Les champions incontournables

Salima Barragan

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Comment identifier les entreprises capables d’imposer leur prix? Avec Gérard Moulin d’Amplegest.

Avec la réapparition de l’inflation, les stratégies qui se concentrent sur les entreprises capables de dicter le prix de leurs produits ont de nouveau la cote. Que le renchérissement perdure ou non, les firmes incontournables dans leur industrie et dotées de ce qu’on nomme en anglais le «pricing power», s’adapteront plus aisément aux aléas économiques.  Quels sont les critères de sélection de ces champions des prix? Les réponses de Gérard Moulin, gérant et Responsable actions Europe chez Amplegest.

Quel est votre avis sur la question de l’inflation qui taraude les investisseurs?

Nous n’adhérons pas au scénario d’une réapparition des évènements des années 1970. Rappelons qu’à cette époque, les banques centrales n’étaient pas indépendantes et les salaires étaient indexés sur l’inflation. La Chine, qui est une force déflationniste, n’existait pas encore en tant que puissance commerciale. Or, le marché craint la transmission des hausses des prix sur les rémunérations, mais nous constatons que les ménages procèdent à des arbitrages dans leurs budgets. Ils iront acheter des biens à bas coût en provenance de l’atelier du monde. En outre, les carnets de commandes se réduisent. Ces éléments nous font penser que l’inflation va inéluctablement s’auto ralentir.

Vous gérez un fonds axé sur des entreprises qui maitrisent les prix de leurs biens et services. Quels sont leurs points en commun?

Nous aimons les sociétés dotées de capacités d’adaptation, car elles prendront de la valeur dans le temps. Les firmes flexibles sont celles qui ont érigé des barrières à l’entrée importantes. Mais ces qualités n’apparaissent pas sur leur bilan: nous devons travailler sur ce qu’elles sont. Je pense par exemple à Campari, dont le savoir-faire organisationnel et marketing n’est comptabilisé à aucun poste, mais qui possède des atouts indéniables qui lui donnent un avantage compétitif majeur. En plus du rendement pour l’actionnaire, nous regardons également quels sont les retours en termes ESG (Environnement, Social, Gouvernance).  

 Le consommateur chinois, trentenaire digital, qui constitue leur plus grand moteur d’accélération de croissance, commence à se détourner du luxe occidental au profit de marques chinoises qui émergent.
Comment identifier ces atouts non tangibles?

Lorsque l’on veut comprendre le potentiel d’une société, il faut analyser son marché adressable. En discutant avec la concurrence et la clientèle, nous arrivons à identifier une société incontournable et indispensable dans son secteur. Valeo et BMW ont signé dernièrement un accord colossal qui en dit long sur leurs positions respectives. Je suis à l’écoute des industriels, qui nous expliquent que l’internalisation de tous les métiers n’est pas forcément souhaitable.

Selon quels critères financiers sélectionnez-vous ces valeurs?

Un grand nombre d’entreprises affirment maitriser leurs prix, mais en réalité leur succès récent découle des mesures de relance. Il importe donc de comparer les critères sur 3 ou 5 ans pour s’assurer de la durabilité de leur «pricing power». C’est dans le compte de résultat, et non dans le bilan, que nous analysons les éléments quantitatifs et qualitatifs. Nous avons établi 9 critères, dont au moins 7 doivent être satisfaits:

  • L’analyse du chiffre d’affaires, sa croissance, la volumétrie, le mix et le prix
  • L’analyse de la dynamique du PEG (Price/Earnings to Growth),que nous estimons plus pertinent que le PER, sur plusieurs années
  • L’analyse de la marge d’exploitation sur 4 ans
  • L’évolution de la note ESG issue de notre modèle propriétaire GEST
  • Le fait que la société soit incontournable pour ses clients et même pour ses fournisseurs
  • La fiabilité du management
  • La pression mise sur les marges de ses concurrents
  • Les gains de parts de marché
  • La politique d’acquisition créatrice de valeur
Avez-vous des exemples de sociétés capables de fixer leurs prix, mais sous-estimées par le marché?

L’allemande Varta fabrique des produits connus de tous, dont des piles à l’attention du grand public. Ils sont également à la pointe en Business to Business avec les mini-batteries en lithium-ion qui entrent dans la composition des AirPods. Un analyste classique va la classer en tant que firme industrielle qui fluctue en fonction des cycles économiques. Mais Varta qui fournit les géants de la tech américains et coréens, n’est en réalité pas un groupe industriel cyclique en raison du raz-de-marée numérique.

Ferrari est aussi cataloguée en tant que société cyclique. Mais son carnet de commandes rempli pour 2022 et 2023 prouve le contraire. Bien que son évolution boursière au cours des trois dernières années ne soit pas à la hauteur de nos attentes, nous restons convaincus que ses fondamentaux reprendront le dessus, d’autant plus que ses barrières à l’entrée lui procurent une forte visibilité sur le futur.

Quel est votre avis sur les acteurs du monde du luxe, réputés pour dicter leur propre stratégie de prix de vente?

Nous sommes totalement sortis du secteur, non pas parce que nous avons des doutes sur les performances à venir ou attendons de mauvais résultats en absolu, mais parce que nous estimons que ces dossiers ont déjà tout donné et ont épuisé leur capacité à surprendre les marchés.  Le consommateur chinois, trentenaire digital, qui constitue leur plus grand moteur d’accélération de croissance, commence à se détourner du luxe occidental au profit de marques chinoises qui émergent. Beaucoup de questions s’amoncèlent sur le luxe et nous trouvons de meilleurs ratios potentiel/valorisation dans d’autres sphères telles que la mobilité, le numérique et la santé.

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