Les incertitudes liées à une récession induite

Yves Hulmann

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Pour Daniel Morris, stratège chez BNPP AM, la dynamique positive de l'Europe et de la Chine va se poursuivre. L'inflation aux Etats-Unis pourrait être plus tenace qu’attendu.

Le recul de l’inflation observé aux Etats-Unis en fin d’année marque-t-il un véritable tournant ou s’agit-il d’une simple pause momentanée ? Et quelle est l’attitude à attendre du côté des banques centrales au cours des prochains mois ? Le point avec Daniel Morris, Chief Market Strategist chez BNP Paribas Asset Management.

Quel est votre scénario principal pour 2023 concernant les principales économies mondiales?

Ce qui différencie la situation actuelle d’autres récessions ou d’autres phases de ralentissement de la conjoncture par le passé est que les principales économies mondiales évoluent dans des phases très différentes. Aux Etats-Unis, la croissance reste soutenue et le marché du travail encore très solide. L’Europe est la région du monde la plus affectée par la crise énergétique, tandis que l’économie chinoise commence seulement à se remettre de la pandémie et a crû en 2022 à un rythme très inférieur de la dernière décennie. Les marchés émergents restent, eux, très influencés par l’évolution du cours du dollar. Cette évolution très désynchronisée de l’économie mondiale peut ainsi être un facteur générateur de volatilité – car les marchés se focalisent par moments sur l’une ou l’autre de ces régions. Il faudra rester attentif à cet aspect tout au long de 2023. En revanche, je ne crois pas que l’on assistera à une récession globale synchronisée comme cela avait été le cas durant la grande crise financière mondiale de 2008. La zone euro pourrait toujours entrer en récession en raison du choc des prix de l’énergie. Cela ne signifie pas pour autant que la croissance de l’économie mondiale va s’effondrer cette année.

Et quelles sont vos attentes pour les Etats-Unis?

La situation de l’économie américaine est très particulière: pour la Réserve fédérale (Fed), la question qui se pose actuellement est de savoir à quel point la récession doit être profonde pour pouvoir ramener l’inflation au niveau souhaité. On a en quelque sorte affaire à une «récession ingéniérisée». Le ralentissement actuel de l’économie américaine résulte d’une récession induite – elle n’est pas le résultat d’une crise soudaine dans une branche ou l’autre de l’économie, comme cela avait été le cas à cause de l’immobilier en 2008 ou de l’explosion de la bulle Internet au début des années 2000.

Généralement, le moment où l’économie entre en récession n’est pas la période la plus facile pour investir dans les actions.
Quelle sera la priorité pour la Fed cette année: faire redescendre à tout prix l’inflation aux Etats-Unis, à moins de 3% par exemple – ou éviter que le ralentissement en cours de l’économie ne bascule vers un «hard landing»?

Je pense que la volonté de la Fed à pouvoir montrer qu’elle est capable de contrôler l’inflation va prévaloir. La Fed ne peut pas simplement se contenter d’attendre que l’inflation redescende vers les 2%. Durant les prochains mois, elle va surtout continuer à montrer qu’elle est capable de lutter de manière résolue contre l’inflation.

Quel est le taux terminal que vous anticipez du côté de la Fed?

Ce niveau est très difficile à déterminer. Jusqu’en milieu d’année 2022, beaucoup d’économistes se disaient, si les taux (Fed Funds) remontent à plus de 4%, ça serait incroyable. Or, on est maintenant déjà à 4,25%-4,5%. Désormais, les attentes du marché situent ce plafond à 4,75% ou davantage, ce qui nous paraît raisonnable. Maintenant, il faudra aussi observer comment le marché analyse la situation: l’attitude actuelle de la Fed est de dire qu’elle ne va pas arrêter avant 2024. Or, les acteurs du marché ne croient pas vraiment à ce scénario et anticipent plutôt que la Fed va plus vite cesser de remonter ses taux directeurs et va commencer à procéder à une première réduction à l’été 2023.

Aux Etats-Unis, l’inflation (CPI) s’est établie à 6,4% en décembre en glissement annuel, comparé à 7,1% en novembre. S’agit-il d’un repli temporaire ou peut-on parler du début d’une véritable inversion de tendance?  

Il semble bien que l'inflation mondiale commence à ralentir du fait du reflux des prix de l’énergie. L’évolution de l’inflation sous-jacente est toutefois différente de part et d’autre de l’Atlantique. Aux États-Unis, l'inflation hors alimentaire et énergie s’infléchit depuis maintenant quatre mois sous l'effet de la baisse des prix des biens et du ralentissement de l'inflation dans le secteur des services.

Dans la zone euro, en revanche, l'inflation sous-jacente a continué à accélérer pour atteindre 5,2% en décembre. L’augmentation des salaires reste préoccupante dans les deux régions. Les marchés du travail semblent encore trop tendus pour anticiper le ralentissement rapide du rythme des hausses de salaires.

Pour les marchés, la fin de la hausse des taux devrait être une bonne nouvelle. A quoi faudra-t-il être attentif lorsque l’on verra les taux atteindre leur plafond?

En principe, le moment où les taux auront atteint leur plafond devrait être un facteur de soutien pour les marchés. Toutefois, il faudra ici être attentif à deux aspects différents: d’un côté, si les taux des Fed Funds atteignent leur pic à 5%, par exemple, les marchés se diront alors: «super, la phase de resserrement de la politique monétaire de la Fed est derrière nous». Mais ce ne sera que la première moitié de l’histoire: ensuite, les investisseurs commenceront aussi à se poser la question de savoir pourquoi la Fed a décidé de commencer à réduire ses taux. Si c’est en raison d’un ralentissement trop marqué de l’économie - qui se traduirait inévitablement par une détérioration des attentes des bénéfices des entreprises -, cela pourrait avoir un impact négatif sur les marchés et être une source de volatilité. Généralement, le moment où l’économie entre en récession n’est pas la période la plus facile pour investir dans les actions. S’agissant des marchés obligataires, je m’attends en revanche à ce qu’ils évoluent favorablement en 2023.

Durant la première moitié de janvier, les marchés des actions ont débuté l’année de manière positive. Comment l’expliquez-vous?

Après une avalanche de mauvaises surprises en 2022, nous en avons eu quelques bonnes pour démarrer la nouvelle année. L'Europe traverse l'hiver beaucoup mieux que prévu et la récession pourrait même être évitée. La réouverture de la Chine était certainement inattendue si tôt et profitera particulièrement à l’Europe.

L'inflation américaine reflue plus rapidement que prévu, faisant espérer aux investisseurs que la Fed sera en mesure de baisser les taux directeurs dès l'été.

Nous pensons que la dynamique positive de l'Europe et de la Chine va se poursuivre mais nous doutons que l'inflation aux Etats-Unis s'effondre aussi rapidement qu’anticipé à l’heure actuelle. Les attentes sur le niveau des fed funds devraient donc s’ajuster à la hausse.

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