La Suisse n’est plus un refuge tactique

Emmanuel Garessus

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La BNS devrait procéder à un assouplissement monétaire plus agressif et le franc devrait baisser de 5% contre l’euro d’ici 12 à 18 mois, avance Mathieu Savary, chez BCA Research.

 

Le franc s’est légèrement apprécié face à l’euro et au dollar après la décision de la Banque nationale suisse (BNS) de réduire d’un quart de point ses taux directeurs. Pour BCA Research, l’assouplissement monétaire n’est pas encore terminé. Mathieu Savary, stratégiste en chef pour l’Europe auprès de cet institut indépendant, répond aux questions d’Allnews:

La baisse des taux de la BNS d’un quart de pour-cent a été accompagnée de commentaires indiquant que la BNS ne baisserait pas davantage ses taux à moins d’événements exceptionnels. Qu’en pensez-vous?

La BNS a réduit ses taux d’un quart de pour-cent et non d’un demi pour-cent parce qu’il n’y a pas urgence à intervenir davantage. Elle préfère garder des munitions. Dans ses commentaires, Martin Schlegel a employé un ton plus «faucon» que prévu. Il était toutefois clair qu’elle n’accepterait pas que le franc continue de s’apprécier. Chez BCA Research, nous anticipons de nouvelles pressions haussières sur les devises européennes, y compris sur le franc suisse. La BNS sera alors forcée de réduire les taux et d’introduire des taux négatifs plus tard dans l’année.

La BNS se refuse-t-elle aussi à introduire dès maintenant des taux négatifs pour éviter ses effets sur les banques? Lors du précédent épisode, les marges des banques n’avaient-elles pas été mises sous pression, ce qui les avait amenés à augmenter les frais des clients?

Les banques ont tiré des enseignements de la dernière période de taux négatifs. La BNS peut mettre en place divers mécanismes sur les réserves, à l’image de la BCE et de la Banque du Japon, pour limiter l’impact des taux négatifs. Selon notre scénario de base, la BNS évitera de causer des dommages indirects sur les banques.

«Le franc perdra une partie de sa valeur refuge en raison de la déflation qui menace l’économie suisse.»

Le franc a réagi initialement par une légère hausse. Quelles sont vos attentes sur le franc?

Cette réaction ne surprend guère dans un contexte de forte volatilité et de tensions au Moyen-Orient qui poussent le franc à la hausse. 
A court terme, avec un dollar orienté à la baisse et le conflit au Moyen-Orient, un rebond du dollar ne serait pas étonnant. Mais à 12 ou 18 mois, le billet vert devrait baisser. Ce mouvement s’accompagnera d’une poursuite de la diversification des portefeuilles vers l’Europe. 

Le franc va donc continuer de s’apprécier, amenant la BNS à de nouveau baisser ses taux. Les prévisions de cours sur le franc sont toutefois compliquées par le fait que la monnaie est le principal véhicule de transmission de l’inflation dans le pays. Sans cette relation, nous nous attendrions à une hausse du franc de 5 à 6% face à l’euro et de 15 à 20% par rapport au dollar. Mais la BNS peut et veut empêcher qu’un tel mouvement se concrétise. Nous prévoyons donc une hausse du franc à court terme qui conduirait la BNS à réagir. D’ici 12 à 18 mois le franc devrait baisser de 5% contre l’euro et les taux devraient devenir négatifs en dépit de nouvelles interventions de la BNS sur le marché des changes.

Ne serait-ce pas le meilleur des mondes possible pour la BNS, celui d’une faible inflation modeste et la possibilité de réduire la taille de son bilan?

Exactement. C’est un monde préférable à celui des dernières années aux yeux de la BNS. Mais l’environnement a changé. L’euro a cessé de constamment baisser par rapport au dollar. Sous l’angle statistique, l’euro est plus sensible aux fluctuations du dollar que le franc suisse. A long terme, la baisse du dollar peut aider l’euro à s’apprécier face au franc suisse.

Dans votre dernière note, pourquoi parlez-vous de la fin de la valeur refuge du franc?

Le franc perdra une partie de sa valeur refuge en raison de la déflation qui menace l’économie suisse. Sans ce facteur-là, la BNS n’aurait aucune raison de baisser ses taux en dessous de 0%, compte tenu des distorsions causées par les taux négatifs. Ces derniers incitent par exemple le secteur privé à prendre des risques excessifs dans un contexte de dettes élevées des ménages privés.

La Suisse n’aura pas d’autre choix que de combattre toute hausse du franc à court terme. Mais à plus long terme, les forces économiques et le marché des changes nous amènent à croire que la BNS n’aura pas à intervenir très longtemps.

Quelle type de déflation menace la Suisse? Vous attendez-vous à une baisse des prix et des salaires?

A court terme, la déflation sera limitée. Mais une économie très endettée est plus sensible et vulnérable. Le risque devient plus élevé dès que les indicateurs de l’emploi se détériorent. La hausse des salaires sera largement contrainte. Il faut éviter une détérioration ultérieure.

En termes de parité du pouvoir d’achat, le franc est surévalué de 25% contre l’euro selon votre étude. Est-ce élevé historiquement?

Oui, effectivement. Pour cette raison, nous craignons que le risque de déflation augmente à court terme. Mais la Suisse ne risque pas une crise. Elle ne rencontre pas de problèmes structurels. En baissant encore les taux d’intérêt, la BNS peut éviter que la déflation ne devienne sévère et que le marché immobilier, en baissant, détériore le bilan des ménages.

Qu’attendez-vous des droits de douane américains sur la Suisse?

La Suisse est dans une position difficile par rapport aux Etats-Unis parce ces derniers modifient leur façon de mener leur guerre commerciale. L’accent est placé sur ce que l’on appelle la section 232 qui se traduit par une évaluation par catégorie de produits. Le risque majeur pour la Suisse vient du fait que la catégorie dans laquelle les Etats-Unis présentent le plus grand déficit commercial est la pharma. Par ailleurs, il est très populaire aux Etats-Unis d’avancer un agenda politique qui réduise les coûts de la santé. Comme la Suisse exporte en premier des produits pharmas, le risque est évident. Le problème ne sera pas majeur pour le pays, compte tenu des atouts structurels de la Suisse. L’incertitude reste toutefois élevée à ce sujet. Nous ne nous attendons pas à des résultats avant juillet en raison de l’aggravation du conflit au Moyen-Orient.

Quel sera l’impact des bilatérales III sur la Suisse?

Nous en attendons un impact positif pour la Suisse dans une perspective à moyen et long terme. Il fait partie des raisons pour lesquelles nous n’attendons pas de problème majeur pour la Suisse. A court terme, nous sommes davantage préoccupés par le choc sur l’industrie pharmaceutique.

Si l’inflation devait repartir à la hausse aux Etats-Unis et ailleurs, notamment du fait des tarifs et de la politique migratoire américaine, quels en seraient l’impact sur les courbes de taux américaine et suisse?

L’impact d’une hausse de l’inflation serait plus prononcé aux Etats-Unis qu’en Europe. L’inflation augmentera aux Etats-Unis alors que la Suisse est menacée d’un risque de déflation. Donc l’écart de prix augmentera. La courbe de taux américain augmentera, ce qui pourra créer des tensions haussières sur la courbe suisse, mais bien moindres. 

Il faut aussi comprendre que cette inflation américaine se traduit par une baisse du dollar, ce qui limitera encore l’impact sur la courbe suisse. Cependant nous observons un ralentissement significatif du marché du travail américain, des signes de faiblesse de la consommation et une certaine vulnérabilité de l’immobilier. Tout cela suggère qu’à 6 à 12 mois, la tendance de l’inflation sera plutôt à la baisse. Enfin, nous pensons que l’augmentation des tarifs crée une hausse de l’inflation, mais elle fonctionne comme un relèvement d’impôt tel que celui de la TVA. L’effet n’est que temporaire. 

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