Traitements anti-obésité: il reste une grande place pour l’innovation

Yves Hulmann

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Selon Terence McManus de Bellevue, le taux de croissance annuel composé des médicaments anti-obésité est estimé entre 30 et 40% pour la période allant de 2020 à 2030.

Lukas Leu (à gauche) et Terence McManus.

 

 

A l’intérieur du secteur pharmaceutique, peu de domaines thérapeutiques ont fait l’objet d’autant d’attention ces dernières années que les traitements anti-obésité. Parmi les sociétés qui ont le plus tiré parti de ces médicaments coupe-faim, le groupe américain Eli Lilly et le danois Novo Nordisk ont jusqu’ici dominé ce marché. Pour autant, il ne faut pas oublier qu’un grand nombre d’autres sociétés, plus d’une quarantaine à travers le monde, développent aussi des traitements ou solutions en lien avec cette thématique, souligne Terence McManus, gestionnaire d’un fonds axé sur la santé chez Bellevue Asset Management depuis 2022, au côté de Lukas Leu, analyste healthcare chez Bellevue Asset Management depuis 2021. C’est le cas, par exemple, de Zealand Pharma, aussi danoise, qui dispose également d’un pipeline de médicaments candidats jugé intéressant. Dans le domaine des techniques médicales, Dexcom, qui propose des instruments de surveillance du glucose. Le point sur les actions du secteur pharmaceutique et, plus spécifiquement, des titres liés à la thématique des traitements contre l’obésité.

En 2024, les actions des entreprises du secteur pharmaceutique ont sous-performé les indices globaux et elles se traitent aussi avec des multiples de bénéfices sensiblement inférieurs à ceux du marché dans son ensemble. Comment expliquer cette situation alors que des thèmes tels que les traitements contre l’obésité, en autres, ont connu un essor spectaculaire ces dernières années?

Les performances relatives d’un secteur par rapport au reste des indices globaux doivent toujours être mis en relation avec les thèmes qui ont dominé l’évolution des marchés. En 2024 et jusqu’au début de cette année, les marchés des actions ont été largement tirés par les valeurs technologiques et les actions des entreprises en lien avec l’IA. On a observé la même situation pour tous les secteurs considérés comme défensifs. L’aspect politique en lien avec les élections américaines n’a pas non plus joué en faveur des actions du secteur pharmaceutique car il y a toujours un débat sur la manière avec laquelle les médicaments seront remboursés aux Etats-Unis.

«Quelque 3 milliards de personnes à travers le monde, soit 42% de la population mondiale âgée de plus de 5 ans, sont concernées par le surpoids et l’obésité en 2025. En 2035, 4 milliards de personnes, soit 51% de la population mondiale, en seront affectées.»

Enfin, plusieurs événements plus spécifiques liés à quelques grandes entreprises pharmaceutiques, à l’exemple d’Eli Lilly, Novo Nordisk et United Health, ont pesé sur la branche durant l’automne 2024. Cela a en quelque sorte créé un effet boule de neige négatif pour le secteur à un moment donné. Des flux de fonds négatifs pour le secteur sont venus s’y ajouter. Cumulés, tous ces facteurs défavorables ont pesé sur le secteur à un moment donné mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faille s’en désintéresser – bien au contraire.

Nous pensons que certains facteurs qui constituaient des défis et des vents contraires pour le secteur pharmaceutique en 2024 pourraient désormais devenir des opportunités et des vents porteurs. En effet, nous avons observé une ré-évaluation relative du secteur depuis le début de l'année. D’un point de vue investissement, nous préférons regarder l’évolution des fondamentaux de chaque entreprise individuellement selon une approche «bottom-up» pour savoir dans quelles sociétés nous allons investir.

Précisément, dans votre segment d’activité spécifique, quels sont les facteurs qui soutiendront la demande pour des traitements contre l’obésité ces prochaines années?

Le principal facteur est celui de la part de la population qui est concernée. Selon des estimations de l’OMS et de la World Obesity Federation, quelque 3 milliards de personnes à travers le monde, soit 42% de la population mondiale âgée de plus de 5 ans, sont concernées par le surpoids et l’obésité actuellement en 2025. En 2035, 4 milliards de personnes, soit 51% de la population mondiale seront affectées par le surpoids ou l’obésité. En outre, il n’y a aucun pays dans le monde qui soit actuellement moins concerné par cette thématique qu’il y a 50 ans. Toutes les campagnes en faveur d’une alimentation plus saine ou l’élaboration de produits «low fat» ou «low sugar» n’ont pas réussi à inverser cette tendance, pas plus que les mesures d’incitation que l’on décrit sous le terme de socio-design qui visent à influencer le comportement de la population à faire plus d’exercice, etc. Si vous vous promenez dans les grandes villes du monde occidental, il est évident que les initiatives mises en place au cours des 30 dernières années pour lutter contre l'obésité ont échoué – sans même parler de l’évolution assez inquiétante du surpoids et de l’obésité dans de nombreux pays émergents qui ont eu tendance à adopter des habitudes alimentaires des pays occidentaux.  

«Novo Nordisk reste une société très intéressante. La société Zealand Pharma, aussi danoise, dispose également d’un pipeline de médicaments candidats intéressant.»

Si l’on en vient plus spécifiquement aux traitements antiobésité, en particulier ceux de type GLP-1 (Glucagon-like peptide 1), quels sont leurs effets sur les personnes en surpoids?

Leur impact n’est pas encore aussi important que les interventions chirugicales qui peuvent conduire à une perte de poids située entre 20 et 40%. Toutefois, ces opérations sont généralement réservées aux patients qui sont en situation d’obésité sévère. L’endoscopie permet d’obtenir une baisse de poids estimée jusqu’à 40%. A l’autre bout de l’échelle, la modification des habitudes de vie conduit à une réduction de poids située entre 2 et 5%, les mesures liées à l’alimentation à hauteur de 5 à 10%. Les traitements pharmaceutiques se situent en milieu de tableau avec une réduction de poids comprise entre 10 et 25%.

Actuellement, ce sont essentiellement Novo Nordisk et Eli Lilly qui dominent le marché des traitements de type GLP-1. On peut toutefois s’attendre à ce que d’autres entreprises pharmaceutiques ou biotechnologiques mettront des produits concurrents sur le marché. A quelle échéance faut-il s’attendre à voir des copies moins chères, voire à des traitements plus efficaces, arriver sur le marché?

Effectivement, le nombre d’entreprises qui s’intéressent à ce marché croît constamment – nous avons dénombré plus d’une quarantaine d’entreprises qui développent des traitements situés en différentes phases d’essais cliniques. En 2024, les ventes des traitements de type GLP-1 ont atteint plus de 50 milliards de dollars de revenus à l’échelle mondiale. Toutefois, malgré cela, la demande reste supérieure à l’offre. Le taux de croissance annuel composé des médicaments anti-obésité est estimé entre 30 et 40% pour la période allant de 2020 à 2030.

Hormis Novo Nordisk, y a-t-il d’autres entreprises européennes qui sont sur les rangs?

Oui, c’est le cas par exemple d’AstraZeneca et de Roche par le biais d’acquisition d’entreprises actives dans ce domaine. Le groupe bâlois avait annoncé fin 2023 l’acquisition de la société américaine Carmot qui développe des produits pour traiter l’obésité et le diabète.

«En 2024, les ventes des traitements de type GLP-1 ont atteint plus de 50 milliards de dollars de revenus à l’échelle mondiale.»

Si plusieurs traitements arrivent sur le marché, quel sera l’aspect qui fera la différence?

Outre la perte de poids proprement dite, la qualité du traitement et aussi son mode d’administration seront des critères toujours plus importants. C’est pourquoi, même si le nombre de traitements disponibles va continuer à augmenter, il reste une grande place pour l’innovation.

Les personnes qui sont concernées par le surpoids ou qui souffrent d’obésité n'ont pas forcément envie de s'administrer une injection chaque semaine. La possibilité de pouvoir prendre un traitement de façon orale sera énorme avantage par rapport aux injections sous-cutanées pour un grand nombre de personnes. D’autres en revanche pourraient préférer un traitement pris sous forme d’injection une fois par mois car cela permet aussi d’avoir un contact avec un médecin ou un institut qui offre une approche plus holistique, à savoir des conseils sur la nutrition, la pratique d’exercice ou de sport réguliers, etc. Il y a encore de la place pour beaucoup de prestataires sur ce marché.

Pouvez-vous citer quelques exemples de titres qui vous paraissent particulièrement intéressants à suivre actuellement?

Novo Nordisk reste une société très intéressante, notamment en raison de deux tests cliniques importants dont les résultats sont attendus en 2025 pour le traitement CagriSema.

La société Zealand Pharma, aussi danoise, dispose aussi d’un pipeline de médicaments candidats intéressant. Elle en outre également souvent considérée comme une société susceptible d’être rachetée.

Dans le domaine des techniques médicales, Dexcom, qui propose des instruments de surveillance du glucose en temps réel, est aussi une entreprise qui offre un grand potentiel en lien avec cette thématique. 

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