Qui trop embrasse mal étreint

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Une banque privée ne peut réunir sous un même toit toutes les expertises nécessaires à servir ses clients. Entretien avec Hans Itburrun de Cramer.

Arrivé depuis peu à la Banque Cramer, Hans Itburrun y apporte une vision assez différente de celle que l’on rencontre communément dans les banques privées traditionnelles. Son objectif? Sortir du moule et des conflits d’intérêt. Comment? En réattribuant au banquier ses responsabilités, en particulier celle de décider quel rendement atteindre pour ses clients. Entretien avec le nouveau CIO de la Banque Cramer.

Quelles sont les lacunes, selon vous, de l’approche communément admise du «profil de risque» du client?

Faire choisir son «profil de risque» au client, c’est lui renvoyer la patate chaude. Choix du client? Faute du client? Non. Quand le client «définit son risque», il entend préciser un maximum et non un minimum de qu’il est prêt à engager. Le modèle, tel qu’il est parfois compris, peut être dangereux car il autorise une certaine complaisance. Mieux vaudrait s’en débarrasser. Car c’est au banquier de défendre le capital de son client, à tout prix, et c’est donc à lui de choisir le rendement et le couplage rendement/risque en fonction de sa connaissance du marché et des limites que le client peut supporter. Il faut remettre en place le vrai private banking, celui qui est défini pour la clientèle privée et non pour une clientèle pseudo-institutionnelle.

Vous vous insurgez aussi contre les conflits d’intérêt.

Combien d’établissement vous disent le plus grand bien de la Chine? … parce qu’ils gèrent un fonds d’actions chinoises. Nous avons fait le choix de n’avoir ni fonds interne, ni analystes internes, parce qu’une banque de taille modeste comme Cramer ne peut réunir sous un même toit toutes les expertises nécessaires à servir ses clients. «Qui trop embrasse mal étreint». Notre rôle est d’allouer correctement le capital en sous-traitant les aspects techniques à qui maitrise une expertise plus détaillée.

Vos stratégies collent-elles aux benchmarks?

Ce n’est pas ainsi que nous concevons nos portefeuilles. Les indices sont bien évidemment à surveiller et nous sommes prêt à le suivre de près dans le cadre d’un régime de marché dites «Momentum». Dans ce cas cette approche implique que l’indice est «sain» et «représentatif»! Nous pensons qu’aujourd’hui que les indices sont boursouflés par les politiques monétaires longuement soutenues par des banques centrales. J’irai jusqu’à dire que nous sommes en phase de «capitalisme de connivence». Les marchés tels que nous les observons aujourd’hui sont périlleux pour les clients privés. Un banquier privé digne de ce nom se doit d’appliquer une stratégie de type approprié, dépendant du régime de marché dans lequel on se trouve. Aujourd’hui, les indices sont pipés. Dès lors, nous parions sur une approche «Absolute Return», agnostique des indices. Mais il faut rester flexible…

«Nous avons shorté le Brésil, la Turquie, les cryptos et le solaire. En attendant de shorter le high yield US.
Cela parait très ambitieux.

Si on n’aime pas la finance passionnément, il ne faut pas en faire.

«Absolute Return» n’est-ce pas plutôt une approche de hedge fund?

Peut-être est-ce parce que j’ai commencé ma carrière dans les hedge funds chez Merrill Lynch? Mais oui, l’Absolute Return est une notion empruntée à la gestion alternative et qui implique l’utilisation des ventes à découvert. Peu de banques privées les pratiquent car c’est une technique lourde opérationnellement mais nous n’hésitons pas lorsque nous l’estimons nécessaire. Nous avons ainsi shorté, le Brésil, la Turquie, les cryptos et le solaire. En attendant de shorter le high yield US.

Les options que vous défendez sont plutôt inhabituelles.

Cramer est l’une des dernières banques familiales de la place. A ce titre, elle peut défendre ses choix en toute indépendance. 

Quelle est la typologie de votre clientèle?

Comme vous l’avez surement deviné, il s’agit d’une clientèle privée, largement constituée de jeunes entrepreneurs. Elle est en partie établie en Europe de l’Est, en Amérique Latine et bien sûr en Suisse. 

En matière de thématique, vous lancez un certificat sur «ce qui fait revenir les gens au travail». Pouvez-vous nous en dire plus?

Cette stratégie vise à offrir une exposition à des sociétés de taille petite et moyenne susceptibles de bénéficier des politiques gouvernementales qui s'attaquent aux conséquences de la récession du COVID-19 en visant à remettre les gens au travail. Les Etats-Unis ont lancé le programme «Build Back Better» et on parle ici du retour à l’emploi de près de 8 millions de personnes. Des programmes similaires ont vu le jour ailleurs dans le même esprit de création de postes. Ce thème global mise sur les petites et moyennes entreprises qui sont aujourd’hui les chouchous des autorités. Comme évoqué plus haut et compte tenu des évaluations, nous avons choisi une stratégie de type «Absolute return».

Pour en revenir aux expertises externes, vous avez passé un accord avec Ashenden Finance. De quoi s’agit-il?

Comme je l’évoquais plus tôt, nous essayons d’identifier les meilleurs experts dans chaque domaine. Depuis un certain temps, les rendements obligataires très bas et il nous faut explorer des frontières que nous ne maitrisons pas toujours. Nous avons suivi le travail d’Ashenden Finance pendant plusieurs mois au terme desquels, convaincus par sa connaissance pointue de l’univers obligataire, nous lui avons confié une partie de nos mandats. En accord avec Cramer, Ashenden Finance exécute la vision mise au point ensemble, en cogestion. Nous envisageons également le lancement d’un certificat Cramer-Ashenden. Cette segmentation des activités est une tendance naissante dans un monde de plus en plus spécialisé et au sein d’un secteur qui doit se soucier d’être efficace et rentable. 

A lire aussi...