Retraites: les modèles viables et les autres

Emmanuel Garessus

6 minutes de lecture

Le modèle français n’est pas viable, à l’inverse du suisse qui a l’avantage d’un taux d’endettement étatique faible. Avec James Mazeau d’UBS.

 

Il devient de plus en plus difficile de maintenir son train de vie à la retraite. Tous les spécialistes s’accordent ainsi sur le besoin de se pencher assez tôt sur sa propre situation. Dans ce contexte, UBS publie une étude «International Pension Gap Index» qui présente la situation de 25 pays en fonction des besoins d’efforts d’épargne volontaires exigés à l’âge de 50 ans pour maintenir son niveau de vie à la retraite. 

Les résultats varient considérablement d’une ville à l’autre. A Amsterdam, le salarié n’a pas besoin d’épargne supplémentaire alors qu’elle représente 93% du salaire à Tokyo, ce qui est impossible en pratique. 

Pour évaluer le système suisse, UBS prend l’exemple d’une femme de 50 ans habitant à Zurich. Le taux net de remplacement de son dernier salaire sera de 67% (donc le revenu à la retraite correspondra à 67% du dernier salaire net d’impôts) et le taux d’épargne exigé à 50 ans de 28%. Ce dernier taux s’inscrit dans la moyenne des 25 pays analysés.

Le montant d’épargne requis est en fonction des particularismes des systèmes de retraite et de la situation de chaque pays face au vieillissement démographique. 

L’épargne peut être investie sur les marchés pour réduire davantage les lacunes de prévoyance, selon UBS, qui souligne les mérites de l’investissement. Cette étude a fait l’objet de divers commentaires et suscité de nombreuses questions. James Mazeau, économiste chez UBS et co-auteur de l’étude, répond aux questions d’Allnews.

Quelles hypothèses utilisez-vous pour conclure qu’en Suisse une personne doit épargner 28% de son salaire à 50 ans pour maintenir son niveau de vie à la retraite?

Nous avons pris l’exemple d’une femme de 50 ans, parce que c’est généralement un âge charnière dans les réflexions sur sa retraite. Les jeunes pensent par exemple moins à leur retraite et à leurs besoins futurs qu’à leur emploi actuel. Une femme présente aussi davantage de lacunes de prévoyance qu’un homme, en raison de l’interruption plus fréquente de sa carrière ou d’un emploi plus souvent à temps partiel. Un emploi qui, à poste équivalent, offre potentiellement un salaire inférieur à celui d’un homme si bien qu’elle cotise moins qu’un homme pour sa retraite.

Les femmes vivent aussi plus longtemps que les hommes, si bien qu’elles ont un risque de longévité supérieur. 

«En Suisse, sans épargne préalable et si l’on ne pense à sa retraite qu’à 50 ans, on risque de ne pas être en mesure de maintenir son niveau de vie».

Nous avons également utilisé le salaire médian d’une ville donnée, en l’occurrence de Zurich, la ville où la vie est la plus chère en Suisse. Nous avons donc observé le revenu médian (qui sépare deux groupes de personnes de taille équivalente). Ce revenu s’élève à environ 93'000 francs par an, ce qui dépasse le salaire d’autres régions. 

Cette femme de 50 ans est au bénéfice de l’AVS et uniquement de la partie obligatoire de la LPP, même si la plupart des employés sont assurés au-delà de la part obligatoire. Dans les autres pays, nous avons aussi regardé la couverture minimum. 

Enfin, nous avons évalué les coûts supportés par cette personne pour évaluer sa capacité d’épargne nette, donc ce qui lui reste après les prestations obligatoires (impôts, assurances) et ses dépenses courantes (loyers, alimentation, habillement, loisirs) en nous appuyant sur les analyses des budgets des ménages réalisées par l’Office fédéral de la statistique. Cette capacité d’épargne atteint 9% pour notre personnage à Zürich. Ce niveau est assez élevé par rapport à des personnes de 50 ans ayant un salaire médian dans d’autres grandes villes du monde, notamment dans les pays émergents. Une Zurichoise de 50 ans au bénéfice d’un salaire médian peut mettre de l’argent de côté.

Est-ce que vous ne noircissez pas le tableau en employant ces hypothèses très conservatrices?

Oui et non. Nous noircissons le tableau parce que nous voulons prendre un cas extrême. Nous aurions pu prendre un homme de 50 ans au bénéfice d’un salaire élevé dans un canton avec une faible charge fiscale et un coût de la vie plus faible qu’à Zurich. L’image serait différente et le taux d’épargne exigé plus bas. Nous voulions prendre un cas qui montrerait ce que le système était capable de délivrer. Tout le monde ne se reconnaît pas dans cette femme de 50 ans sans épargne individuelle. Les lecteurs pourront se dire que s’ils forment un couple avec deux enfants, avec chacun un revenu médian, et avec une épargne significative, le taux d’épargne nécessaire sera différent. D’ailleurs la capacité d’épargne varie avec l’âge. Elle est plus faible avec l’arrivée des enfants que par la suite. Il appartient à chacun de calculer son besoin d’épargne en fonction de son style de vie et de ses besoins de confort ou de loisirs.

Si une personne de 40 ans disposait déjà d’une épargne qu’elle investirait en Bourse, quel serait le nouveau taux d’épargne exigé à 50 ans?

Plus l’individu s’y prend tôt, plus il peut prendre du risque d’investissement et plus son taux d’épargne requis sera modeste. Nous n’avons toutefois pas calculé cette situation. Si nous prenions l’hypothèse d’un jeune homme, nous masquerions l’augmentation du niveau de vie au fur et à mesure de sa carrière. Nous risquerions de biaiser le calcul.

La Suisse est placée au milieu du classement. Vos calculs soulignent un besoin d’épargne requis significatif. N’est-ce pas surprenant pour un système habituellement couvert de louanges?

Effectivement, en Suisse, sans épargne préalable et si l’on ne pense à sa retraite qu’à 50 ans, on risque de ne pas être en mesure de maintenir son niveau de vie. Tout dépend toutefois du niveau de vie envisagé. Dans nos comparaisons, nous partons toujours du niveau de vie moyen au sein d’une population. J’imagine que le niveau de dépenses moyen d’un ménage suisse est plus confortable que celui d’un ménage mexicain moyen. Cela améliore la comparaison en faveur de la Suisse. Mais au Mexique, comme le coût de la de vie est élevé par rapport au salaire médian, il est difficile d’épargner.

Ces dernières années ont été marquées par une hausse des prix de l’immobilier. Est-ce que le fait d’être locataire ou propriétaire joue un grand rôle à l’approche de la retraite?

Absolument. Nous prenons l’exemple d’une locatrice, mais si elle était propriétaire, ses perspectives de retraites seraient améliorées et réduiraient son taux d’épargne requis. 

Le sujet est culturel. Dans certains pays, le fait d’être locataire à 50 ans témoigne d’un échec dans sa carrière. Un jeune ne quitte souvent ses parents que s’il a suffisamment d’argent pour devenir propriétaire. A Singapour, il est très fréquent de prendre une partie de son épargne de prévoyance pour financer l’achat d’un bien immobilier.

Les pays qui présentent un faible taux d’épargne requis à 50 ans sont ceux qui ont un taux de cotisation obligatoire très élevé. Est-ce aussi un choix culturel?

Ces cotisations élevées, aux Pays-Bas et dans certains pays nordiques, représentent un fort niveau d’épargne forcée.

Est-ce que votre étude est une incitation à passer à un système d’épargne forcée?

Non. Nous ne portons aucun jugement de valeur sur les 25 systèmes de retraite considérés. Nous présentons les différences existantes et leurs racines culturelles. 

La Suisse est un cas intermédiaire entre le système anglo-saxon et celui des Pays-Bas et certains pays nordiques. Les pays anglo-saxons sont caractérisés par une épargne forcée réduite, et ils cherchent à n’offrir à la retraite qu’un revenu de base minimum, à l’inverse des pays nordiques. Ne jugeons pas! Ce n’est pas parce qu’un système désire remplacer l’entier du revenu qu’il serait supérieur.

«Il n’y a pas de marché libéralisé des caisses de pension en Suisse puisque le salarié est lié à son employeur».

Quel est donc la question clé à propos d’un système de retraite?

L’important consiste à savoir s’il est durable. Il ressort par exemple de notre étude que le modèle australien est viable et le modèle français ne l’est pas, car trop exposé au vieillissement démographique. Le relèvement ou non du taux d’épargne forcé et les mécanismes de financement des rentes sont des choix politiques. 

Au Canada, l’épargne forcée a été accrue, mais cette décision ne plaît pas à certains laboratoires d’idées qui dénoncent cette approche collectiviste du système de retraite arguant qu’il est plus efficient de laisser la liberté individuelle en matière de retraite. 
Dans les pays où il existe un filet de sécurité pour les retraités, comme en Suisse avec les prestations complémentaires, il importe de disposer d’incitations à épargner durant la carrière d’un individu. Je comprendrais que l’on puisse critiquer un système sans incitations à épargner qui permette que des individus consomment tout leur revenu durant leur vie active et qui les autorisent à faire appel à la solidarité collective lorsqu’ils sont à la retraite. Un niveau d’épargne forcé élevé permet de se défaire de ce besoin de solidarité à la retraite.

Est-ce que le système de retraite suisse est durable?

Oui, même si l’AVS doit relever certains défis. Avec un taux d’endettement étatique faible et une charge fiscale modérée, la Suisse n’est pas un pays à risque. La France, à l’inverse, n’a pas un modèle de retraite durable. Elle présente un taux de dépenses publiques étatiques élevé pour les retraites, ainsi qu’un taux d’endettement et de pression fiscale également plus élevés. 

Indépendamment de la durabilité du système, il importe d’analyser le contrat de génération et de s’interroger sur son équité. Est-il juste de relever la TVA et les cotisations AVS pour les personnes qui ont les plus bas revenus et financer les rentes du premier pilier des personnes très aisées? Dans les pays anglo-saxons, où les rentes de base sont parfois en fonction uniquement des besoins vitaux, ce problème n’existe pas.

Compte tenu du nombre élevé de personnes qui font appel aux prestations complémentaires, le système suisse est-il juste?

En Suisse, dans le cas du deuxième pilier, les cotisations ne sont obligatoires qu’après le seuil d’entrée (22'050 francs). Dès lors, les temps partiels et les multi-emplois sont insuffisamment couverts. On crée une opposition entre deux groupes, ceux qui veulent davantage de LPP et ceux qui préfèrent davantage d’AVS. Il serait peut-être préférable de s’inspirer des pays nordiques et de l’Australie, où le deuxième pilier est obligatoire pour tous, avec un taux unique à partie du premier dollar ou du premier euro de cotisation. Et, si les ressources à la retraite sont insuffisantes, l’Etat finance le complément de rente à partir de l’impôt.

L’intérêt d’investir individuellement est mis en avant. Que recommandez-vous comme plan d’épargne investissement?

A long terme, les marchés financiers peuvent aider l’épargnant, sachant que le risque zéro n’existe pas. Dès qu’un jeune dispose d’un emploi, il peut investir ne serait-ce que 50 francs par mois dans un portefeuille d’investissement adapté à sa capacité et volonté à prendre du risque. Sur une période de 30 ou 40 ans, le risque d’une perte sur investissement sera très faible. Le potentiel de gain dépasse largement le risque de perte à long terme. 

Le plan d’épargne retraite doit dépendre du train de vie. Un compromis doit être trouvé entre le niveau de dépenses actuelles et le niveau de vie souhaité à la retraite. Je conseille de faire un plan d’épargne, seul ou avec un professionnel.

La place financière suisse est un leader de la gestion, mais l’innovation est-elle forte dans les plans d’épargne individuels?

Nous ne sommes pas en retard, mais l’investisseur privé, suisse, italien ou allemand, est peu enclin à prendre des risques dans ses investissements pour sa retraite. Au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Suède, au Canada, le salarié accepte toutefois davantage de risques sur ses investissements. Je pense que cela dépend davantage de la culture locale, forcément lente à changer, que des produits eux-mêmes.

La concentration sur l’âge de la référence n’est-elle pas obsolète face aux besoins de retraite à la carte et au désir de travailler partiellement au-delà de 65 ans?

Sans doute. Des progrès sont en cours en Suisse puisque l’on parle maintenant d’âge de référence plutôt que d’âge de retraite. La Suède a fait le pas, où demeure un âge de référence pour les rentes de solidarité (l’équivalent des PC). Le Suédois part à la retraite quand il le désire et sur la base de principes actuariels, sachant que sa décision modifie le niveau de la rente. J’apprécie beaucoup ce détachement face à ll’âge de 65 ans.

Vous-mêmes, si vous pouviez choisir le meilleur pays possible pour maximiser votre revenu de remplacement, où iriez-vous?

Mon approche est assez libérale. J’aime beaucoup le modèle australien. L’obligation d’épargne est limitée à 11,5% du salaire, et chacun peut gérer cette épargne. Le filet de sécurité est assez fort et il est financé par l’impôt. Je pense qu’il offre une grande variabilité des prestations, ce qui peut provoquer des formes de jalousie entre retraités. 

Le système idéal n’existe pas, si ce n’est qu’il dépend de sa couleur politique. Personnellement j’aime bien le système qui offre le plus de libertés. En Suède par exemple, dont une petite partie du premier pilier repose sur un système capitalisé, chacun peut choisir sa stratégie d’investissement.

La jalousie n’existe-t-elle pas en Suisse à travers les différents taux de conversion?

Votre remarque met en lumière deux aspects. Premièrement, il n’y a pas de marché libéralisé des caisses de pension en Suisse puisque le salarié est lié à son employeur. C’est un reliquat du système paternaliste. Deuxièmement, il existe une concurrence entre les employeurs à travers les prestations de leur caisse de pension. Trop souvent, les salariés le remarquent trop tardivement. 

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