Les obligations indiennes dans l’espoir d’un relèvement du rating

Emmanuel Garessus

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La dette indienne surperforme les obligations émergentes. Les progrès structurels du pays sont encore ignorés par les agences de rating, selon Kenneth Akintewe, chez abrdn.

L’Inde profite d’un intérêt marqué de la part des investisseurs. Mais si les actions indiennes sont très recherchées depuis plusieurs années, les obligations de ce vaste pays connu pour être la plus grande démocratie du monde ne sont guère présentes dans les portefeuilles. Il est vrai que la baisse de la roupie les pénalise et que l’accès à ce marché a longtemps été difficile. Mais l’entrée des obligations indiennes dans les grands indices obligataires émergents ouvre de nouvelles perspectives. A Singapour, Kenneth Akintewe, responsable des obligations souveraines auprès d’abrdn, est l’un des rares gérants en stratégies obligataires domestiques en Inde. abrdn a obtenu la licence nécessaire il y a plus de 10 ans et a lancé une stratégie obligataire dédiée en 2015. Kenneth Akintewe répond aux questions d’Allnews: 

L’Inde est connue davantage pour le potentiel de ses actions que pour celui de ses obligations, peut-être à l’inverse de la Chine. Comment percevez-vous le potentiel de la dette indienne?

Cette perception est erronée. Au cours des 10 dernières années, les obligations locales indiennes ont en effet présenté un rendement de 70%. Vous pouvez le comparer au rendement négatif des obligations européennes sur cette période. La surperformance de la dette indienne est également une réalité par rapport aux autres obligations locales émergentes. Un rendement de 70% sur 10 ans fait plutôt penser à certains marchés d’actions si ce n’est que la volatilité des obligations indiennes est extrêmement faible. Elle est comprise entre 5 et 6%. 

L’an dernier, le rendement de la dette locale indienne s’est élevé à 7% et sur 10 ans le rendement annualisé a avoisiné 5 à 6% en moyenne.

Ces gains ne sont-ils pas annihilés par la baisse de la roupie?

L’un des défis de la dette émergente réside précisément dans la volatilité de la devise. En l’occurrence, la volatilité de la roupie est l’une des plus basses au monde (entre 2 et 2,5% par mois). Cette stabilité s’explique par l’amélioration des fondamentaux de l’Inde et par la saine gestion de la politique monétaire. Cette faible volatilité devrait persister ces prochaines années. 

«Au cours des 10 dernières années, les obligations locales indiennes ont en effet présenté un rendement de 70%».

Il est possible de trouver des obligations émergentes en monnaie locale ayant un rendement de plus de 10%, mais la monnaie de plusieurs de ces pays a souvent été décevante en raison d’une volatilité excessive. 

La roupie a baissé par rapport au dollar depuis 10 ans, mais ce mouvement est plus que compensé par le rendement de la dette locale indienne. 

Que pensez-vous des perspectives pour 2024?

Nous pensons que le moment est bien choisi pour investir en obligations indiennes dans la perspective de 2024. Pour la première fois depuis des années, nous pensons même que la roupie devrait s’apprécier par rapport au dollar. 

Le déficit de la balance courante de l’Inde est un handicap majeur. Quels atouts permettent de compenser ce problème?

Le déficit courant est le fruit de la politique du passé. Il atteignait 5% du PIB il y a plus de 10 ans quand je suis arrivé en Inde, mais il a diminué depuis.

A cette époque, les investisseurs classaient l’Inde au sein des «fragile Five». L’Inde d’aujourd’hui est complètement différente, y compris sur les plans de la santé, de l’éducation et d’autres critères socio-économiques. Sur le plan environnemental, la situation reste très compliquée mais le gouvernement multiplie les efforts pour y remédier. 

Sur le plan de l’inflation, ainsi que je l’ai constaté la semaine dernière lors de mes visites, les autorités contrôlent très attentivement la volatilité des prix alimentaires à travers une politique de gestion des stocks de produits clés. L'Inde peut minimiser les conséquences des chocs alimentaires sur la population grâce à une gestion très sophistiquée de ces prix.  

Le déficit de la balance courante est de seulement 1 à 1,5% du PIB actuellement en réponse à une profonde transformation de l’économie. Les multinationales qui désirent investir en Inde n’ont plus les innombrables obstacles à franchir qui existaient il y a 10 ans pour obtenir des autorisations. Un investisseur étranger peut maintenant détenir 100% d’une filiale basée en Inde. Ce facteur s’ajoute à une forte croissance économique qui devrait perdurer durant des années et qui fait de l’Inde un pays très avancé y compris sur le plan technologique. Si Singapour est réputé pour son degré d’efficience, la livraison en Inde de produits achetés par eCommerce est devenue une question d’heures et non pas de jours. Dans les paiements, ce n’est plus une économie basée sur le cash. L’inclusion financière s’est considérablement améliorée. Les investissements directs sont en forte hausse, ce qui soutient la monnaie. 

Est-ce que l’Inde profite surtout, auprès des investisseurs, de sa position géopolitique et du paiement de son pétrole en roupies?

La position géopolitique de l'Inde est le résultat d'une longue histoire. Lors du conflit avec le Pakistan en 1965, les États-Unis se sont rangés du côté du Pakistan. Mais aujourd'hui, l'Inde est un allié important des États-Unis. Ces derniers comprennent l’importance de l’Inde et du contexte et ne réagissent pas aux achats indiens de pétrole et de matériel militaire russe. 

Lors du déclenchement de la guerre en Ukraine, le regard des autorités indiennes, en particulier du Premier Ministre Narendra Modi, a été de minimiser le coût du pétrole pour la population, encore très pauvre. Il lui est crucial de ne pas renchérir les produits alimentaires et énergétiques. C’est pourquoi l’Inde achète son pétrole à la Russie. Les investisseurs comprennent la complexité de cette situation. 

«La volatilité de la roupie est l’une des plus basses au monde (entre 2 et 2,5% par mois)»

Comment se développe le marché obligataire indien?

Il s'agit d'un marché relativement important, mais les investisseurs étrangers ne représentent que moins de 2 % du marché total. Lorsque ces derniers sont très fortement présents sur un marché, le risque est élevé qu’un choc produise une baisse majeure. S’ils ne représentent que 2% du total, la volatilité est forcément plus faible. Lors de la crise du Covid, si beaucoup de marchés ont chuté de 20%, la dette indienne, y compris l’effet monétaire, n’a pas baissé de plus de 4 à 6%. Nous apprécions donc le marché obligataire indien pour sa robustesse et sa faible corrélation avec les principaux indices obligataires.

Quel est le rating moyen de votre portefeuille?

Il est «Investment Grade» (IG) parce que la notation du gouvernement est aussi IG, en l’occurrence BBB-. Comme le dit le ministre indien des finances lui-même, les agences de notation sous-estiment l’Inde et notamment 10 ans de profondes réformes structurelles. Il ne faut pas oublier que l’Inde est la plus grande démocratie au monde et qu’il n’est pas aisé de transformer le pays. Le parlement est contrôlé par le BJP, le parti de Nardendra Modi. Malgré toutes ces réformes, la notation n’a pas été modifiée depuis 10 ans. Même les perspectives n’ont pas changé. Les agences sont incroyablement en retard. Le rating de l’Italie est meilleur, bien que sur de nombreux points, y compris la démographie, l’Inde soit plus solide.

Avec une économie en forte croissance et une inflation encore élevée, ainsi que des élections en avril ou mai, quelles sont les perspectives à court terme du marché obligataire?

Il est très peu probable que les élections soient une source de volatilité, car le BJP semble assuré de les remporter facilement. L’opposition est par ailleurs très divisée. Mais le gouvernement Modi aura ensuite à faire avancer des dossiers aussi importants que compliqués, en particulier des réformes agricoles ainsi que la transformation du marché du travail. 

L’inflation résulte en partie des produits alimentaires, donc de produits agricoles fort dépendants de la saison des pluies. Des réformes agricoles sont donc nécessaires et doivent inclure des systèmes d'irrigation plus répandus pour réduire la dépendance à l'égard des précipitations, des capacités de transport du froid et des infrastructures de stockage du froid. Avec Modi, la politique du gouvernement aura l’avantage de la stabilité et d’une volonté de faire avancer ces réformes. 

Le taux directeur atteint 6,5% et dépasse le niveau de l’inflation (5% et l’inflation hors alimentation et énergie à 3,6 % en janvier 2024). La banque centrale a pour objectif un taux de 4%, mais il n’est pas aisé pour celle-ci de contrôler une inflation fortement dépendante des prix agricoles. 

Pour l'instant, la banque centrale tente de maintenir les taux à un niveau suffisamment élevé pour calmer la croissance du crédit, qui était en hausse de 20% sur une base annuelle au début de l'année 2024. Nous prévoyons une baisse des taux d'intérêt de 50 points de base en 2024 et jusqu'à 100 points de base au cours du cycle jusqu'en 2025. La politique monétaire devrait progressivement devenir neutre avant de procéder à un assouplissement. Ce scénario est naturellement favorable aux obligations. 

Les avantages des obligations indiennes sont clairs : un sous-évaluation de la qualité du crédit indien, une baisse de l’inflation vers 4,5% et des taux l’intérêt plus bas de 0,5 à 1%. Le rendement devrait être de 7% auquel il est possible d’espérer une plus-value de 3% et une hausse de la roupie. Une faible volatilité de seulement 5%, une faible corrélation avec d'autres classes d'actifs, des dizaines de milliards de dollars de flux d'inclusion dans l'indice attendus et une très faible participation des investisseurs étrangers à l'heure actuelle. Les rendements bruts supérieurs à 7% sont attrayants, avec la perspective de gains en capital d'environ 3-7%, et la perspective d'un gain en capital de 3% et d'une hausse de la roupie.

Quels pièges attendent l’investisseur en obligations indiennes?

L'accès n'est pas un problème, car les investisseurs peuvent s'en remettre au gestionnaire du fonds, qui gère toute une série de questions relatives au marché des capitaux. Par exemple, il peut y avoir un impôt de 30% sur les plus-values si un gain sur une position est réalisé dans les 12 mois, c'est pourquoi la gestion active est importante pour contrôler ce risque. Une gestion active est donc importante pour contrôler ce risque. Une gestion passive et un rééquilibrage régulier pourraient être exposés à ce risque. Ce sont ces nuances opérationnelles qui ont éloigné de nombreux investisseurs étrangers dans le passé, mais qu'un gestionnaire expérimenté peut évaluer et gérer.

Est-ce que les obligations indiennes seront mieux représentées dans les indices obligataires?

Un événement majeur à ce sujet va se produire au milieu de l’année, avec l’intégration d’une partie du marché local dans un grand indice émergent, le JP Morgan Emerging Market Local Currency Bond Index. On estime que plus de 300 milliards de dollars de capitaux suivent cet indice. L’Inde devrait représenter 1% de cet indice en juin et grimper jusqu’à 10% en mars 2025. 

C'est l'un des principaux facteurs de soutien de ce marché cette année. Les entrées mensuelles de capitaux étrangers s'élevaient à 1 milliard de dollars par mois vers la fin de l'année dernière et ont maintenant atteint près de 3 milliards de dollars en février 2024.

L’inclusion dans l’indice pourrait amener 30 à 50 milliards de dollars, selon les anticipations. D’autres indices, comme le Bloomberg Barclays Index, pourraient suivre, ainsi que le Global Aggregate Bond Index. 

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