Pascal Gilbert de DNCA, fort d’un rendement de 6,5% l’an dernier sur les titres souverains, présente sa stratégie.
Pascal Gilbert est une exception dans l’investissement obligataire. Il est parvenu à présenter une performance de 6,5% en 2022 (5% en 2021) en se concentrant sur les titres souverains alors que l’essentiel des gérants ont perdu entre 10 et 15%. Aujourd’hui, beaucoup d’investisseurs sont très positifs sur les obligations. Pascal Gilbert est plus réservé. Responsable d’un portefeuille obligataire de 6,4 milliards d’euros (3 milliards au début 2021), il répond aux questions d’Allnews sur ses choix de gestion:
Pascal Gilbert: Une anomalie émerge entre le stress attendu et la réalité économique. Depuis le début de la guerre en Ukraine, chacun s’attend à des temps difficiles. Les consommateurs, les entreprises et les investisseurs se sont bien préparés à une crise. Finalement, la consommation des ménages reste solide tant aux Etats-Unis qu’en Europe.
Aujourd’hui, le marché de l’emploi est solide et les revenus nominaux en augmentation. Face à cet environnement inédit, je suis donc assez partagé sur la situation américaine. Une tendance à l’essoufflement contraste avec des signes de résilience.
Sur la politique monétaire, nous pensons que la Fed maintiendra les taux entre 4,75% et 5% plus longtemps que ne le croit le marché. Mais, même si ce n’est pas notre scénario, un changement peut se produire rapidement, en cas d’affaiblissement du marché du travail.
La Fed n’a pas l’intention de changer de modèle. Pour tuer définitivement les anticipations inflationnistes, elle veut remonter le taux de chômage comme le prévoit la courbe de Phillips. Il entend réduire l’écart entre l’offre et la demande d’emplois. Aujourd’hui, il y a 1,75 offre d’emploi pour un emploi aux Etats-Unis. Face à ce rapport encore élevé, la Fed pense qu’elle ne peut pas juguler l’inflation.
Le pic des taux courts sera atteint au premier semestre vers 4,75%-5%. Nous devions ensuite assister à une stabilisation des taux le temps que ce niveau produise ses effets dans l’économie. Pour acheter des obligations longues aux Etats-Unis, il faut s’attendre à une récession et à une forte et rapide réaction de la Fed,. Aujourd’hui, le marché anticipe une baisse de 200 points de base entre juin 2023 et décembre 2024. Nous n’adhérons pas à ce scénario et pensons plutôt que le rendement du dix ans grimpera à 4%.
Nous pensons que les parties longues sont souvent très chères. L’investisseur peut toutefois se pencher sur le risque de crédit, par exemple en Afrique du Sud ou au Mexique. Nous pensons que 2023 sera une année de normalisation. Les performances obligataires américaines et européennes seront peu ou prou en ligne avec les marchés monétaires, soit entre 1,5% et 4,5% en Europe et 4,5% et 6% aux Etats-Unis. L’investisseur ne sera pas rémunéré pour la prime de duration. Mais il ne perdra pas d’argent en 2023. Nous sommes neutres en termes d’exposition obligataire. Les marchés anticipent des baisses de taux significatives dès l’été et une normalisation de l’inflation autour de 2%. Nous partageons l’idée d’un tel recul à court terme pour l’inflation. Nous doutons toutefois, en raison de la déglobalisation, de la transition énergétique et de la géopolitique, qu’elle reste à 2% ces 10 prochaines années Il y a très peu de marchés obligataires où l’on peut être long et fermer les yeux.
Nous pensons qu’il ne pourra plus y avoir de surprise en 2023 sur les politiques monétaires, à l’inverse de 2022. La volatilité reste élevée. Nous pouvons donc jouer une baisse de la volatilité dans les obligations pour les parties courtes.
Sur le crédit, il n’y a pas de risque de défaut. Par contre, avec du Investment Grade (IG) à cinq ans, le spread de 200 points de base risque d’être gommé si la Fed ne baisse pas ses taux en 2023. Même l’IG présentera une performance proche du marché monétaire. Dans le haut rendement, le spread est attrayant, mais il faut être très sélectif.
Dans les marchés émergents, des banques centrales ont vigoureusement réagi à l’inflation, en relevant fortement les taux directeurs, par exemple en Colombie, en République tchèque ou en Hongrie. Ces deux derniers sont fortement connectés à la zone euro. La parité euro/couronne tchèque est très stable ou progresse. Les taux tchèques sont à 7% et la volatilité avec l’euro à 3%. Le surplus de rendement par rapport à l’euro atteint 2%. Nous apprécions ce pari sur la devise, d’autant qu’elle est liquide.
La volatilité des changes, à l’inverse des taux d’intérêt, n’a pas évolué. Les pays émergents exportateurs de matières premières, comme l’Afrique du Sud, le Mexique, le Brésil, avec des taux être 8% et 10% présentent une volatilité faible face à l’euro. Nous préférons ce choix sur la devise à celui du crédit.
Les banques centrales des pays émergents, pour la première fois de ma carrière, ont remonté leurs taux directeurs bien avant la Fed, dès l’été 2021, et de façon agressive. La République tchèque est passée de 0,25% à 7%., la Hongrie de 2% à 13%, la Colombie de 2% à 13%. Souvent les exportateurs de matières premières sont étranglés parce que leur croissance économique baisse et les prix des matières premières baissent. Le contexte est aujourd’hui différent. Les prix des matières premières sont élevés et les termes de l’échange s’améliorent, par exemple au Chili, au Brésil et en Afrique du Sud. Le contexte d’étranglement n’existe pas.
Effectivement. Même si nous apprécions un pays, nous investissons avec des positions diversifiées. Par exemple, nous sommes très confiants sur la Roumanie depuis 18 mois, mais cela ne représente que 3 à 4% du portefeuille. Nous gérons notre portefeuille sur la base de la volatilité. Nous avons droit à 5% de volatilité et sommes à 3%. Nous sommes prudents et diversifiés. L’an dernier, nous avons gagné 6,5% avec une volatilité de 3%.
Nous aimons bien les titres indexés sur l’inflation pour la partie «taux réels». L’an dernier, les titres indexés ont beaucoup souffert à cause de la remontée des taux réels, dorénavant positifs par exemple en Corée du Sud, en Australie, aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande.
Aux Etats-Unis, il est possible d’acheter à 1,2% au-dessus de l’inflation, ce qui correspond à la croissance potentielle. Par contre, nous sommes short sur les obligations japonaises.
La principale exposition se trouve dans la dette indexée aux Etats-Unis, puis en Europe, sur base diversifiée.