Un sentiment de marché original

Salima Barragan

2 minutes de lecture

En contrepied des hedge funds traditionnels, Julien Leegenhoek de Taranis formalise les bases de la finance comportementale.

Comment faire le pont entre la finance comportementale individuelle et son point de vue collectif, afin d’anticiper les grands mouvements de marchés? Taranis, une société de gestion genevoise fondée en 2020 par un ancien analyste d’UBP, a mis sur pied un algorithme basé exclusivement sur des indicateurs non financiers tels que l’indice du bonheur, afin de sonder l’humeur générale des investisseurs. Cette stratégie originale a remporté en avril le prix Wealth Briefing du meilleur Fund Manager d’Europe. Les explications du CEO Julien Leegenhoek.

Quelle est l’idée de base derrière votre approche d’investissement?

Notre approche inédite se base sur les succès de la finance comportementale, qui décrit l’ensemble des facteurs cognitifs affectant les humains dans le milieu financier, également formulés sous le terme anglais d’«animal spirits». Cette discipline compte un nombre considérable de recherches académiques, dont des prix Nobel d’économie. Nous sommes les premiers gestionnaires d’actifs à la formaliser dans une stratégie.

«Nous sommes très directionnels et lors d’un mois difficile, nous prenons une position unique: soit un short ou soit un long, ce qui est une grande spécificité du market timing.»
La société prend ses décisions d'investissement à l'aide d'une stratégie de market-timing basée sur la finance comportementale. Selon quel processus?

Nous sommes très directionnels et lors d’un mois difficile, nous prenons une position unique: soit un short ou soit un long, ce qui est une grande spécificité du market timing. Nos calculs de probabilité anticipent les mouvements de marché dans lesquels nous nous positionnons. Il existerait une centaine d’indicateurs comportementaux, comme le biais de confirmation. Mais nous cherchons à adopter le point de vue collectif au lieu de l’individuel. D’une manière similaire à Gustave Lebon qui a créé la psychologie des foules, nous avons créé celle des investisseurs. Mais pour faire le pont entre la finance comportementale individuelle et celle collective, nous avons dû recourir à l’utilisation de bases de données.

Comment le fonds s'articule-t-il?

Nous nous basons sur des indicateurs alternatifs non financiers, tels que les indices de corruption et de bonheur. Construit de façon systématique, le fonds s’appuie sur nos bases de données qui nous servent à mesurer l’humeur des marchés, afin de démontrer quel est l’état d’esprit collectif de l’ensemble des investisseurs de la place mondiale. A partir de ce thermomètre d’indices originaux, nous pouvons établir si l’humain est de bonne ou de mauvaise disposition face aux flux de nouvelles imprévisibles. Nous ne pouvons anticiper les événements de marché, en revanche nous savons que leur impact sur les indices dépend de l’humeur des investisseurs… enclins à paniquer sur les chiffres de l’inflation lorsque leur moral est au plus bas.

Pensez-vous pouvoir justifier les mouvements de valorisation inexplicables?

Les valorisations des indices représentent la somme des bénéfices des sociétés constituantes. Le multiple du S&P500, sur lequel se concentre notre stratégie est actuellement à 17x, mais sa moyenne qui fluctue dans le temps atteint son maximum à 28x. Personne n’est capable d’expliquer l’intégralité de sa valorisation dans le temps compte tenu de l’ensemble des facteurs connus (pensons à l’inflation et aux résultats). Selon des études académiques, seuls 30% des mouvements de marché sont justifiés par ces éléments connus. Il reste donc deux tiers des fluctuations des multiples non expliquées. Nous émettons ainsi une hypothèse alternative et radicalement différente des approches de la place pour expliquer les valorisations.

«Nous cherchons à nous étendre au Royaume-Uni et au Moyen-Orient.»
Quelle tendance de marché votre algorithme anticipe-t-il pour cette année?

Très contrariant vis-à-vis du consensus, nous conservons une vue positive, car les indicateurs à long terme restent intacts, bien que l’on constate davantage de nervosité à court terme.

Hormis le fait que votre modèle recourt à des données non financières, et que vous faites du market timing sur de la finance comportementale, quels autres éléments vous démarquent-ils de vos compétiteurs?

En souscrivant à un fonds en actions d’une banque de la place, un client achète la vision du gestionnaire sur les sociétés ainsi que sa vision personnelle du marché. Son collègue, qui gère un second portefeuille pourtant de la même marque, possèdera une vue de marché différente, voire opposée. Nous adoptons une vue de marché unique pour l’ensemble de nos produits. Elle est garantie par notre algorithme comportementale.

Quels sont vos prochains axes d’évolution?

Nous venons d’engager un Docteur en physique pour participer au développement des facteurs à court terme. La communication est un second axe. Nous cherchons à nous étendre au Royaume-Uni et au Moyen-Orient. Nous concentrons sur une clientèle high net worth individuals et de family office en attendant d’atteindre notre troisième année de track record.

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