Pour Swatch, tous les indicateurs passent au vert

Emmanuel Garessus

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Les sociétés familiales sont bien placées pour affronter la hausse des taux, selon Michel Keusch de Bellevue Asset Management.

Les sociétés familiales surperforment les entreprises à l’actionnariat dispersé à travers le cycle. L’observation est bien documentée et ne souffre que de deux exceptions, l’industrie financière (échantillon trop modeste) et la biotech, selon Birgitte Olsen et Michel Keusch, lesquels gèrent la stratégie «Entrepreneur» auprès de Bellevue Asset Management. Ces derniers sont ainsi responsables des portefeuilles dits «à forte conviction», ce qui signifie qu’ils s’éloignent souvent des indices small & mid-caps européen et suisse. Leur préférence pour des sociétés familiales disposant donc d’un actionnaire de référence (plus de 20% des droits de vote) les conduit à sélectionner des champions dans leur niche respective. Le gérant détient deux fonds de placement suisses qui répondent à cette stratégie, l’un de droit suisse et l’autre de droit luxembourgeois. Birgitte Olsen et Michel Keusch répondent aux questions d’Allnews:

Les sociétés familiales profitent-elles, sur base relative, de la hausse des taux?

Birgitte Olsen: Durant la longue période de très bas taux d’intérêt, les sociétés familiales ne profitaient pas de leur mode de financement qui ne fait guère appel à la dette. Elles ne maximisaient pas leur rendement des fonds propres. Nous entrons enfin, avec la hausse des taux, dans une situation où l’autofinancement devient une source de compétitivité.

Michel Keusch: Quand les taux étaient bas, aucun analyste n’a mis l’accent sur la  contribution de la baisse des frais financiers dans la hausse des bénéfices. Aujourd’hui, nous identifions aisément les sociétés qui peinent à se refinancer. Les sociétés familiales se financent souvent uniquement par leur cash-flow.

Birgitte Olsen: Près de 50% de nos positions sont «net cash», ce qui accroît leurs possibilités d’investissements, d’acquisitions, de dividendes.

Après les avertissements sur les bénéfices de VAT, Leonteq, Interroll, quels sont les prochains candidats aux nouvelles négatives?

B.O.: Le paysage entrepreneurial n’est pas homogène. Les branches d’activités les plus pénalisées sont la chimie, les sciences médicales, la distribution de soins et les semi-conducteurs, mais l’activité reste solide au sein des sociétés industrielles.  Après avoir été des refuges, les secteurs défensifs, comme la santé, sont maintenant touchés. Mais il est important d’adopter une approche individualisée.

Nous avons racheté Interroll après l’avertissement sur le bénéfice. La société est bien positionnée sur un trend structurel, celui des infrastructures globales liées aux phénomènes tels que le «re-shoring» ou les conséquences de l’Inflation Réduction Act américain.

VAT reste quant à elle une excellente société à apprécier non pas sur trois mois mais aussi sur le prochain cycle.

M.K.: Les candidats aux déceptions vont se faire rares. La saison des résultats débute à la mi-juillet. En raison des réglementations, un écart majeur avec les promesses nécessite l’annonce d’un «avertissement». L’essentiel des «profit warning» appartient donc au passé. Il était souvent la conséquence de tendances au déstockage et de la faible demande. La plupart des sociétés prévoyaient la fin du déstockage vers fin mars ou avril. Les derniers avertissements retardent la fin des mauvaises nouvelles au 3e ou 4e trimestre. Leur message est donc lié à une demande inférieure aux attentes.

Comme le cycle est plus faible en Europe, est-ce que vous subissez des retraits de fonds en ce moment?

B.O.: Non, nous enregistrons même des afflux d’argent frais de taille modérée mais continus. Les actions européennes profitent d’un discount significatif par rapport aux Etats-Unis. A la suite des prises de bénéfices sur la tech américaine, l’intérêt se porte sur l’Europe, un marché que nous jugeons très attractif en raison de sa très faible valorisation.

Le marché boursier est très divisé en ce moment à l’égard des perspectives pour le 2e semestre entre les partisans de l’atterrissage en douceur et ceux d’une récession. Un gérant de fonds ne peut donc y répondre qu’en diversifiant ses positions notamment entre «value» et «croissance».

Swatch est la première position de l’un de vos fonds. Comment le justifier, malgré sa sous-performance à long terme par rapport à Richemont ou LVMH?

M.K.: Nous ne cherchons pas à suivre de près un indice. Nous affichons nos convictions et nous nous fondons toujours sur l’analyse fondamentale de chaque société.

Nous croyons beaucoup à ce titre. Et d’ailleurs également Richemont, qui a profité de sa position forte dans la joaillerie et de la simplification de ses structures (vente des activités en ligne).

Swatch a affronté tous les vents contraires possibles ces 5 dernières années. Ceux-ci étaient souvent de nature externe (contestation à Hongkong, conjoncture chinoise, contraintes venant de la commission de la concurrence dans les mouvements). Ces problèmes appartiennent au passé. Celui du bas de gamme, qui n’était pas lié à l’Apple Watch mais d’un réseau de magasins trop étendu (700 unités à l’époque). Swatch a fermé la moitié d’entre eux pendant le covid pour les ramener à 350. La marque Swatch est redevenue profitable avec une forte croissance. Tous les indicateurs sont passés au vert, même si la réouverture chinoise tarde à prendre de l’ampleur. Le tourisme chinois augmente tout de même. En Europe, et pas seulement dans le luxe, Swatch est la société la plus exposée à la Chine.

Au plan de l’évaluation, l’action Swatch s’échange uniquement à sa valeur comptable.

Rappelons que Partners Group a racheté Breitling à 6 fois le chiffre d’affaires tandis qu’Omega (2,5 milliards de ventes) vaudrait davantage que Breitling en terme de multiple. Au cours actuel de Swatch, les 18 autres marques qu’Omega sont gratuites. La valorisation de Swatch est presque absurde. Le redémarrage pourrait survenir après les résultats semestriels.

B.O.: Le point négatif du groupe tient à sa communication aux investisseurs. Elle n’est pas adéquate, mais des progrès semblent se mettre en place. La perception va évoluer dans le bon sens.

Dans la santé, dans un contexte plus hésitant à l’égard des sous-traitants de la pharma, quelles sont vos convictions?

B.O.: Nous sommes très sous-pondérés dans la santé, où de nombreuses valeurs restent chères. Je peine à accepter des multiples supérieurs à 40 fois. A ce taux, la croissance ne doit pas seulement être pérenne mais aussi s’accélérer. Nous sommes investis toutefois dans Bachem.

M.K.: Il faut séparer les aspects cycliques et structurels de ce type de société. Quand une action subit une correction, les investisseurs vont jusqu’à douter des atouts structurels. La correction de Bachem, Lonza et de Siegfried provient de la hausse des taux d’intérêt qui renchérit le coût du capital. La demande ainsi que les capacités industrielles ont également diminué, ce qui a conduit aux «profit warnings» pour 2023. Mais l’avantage compétitif est inchangé. Bachem, Siegfried et Lonżą profitent d’un potentiel de croissance qui devrait être gigantesque ces prochaines années (15% par an). Un groupe tel que Roche avoue d’ailleurs que dans 10 ans il ne fera plus aucune production mais uniquement de la R&D.

B.O.: Notre préférée est MedMix, en raison de sa valorisation.

Quelles autres situations de retournement vous plaisent-elles?

B.O.: Nous aimons bien u-blox, une société très bien placée sur le thème de la numérisation (internet des objets, par exemple dans l’automobile et la robotisation) qui vise une croissance des ventes de 6 à 7% en 2023 (50% en 2022) avec une marge en légère baisse, un nouveau CEO venant d’Infineon

Est-ce que votre investissement majeur dans Swissquote signale une attente d’accélération du négoce boursier et crypto?

B.O.: Dans la finance, nous aimons bien Swissquote, qui est bien davantage qu’une société de négoce, VZ Holding et CF Tradition.  Swissquote profite aussi de la hausse des taux d’intérêt et s’échange à des multiples attractifs.

M.K.: La perception de Swissquote est tronquée. La société est de plus en plus une banque universelle, mais sans guichets. Par rapport aux banques de réseaux, Swissquote est un vrai disrupteur. Le trading demeure en son sein, mais la société dispose de nombreux autres leviers (crédit, leasing automobile, cartes bancaires, conseil, gestion de fortune). Le groupe n’est plus seulement suisse mais de plus en plus international. L’argent frais atteint 7 à 8 milliards de francs par an, la moitié en Suisse, mais le groupe va aussi profiter de la fin de Credit Suisse, ce qui pourrait doubler les inflows suisses en 2023.

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