Le marché obligataire américain s’est stabilisé après quelques alertes. Mais les craintes subsistent, non seulement sous l’angle de l’inflation et du budget américain, mais aussi des sorties de capitaux des investisseurs internationaux. Bill Campbell, portfolio manager de DoubleLine Capital, répond aux questions d’Allnews:
L’inflation continue-t-elle à décliner aux Etats-Unis?
Les statistiques d’inflation de mai sont relativement favorables, mais elles ne modifieront pas le comportement de la Fed. La hausse des prix atteint 2,4% sur base annuelle. L’intégration des droits de douane dans l’inflation reste un point d’interrogation et impactera différemment chacun des secteurs. Nous attendrons les statistiques de juin pour y voir plus clair. Mais si l’attitude du gouvernement est moins agressive sur les tarifs, la visibilité reste faible. Sur l’inflation, l’effet de base est aussi à prendre en compte, sachant que les prix étaient stables en mai 2024 sur base mensuelle et avaient légèrement diminué en juin 2024. La Fed attendra avant de se faire une idée plus claire sur une poursuite ou non de la baisse de l’inflation. Nous pensons qu’elle maintiendra les taux au niveau actuel cette année à moins d’un événement majeur.
La réaction du marché obligataire est intéressante, avec une légère pentification de la courbe de taux. Cela confirme notre vue. Les prochaines statistiques à suivre de près sont celles sur l’emploi. Le marché du travail reste sain mais si l’on creuse un peu, on se doit de constater l’émergence de diverses vulnérabilités. L’économie est entrée dans une phase transitoire marquée par un ralentissement et une incertitude qui pousse la Fed à maintenir les taux inchangés. La prime de terme s’accroît pour la détention d’obligations à longues échéances.
«Les taux d’intérêt se maintiendront à un niveau élevé, si bien que la pression restera sensible sur les hypothèques et l’accès au crédit.»
Est-ce que l’économie américaine évitera une récession cette année?
Un accident peut se produire. Mais le revirement partiel de l’Administration Trump sur les tarifs, abandonnant des taux extrêmes pour mieux négocier, réduit la probabilité d’une récession à court terme. Il n’en reste pas moins que des dommages ont été causés à l’économie. Les indicateurs de sentiment se sont détériorés. Les consommateurs sont plus prudents. L’emploi pourrait s’affaiblir. Par rapport au début de l’année, l’économie est davantage vulnérable à un choc exogène.
Nous devrons maintenant porter notre attention sur le budget et son impact. Il s’agira d’observer si, comme l’Administration Trump le pense, l’économie sera davantage stimulée par le budget ou si les taux d’intérêt augmentent. Nous pensons que les taux d’intérêt se maintiendront à un niveau élevé, si bien que la pression restera sensible sur les hypothèques et l’accès au crédit. Le résultat net des facteurs positifs et négatifs n’est pas évident à distinguer.
Le marché obligataire a déplacé son attention vers le budget, mais le rendement à 10 ans semble stabilisé vers 4,5%. Quelle est votre analyse?
Le marché passe d’un thème à l’autre. Ses préoccupations sont passées des droits de douane au budget. Notre tâche, chez DoubleLine, consiste à regarder sur les 18 prochains mois et à positionner notre portefeuille en conséquence. Si notre trajectoire est correcte, il sera plus aisé de réagir à la volatilité du marché. Nous voulons limiter strictement nos adaptations d’ordre tactique pour rester en ligne avec nos vues à moyen terme. D’ailleurs les derniers mouvements du marché n’ont pas changé nos convictions.
Lesquelles sont-elles?
Finalement, nous ne voyons pas de réels efforts pour ajuster le budget. Et sur le plan des tarifs, la tendance est à la réduction des premières mesures. A moyen terme, l’inflation restera élevée.
Sur le marché obligataire, je préfère considérer le 30 ans que le 10 ans. Son rendement est de 4,9% et il pourrait grimper vers 5 ou 5,15%. Le marché est également préoccupé par l’idée d’un retrait progressif des investisseurs étrangers. Si rien ne change significativement, c’est-à-dire si l’inflation reste vers 2 à 2,5%, et si l’inflation atteint 2 ou 2,5%, nous pourrions avoir une juste valeur des bons du Trésor à 30 ans vers 4,5 à 4,75%, à quoi il faudrait ajouter la prime de terme. Les taux à long terme continueront donc d’augmenter légèrement.
Mais si des craintes d’un ralentissement majeur surviennent, ou si les actions consolident après un nouveau record des indices, les obligations pourraient profiter d’un rallye, mais ce rallye serait uniquement d’ordre tactique. Les tendances sous-jacentes ne seraient pas modifiées. J’ignore les développements des prochains jours, mais je ne serais pas surpris qu’au second semestre les taux d’intérêt augmentent.
«La réelle préoccupation est liée au fait que l’Administration pense que le budget accélérera la croissance.»
Ne craignez-vous pas davantage qu’une légère hausse de la prime de terme à la suite d’un budget apparemment inquiétant?
Le déficit budgétaire est l’une des raisons de la hausse attendue de la prime de terme. Le budget est expansif. En dehors d’une période de récession, les gouvernements s’engagent normalement à consolider les finances publiques, soit par une hausse des recettes, soit à travers des réductions de dépenses. Aujourd’hui, il est clair que la dette devrait continuer d’augmenter. L’économie américaine sera ainsi pénalisée par des taux d’intérêt supérieurs et en particulier à long terme. Il en résulte une nette augmentation des paiements d’intérêts sur la dette dans le budget. Il est inévitable qu’à un certain moment les dépenses soient réduites. Plus on attend et plus le problème empirera. La réelle préoccupation est liée au fait que l’Administration pense que le budget accélérera la croissance. J’espère qu’il en sera le cas, mais le doute est permis. Et si la croissance n’accélère pas à la suite du budget, le problème sera encore plus sérieux.
Les stratégistes européens recommandent presque tous de rapatrier leurs actifs américains vers l’Europe. Est-ce que les investisseurs américains sont tentés par une diversification accrue hors des Etats-Unis?
Les investisseurs américains ont profité du fait que le marché américain était la destination de choix depuis plusieurs décennies. Les raisons sont claires et vont d’une croissance économique plus élevée qu’ailleurs, à la plus forte croissance des bénéfices, avec un dollar profitant de son capractère de monnaie de réserve principale. Le mouvement part un peu dans l’autre sens aujourd’hui. Mais ce changement sera lent et graduel.
Les investisseurs internationaux augmentent progressivement leur biais domestique, ce qui augmentera les capitaux sur leurs marchés, réduira leurs coûts du capital et potentiellement augmentera leur potentiel de croissance et le rendement de leurs investissements.
Mais les investisseurs américains commencent à peine à diversifier leurs avoirs hors des Etats-Unis et à changer de mentalité. Cette transformation ne se fera pas en un jour. Premièrement, le marché des capitaux international n’est pas assez large et profond pour accueillir l’ensemble des capitaux américains. Initialement, on voit que les réinvestissements aux Etats-Unis se sont ralentis et que les investisseurs internationaux couvrent leurs placements en dollars, après avoir longtemps délaissé les instruments de hedging. L’augmentation de la dette américaine renforcera le mouvement.
Historiquement, le rendement des marchés émergents est très volatile. Au sein des pays industrialisés, les Etats-Unis ont surperformé l’Europe sur 10 ou 20 ans. Je pense qu’un changement est en cours. Comme beaucoup d’investisseurs adoptent des vues à long terme, le changement sera lent mais structurel. Il sera aussi intéressant de voir à quel point l’Europe sera capable de monétiser ces flux. Des interrogations et des contraintes existent à l’égard de l’Europe, par exemple en raison du déficit élevé de la France, ce qui ralentira le changement de tendance. C’est pourquoi, dans le domaine obligataire par exemple, la gestion active a toute sa place.
Quels segments du marché préférez-vous en ce moment?
Nous privilégions les produits structurés de haute qualité, qu’il s’agisse des MBS (titres adossés à des hypothèques) ou des CLO avec un rating de AAA (titres d’emprunts collatéralisés). Le segment de grande qualité offre une bonne liquidité qui facilite les ajustements de portefeuille.