Récession plutôt que stagflation: le (bon) choix des banques centrales

Anne Barrat

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Pourquoi la récession est le seul scénario souhaitable? Parce qu’elle ne durera pas, explique Mabrouk Chetouane de Natixis IM.

«Entre deux maux, il faut choisir le moindre». Difficile de mieux définir le dilemme auquel font face les banques centrales en cette année post-COVID, prouvant une fois encore l’intemporalité et l’universalité des propos d’Aristote, tirés de L’Ethique à Nicomaque (IVe s av. J.-C.). Stagflation impossible, récession moindre mal. Pour de vraies bonnes raisons explique Mabrouk Chetouane, Head of Global Market Strategy de Natixis Investment Managers.

L’inflation continue de monter, les banques centrales continuent d’augmenter leurs taux, est-ce la bonne réponse selon vous?

Il n’y en a pas d’autres. C’est le seul moyen pour les banques centrales de remplir leur mission première, la stabilité des prix. Laisser filer l’inflation aboutirait immanquablement à une contraction du pouvoir d’achat – et c’est déjà le cas en Europe ainsi qu'aux Etats-Unis. L’argument selon lequel les ménages pourraient y faire face au titre qu’ils ont accumulé d’importantes réserves d’épargne pendant la pandémie de COVID ne tient pas sur la durée – sans compter que les ménages les plus touchés par la perte de pouvoir d’achat ne sont pas ceux qui ont le plus d’épargne. Il ne faut pas perdre de vue que la croissance actuelle est assez précaire, qui compte tenu du niveau de croissance embarquée (acquis de croissance), montre des signes s’essoufflement faute de pouvoir production. Et ce, non seulement pour un certain nombre de raisons, certaines conjoncturelles ¬ la rupture des chaines d’approvisionnement liée au regain de COVID en Chine, et la hausse du prix des énergies provoquée par la crise russo-ukrainienne –, d’autres plus structurelles, au premier chef desquels la raréfaction de l’offre de travail. Les derniers résultats de l’enquête de la NFIB (National Federation of Independent Business) sont à cet égard intéressants, qui révèlent l’inquiétude chronique des patrons de PME américains face à leurs difficultés à pourvoir des postes. Profondément inflationnistes, ces tensions sur le marché du travail, constatées aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, impliquent des hausses de salaires qui ne sont pas soutenables sur le long terme. Sauf à imaginer des gains de productivité qui sont loin d’être phénoménaux. Contrairement à certaines idées reçues, l’inflation actuelle ne ressemble en rien à celles années 70. Causée initialement par un choc d’offre par les quantités, et dans un second temps par un choc sur les prix, elle ne s’accompagne pas de chômage. Les banques centrales en sont parfaitement conscientes et, même si elles ont tardé à intervenir, utilisent la seule arme possible, tout en sachant très bien que la monté des taux aboutira à une récession.

Là où la récession devrait commencer au 4e trimestre 2022 et durer jusqu’à la fin du 1er trimestre 2023 aux USA, le scénario est plus complexe dans le cas de l’Europe.
Pourquoi pensez-vous que les banques centrales vont choisir la récession plutôt que la stagflation?

La récession est un moindre mal, et, en tout état de cause, plus acceptable que la stagflation. Le dilemme auquel elles font face est simple: laisser filer l’inflation avec une issue certaine, la stagflation et, inévitablement, le chômage, ou durcir les conditions monétaires pour infléchir la demande, donc contracter l’activité, donc faire baisser les prix. Le choix est simple, dès lors que l’on rappelle que la principale différence entre ces deux scénarii est la durée: de l’ordre de deux à trois trimestres pour une récession, elle est indéterminée dans le cas de la stagflation qui constitue un équilibre sous-optimal. Les banques centrales font le choix du bon sens qui est aussi celui qui présente le moins de risque pour leur crédibilité – les outils dont elles disposent pour contrôler et sortir d’une récession sont beaucoup plus efficace que ceux pour sortir de la stagflation.

Comment voyez-vous les choses se dérouler concrètement?

Aux États-Unis, où la Fed est en « roue libre », une nouvelle hausse de 75bp interviendra cet été, avec un objectif de taux terminal de l’ordre de 3,5% – c’est-à-dire un taux supérieur au taux neutre, qui induirait un resserrement significatif des conditions monétaires. Elle va parallèlement accélerer la réduction de la taille de son bilan accentuant celle-ci dans le courant de l’été cet été. Elle agit vite et fort, sachant pertinemment que la répercussion de la hausse des taux ne se fera sentir qu’après plusieurs mois, l’économie américaine étant loin de la récession aujourd’hui. C’est la grande différence avec l’Europe, dont l’économie est moins florissante. C’est pourquoi la BCE a tardé pour intervenir, avec des hausses plus modestes –25bp en juillet, puis probablement 50bp en septembre et encore 50bp en novembre, avec un objectif de taux directeur  compris entre 1.0% et 1,25% d’ici la fin de l’année. L’action de Christine Lagarde doit tenir compte des risques de fragmentation des taux qui pourraient, dans le pire des cas, conduire à une dislocation e la zone euro. Son intervention est parvenue à ses fins, resserrer les spreads entre le 10 ans italien et le bund. Les leçons de la crise des dettes souveraines  de 2010 ont été retenues. Il n’est pas question pour elle de revenir sur l’arrêt des achats d’actifs, en revanche la BCE, parallèlement à la remontée de taux directeurs, pourra mettre un œuvre un programme d'achat de titres publics à destination des dettes périphériques (italienne, espagnole, grecque notamment). Là où la récession devrait commencer au 4e trimestre 2022 et durer jusqu’à la fin du 1er trimestre 2023 aux États-Unis, le scénario est plus complexe dans le cas de l’Europe, où la croissance est moins solide et plus volatile. En tout état de cause, la récession ne prendra pas fin avant la fin du 1er semestre 2023.

Comment protéger son capital dans ce contexte? Quelle allocation d’actifs privilégiez-vous?

Augmenter la poche de liquidités en réduisant certaines expositions, aux obligations en général, américaines et européennes en particulier, est la stratégie que nous adoptons. Avec la fin des taux négatifs, le cash cesse d’être un handicap, nous en profitons, modérément cependant. Dollar plutôt qu’euro. La hausse des taux souverains, avec ses conséquences sur les taux de défaut, est peu favorable au crédit, que ce soit High Yield et Investment Grade. Nous attendrons la fin de l’année pour rentrer de nouveau sur ces titres, en fonction de la dureté de la récession – nous penchons pour un scénario de récession « douce ». Du côté des actifs émergente, nous avons procédé à des réallocations, sortant de l’Amérique latine au profit de l’Asie – Chine, Singapour, Corée du Sud. Nous sommes plus neutres sur les actions de manière générale, pour la bonne raison que les résultats des entreprises restent, pour le moment, bien orientés dans certains secteurs, défensifs notamment.

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