Réduire les émissions liées à l’alimentation, un défi de longue haleine

Yves Hulmann

4 minutes de lecture

Pour Stefano Montobbio, expert en durabilité chez EFG International, et Sam Glover, gérant, l’ensemble de la chaîne alimentaire doit être reconsidérée.

Stefano Montobbio (EFG International), Sam Glover (EFG AM), Sofia Condés (FAIRR Initiative), Martijn Sonnevelt (World Food System Center, ETHZ), Christoph Jenny (Planted Foods) et Lorenz Altwegg (EFG Bank AG).

La chaîne alimentaire est responsable d’une proportion estimée entre 25 et 30% de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre (GES). Comment y remédier? Entretien avec Stefano Montobbio (S.M.), Global Head of Investment Governance and ESG chez EFG International, et Sam Glover (S.G.), gérant du portefeuille d’EFG International consacré au thème de la «Food Revolution», à propos duquel les deux experts se sont exprimés mercredi dans le cadre de la conférence Building Bridges qui se déroule cette semaine à Genève.

Que recouvre le concept de «Food Revolution»?

Stefano Montobbio (S.M.): C’est un terme qui recouvre plusieurs aspects ayant trait à l’organisation de la chaîne alimentaire en lien avec les questions de durabilité. Globalement, on peut dire que la «Food Revolution» concerne à la fois l’agriculture et la production d’aliments, l’organisation de la chaîne de distribution ainsi que la consommation. A cet égard, il est important de rappeler que l’ensemble de la chaîne alimentaire – en incluant aussi bien les aspects liés à la production, la distribution, la consommation et en tenant compte du gaspillage de nourriture – est responsable d’une proportion estimée entre 25 et 30% de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le concept de «révolution de l’alimentation» sous-entend qu’il est aussi possible de changer les choses et d’innover dans ce domaine afin de réduire les émissions de CO2 en lien avec cette activité. Pouvez-vous citer des exemples d’innovation dans ce domaine?

Sam Glover (S.G.): Heureusement, il y a effectivement énormément de nouvelles approches et techniques innovante en lien avec l’alimentation, que ce soit en amont de la chaîne alimentaire, lors de la production elle-même d’alimentation, durant la distribution ou au moment de la consommation. Si l’on considère par exemple l’élevage de bétail, les troupeaux de vaches émettent de très grandes quantités de méthane, un gaz qui contribue beaucoup à l’effet de serre. Selon certaines études, il est estimé que quelque 2500 vaches peuvent entraîner une pollution de l’atmosphère comparable à une ville de 400’000 habitants. Or, parmi les objectifs qui ont été définis dans le cadre la COP26, l’un d’entre eux vise à réduire d’au moins 30% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à leur niveau de 2020) résultant du méthane.

Parmi les objectifs qui ont été définis dans le cadre la COP26, l’un d’entre eux vise à réduire d’au moins 30% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 résultant du méthane.

C’est ici que l’innovation technologique peut aussi apporter une contribution: en effet, des expériences ont montré qu’en ajoutant de petites quantités d’additifs dans l’alimentation du bétail – de la taille d’une simple cuillère à café –, il est possible de réduire fortement les émissions de méthane provenant des bovins.

Hormis la production alimentaire elle-même, beaucoup d’études pointent du doigt la grande quantité d’aliments gaspillés avant même qu’ils ne soient arrivés dans l’assiette des consommateurs. Qu’est-ce qui peut être entrepris à ce niveau-là?

S.M.: C’est effectivement aussi un aspect important de la discussion. Selon une évaluation du Comité économique et social européen (CESE), plus de 170 kilos d’aliments par individu sont gaspillés chaque année. Cela représente presque le tiers de l’ensemble de l’alimentation consommée. Plusieurs pistes sont envisagées pour diminuer cette quantité d’aliments gaspillés. Par exemple, réduire la distance entre les lieux de production et de consommation. Diminuer l’intervalle nécessaire entre le moment où un aliment est produit jusqu’à ce qu’il arrive sur la table des consommateurs - et sensibiliser davantage ces derniers à ces aspects. Sans oublier de réduire la quantité d’emballages utilisés. Ici aussi, des études ont estimé que chaque personne vivant dans l’UE générait, en moyenne, plus de 177 kilo de déchets d’emballages.

S.G.: Tous ces aspects montrent qu’il y a encore d’importants efforts qui doivent être entrepris pour rationaliser la chaîne d’approvisionnement dans le domaine alimentaire. Le mode de distribution traditionnel, qui va de la production aux étals des supermarchés, reste encore extrêmement fragmenté aujourd’hui. En général, les produits collectés auprès des fermes sont d’abord entreposés dans un dépôt régional, puis transférés vers des dépôts situés à proximité des zones urbaines, avant d’être ensuite redistribués auprès des supermarchés locaux ou dans les magasins de quartier. Aujourd’hui, il existe des modèles de distribution organisés de manière beaucoup plus directe – d’après le concept «direct to consumer» ou «D2C» – qui sont testés par certains groupes agroalimentaires. En appliquant ce modèle, une entreprise européenne active dans les kit repas (ou «meal-kit» en anglais) est parvenue à réduire ses émissions de CO2 à hauteur de 25% par rapport au mode de distribution traditionnel. En Chine, un grand groupe de commerce en ligne a aussi expérimenté des systèmes de vente directe aux consommateurs.

Peut-on vraiment se passer d’entrepôts intermédiaires?

S.G.: Bien sûr, il est toujours nécessaire de disposer d’entrepôts mais il est possible de les organiser de manière beaucoup plus locale et de réduire les parcours effectués pour transporter les produits du producteur au consommateur.

Plus de 170 kilos d’aliments par individu sont gaspillés chaque année. Cela représente presque le tiers de l’ensemble de l’alimentation consommée.
Beaucoup de nouvelles entreprises, telles que Beyond Meat, se sont faites remarquer en proposant des alternatives à base de plante pour remplacer la consommation de viande traditionnelle. S’agit-il de sociétés actives dans une simple niche ou peuvent-elles rivaliser avec des grands groupes agro-alimentaires?

S.G.: Ces deux types d’acteurs se complètent. D’un côté, certaines start-up ont apporté une réelle innovation. De l’autre, les grands groupes ont davantage de moyens pour déployer ces innovations à large échelle. En ce qui concerne les alternatives à base de plante servant de substitut à la viande, leurs parts de marché reste relativement basse avec une proportion estimée à environ 4,5%. Pour les substituts aux produits laitiers, cette part atteint toutefois déjà environ 12%, ce qui est loin d’être négligeable.

En tant que gérant de portefeuille, comment intégrez-vous les aspects de durabilité dans votre processus de sélection d’entreprises?

S.M.: La prise en compte des critères de durabilité ou ESG peut conduire à différentes situations. Dans certains cas, nous entrons dans un véritable processus d’engagement avec les entreprises, même si elles ne sont pas encore parfaites d’après les critères ESG, afin de les encourager à améliorer certains processus. Dans d’autres cas, si nous ne voyons pas de chances d’amélioration, nous n’investissons pas dans les titres de ces entreprises ou nous les revendons. Nous le faisons lorsque nous pensons que ces sociétés ne vont pas parvenir à prospérer sur le long terme. Ce n’est toutefois pas la majorité des cas.

En général, la prise en compte des critères ESG dans le processus d’investissement incite les entreprises à améliorer le bien-être des animaux, de leur personnel et les encourage aussi à faire preuve de plus de transparence.

Que peut apporter votre participation à un événement tel que Building Bridges et qu’en attendez-vous?

S.M.: Un aspect important pour nous, en tant que gérants, serait de pouvoir avoir un meilleur accès et des liens plus étroits avec les chercheurs issus du monde académique. Nous avons besoin d’outils plus précis et de nouveaux indicateurs afin de pouvoir prendre des décisions qui tiennent compte des aspects environnementaux et sociaux de la manière la plus transparente possible mais malheureusement certains des indicateurs dont nous aimerions disposer n’existent pas encore. En réunissant différents acteurs aux compétences diverses, on peut changer les choses et développer de nouvelles idées.

A lire aussi...