe Growth Equity Strategies (GES) chez Loomis Sayles, l’affilié de Natixis qui applique une approche de private equity à sa gestion des marchés actions. Ses actifs sous gestion représentent plus de 80 milliards de dollars des 357,7 milliards de dollars que gère Loomis Sayles, l’une des plus anciennes sociétés d’investissement nord-américaines – elle a été fondée en 1926 à Boston. Tel un félin chassant sa proie, la gestion de Loomis Sayles se construit dans la durée et le long terme. Car «patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. Entretien avec Hollie Briggs, VP et Directrice de la gestion des produits pour l'équipe Growth Equity Strategies chez Loomis, Sayles & Company

«La passion du rationnel»: que se cache-t-il derrière cette expression que vous aimez utiliser pour caractériser votre différence?

Passion parce que conviction. Et nos convictions reposent sur des faits. La décision d’acheter un titre peut ne pas survenir avant plusieurs années après que nos recherches approfondies aient désigné une société comme répondant aux critères d'investissement de notre équipe en matière de qualité, de croissance et de valorisation. Notre équipe d’analystes étudie 5 sociétés par an, passant donc en moyenne 2 mois et demi sur chacune. Un exemple: avant de nous positionner sur Unilever en 2015, nous avions surveillé le titre de près depuis dix ans. Et ce parce que nous détenions déjà des actions P&G. Faire de la recherche sur P&G, c’est tout savoir sur Unilever. Et vice versa. Les produits catégorie par catégorie, région par région, la concurrence et sa dynamique, qui va gagner dans 10 ans… C’est la condition sine qua non pour générer de l’alpha.

Rationnel parce que notre approche ne doit rien au hasard, que ce soit dans la sélection ou la gestion du risque.

Notre expérience nous a appris que les avantages liés à la diversification diminuent considérablement à mesure que le nombre de positions augmentent.
Comment se traduit cette approche dans les stratégies Growth Equity?

Nos portefeuilles dépassent rarement une quarantaine de lignes. D’une part parce que nous souhaitons avoir des positions significatives dans les sociétés que nous sélectionnons. Par exemple, le fonds Global Growth Equity se compose de 40 titres, ses 10 premières positions du fonds représentent cumulées 48,9% de détention à comparer aux 15,8% des 10 premières positions dans l’indice de référence, le MSCI All Country World. De même, notre fonds US Growth Equity investit dans 34 sociétés. Les 10 premières positions sont égales à 53%. D’autre part, parce que notre expérience nous a appris que les avantages liés à la diversification diminuent considérablement à mesure que le nombre de positions augmentent.

Par ailleurs, le turn-over est très faible. Sur les cinq dernières années, il est de l’ordre de 9,8% par an pour le fonds Global Growth Equity et de 6,5% pour le fonds US Growth Equity. Nous détenons une position entre huit et dix ans en moyenne. Le fonds US Growth Equity reproduit notre stratégie institutionnelle US Large Cap Growth, lancée en 2006. Cette stratégie a détenu sept sociétés au cours de ses 15 années d'existence, notamment Alphabet, Amazon, Oracle et Microsoft. Il est intéressant de souligner que, si l’action Amazon a connu une baisse de 20% en onze fois sur les 15 dernières années, elle a également surperformé le Russell 1000 plus de 20 fois. Force est de reconnaître que très peu de gérants affichent une telle constance: rares sont ceux qui possèdent une valeur dix ans ou plus et avec la même conviction que l’équipe GES.

Votre conviction acquise, tout n’est donc que question de valorisation?

De valorisation et de recherche. Nous savons en effet souvent longtemps à l’avance que nous allons acheter, reste à savoir quand. A cet égard, notre approche se fonde sur quatre scenarii de valorisation: «Best», «Base», «Bear» et «Worst». Concrètement, nous n’achetons que lorsqu’un titre est proche du scénario «Worst», c’est-à-dire qu’il se négocie à une décote importante de la valeur intrinsèque que nous estimons. Symétriquement, nous ne vendons que lorsqu’un titre est proche du scénario de «Base» et vendons finalement la position lorsque le prix de l'action atteint notre estimation de la valeur intrinsèque. Cela vaut également pour la consolidation de nos positions, que nous réalisons petit à petit jusqu’à atteindre le niveau de détention que nous nous sommes fixés – construire notre position nous prend facilement un an. Qu’une valeur soit dans le pipeline ou dans notre portefeuille, l’important est que nous soyons prêts, qui peut prévoir une pandémie? Peu importe, nous nous sommes prêts; notre recherche est clé dans ce processus d’identification de la bonne valorisation. Ainsi, pendant la pandémie de COVID-19; nous avons acheté cinq nouvelles valeurs que nous suivions, à comparer avec les nombreuses années où nous n’achetons rien. La conjoncture était très favorable et la décote très attractive.

L'impact à court terme de la crise Covid, bien que finalement transitoire, nous a fourni un point d'entrée attractif pour initier une position.
Avez-vous des exemples?

Disney, une valeur que nous suivions depuis huit ans sans avoir encore trouvé le momentum pur entrer. Pourquoi Disney? Parce que nous sommes convaincus que dans la montée en puissance inéluctable du streaming, Disney est très bien placé pour concurrencer Netflix ou encore Amazone Prime Video. Non seulement parce qu’il a un catalogue unique de marques, notamment Star Wars, Pixar, Marvel et ESPN mais aussi parce leur filmothèque est incomparable. Ces deux spécificités combinées lui donneront le pouvoir de fixer les prix dans le secteur du streaming, ce qui entraînera une amélioration de ses marges et une croissance de ses flux de trésorerie. Ils bénéficieront à court terme d’un avantage décisif vis-à-vis de leurs concurrents.

Ainsi, l'impact à court terme de la crise Covid, bien que finalement transitoire, nous a fourni un point d'entrée attractif pour initier une position. Nous pensons que les attentes actuelles du marché sous-estiment considérablement le caractère unique du contenu de Disney et sa capacité à le monétiser dans plusieurs segments commerciaux mondiaux, générant ainsi une croissance durable des flux de trésorerie disponibles sur notre horizon d'investissement. Nous pensons que le cours de l'action offre une opportunité de récompense par rapport au risque très intéressante.

Un autre exemple est celui de Boeing. Là encore nous les suivions depuis longtemps. La situation de duopole dans laquelle est Boeing est en soit de nature à nous séduire. Les barrières à l’entrée sont si élevées que même avec tout l’argent du monde, un nouvel entrant aurait un mal fou à se décoller si vous me permettez l’expression. Et c'est toujours notre point de départ: Boeing est une entreprise de haute qualité, difficile à reproduire. Mais Boeing est-elle une entreprise en croissance? Oui. Lorsque nous mesurons la croissance, nous mesurons la croissance des flux de trésorerie, généralement sur la prochaine décennie ou plus.  Notre analyse est tournée vers l'avenir. Que Boeing ait été sorti de l’indice Russell parce qu’elle n’était pas une valeur de croissance n’ôte rien au fait que c’est une entreprise d’une rare qualité intrinsèque. La pandémie a fait le reste: le titre est passé de 400$ dollars en décembre 2019 à 100 dollars en mars 2020, un choc que même la crise du 737 Max n’avait pas causé, créant un point d’entrée attractif pour nous. Les entreprises cycliques donnent souvent lieu à des réactions excessives des investisseurs lors des inévitables pics et creux. Le cours actuel de l'action reflète des attentes de croissance bien inférieures à nos prévisions pour la prochaine décennie. Alors que tout le monde se concentrait sur l’impact dramatique de la crise sanitaire sur la demande de voyages, nous envisagions au contraire la reprise inévitable aussi bien conjoncturelle – compensation post-confinement – que structurelle – l'augmentation à long terme des revenus discrétionnaires, au niveau mondial, qui, selon nous, stimule la demande de transport aérien sur notre horizon d'investissement.  

Des exemples suisses?

Novartis est une participation de longue date dans notre portefeuille. Sa capacité à se réinventer – la scission d’Alcon en 2018 pour se concentrer sur les médicaments –, à identifier des nouvelles tendances, à lancer des blockbusters dans des niches pour compenser le déclin des génériques, son pipeline, en font un fleuron du secteur pharmaceutique, avec, à la clé, de solides revenus. En outre, sa solide équipe de direction prend des décisions stratégiques judicieuses afin de se concentrer davantage sur les avantages concurrentiels à long terme de la société, à savoir la marque, l'échelle, la technologie et l'innovation. Nous pensons que le cours actuel de l'action englobe une croissance future qui est bien inférieure à nos prévisions.  Par conséquent, les actions se vendent avec une décote importante par rapport à notre estimation de la valeur intrinsèque et offrent une opportunité de récompense par rapport au risque.

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