Les actions suisses de choix braveront les difficultés

Philippe Rey

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La qualité continuera de primer malgré les risques, dont ceux liés aux exportations aux Etats-Unis et une croissance atone en Europe, selon Daniel Lenz de Schroders.

Daniel Lenz est, avec Philipp Bruderer, gérant du fonds de placement en actions suisses Schroder (CH) Swiss Small & Mid Cap Fund chez Schroders. Il explique à Allnews la situation actuelle du marché et les changements récents du portefeuille. Ce fonds a réalisé lors des cinq dernières années un rendement annualisé de 3,6%, soit une surperformance de +1,5% par rapport à l’indice de référence SPI Extra Total Return.

Comment jugez vous la situation actuelle du marché suisse des actions dans un contexte international agité?

Les marchés financiers vivent constamment avec des incertitudes et de la volatilité. Il y a peu, c’était la Chine, à présent, les Etats-Unis suscitent des craintes. Car il y le risque que la politique de Donald Trump soit plus agressive qu’anticipée et conduise à moyen terme à une stagflation de l’économie américaine et à une récession dans le reste du monde.

Deux sujets de préoccupation surgissent en ce qui concerne le marché suisse des actions. D’une part, l’impact potentiel de droits de douane sur les exportations des entreprises suisses aux Etats-Unis ainsi que l’évolution du franc suisse. L’exposition de notre portefeuille d’actions de petites et moyennes capitalisations suisses reste très limitée s’agissant des droits de douane; sans oublier le fait que bon nombre de ces sociétés fabriquent également aux Etats-Unis. D’autre part, l’appréciation du franc n’est pas nouvelle; au contraire, les entreprises suisse s’y sont adaptées en innovant et en devenant toujours plus efficientes.  

«VZ Holding, en particulier, exploite un modèle d’affaires très structuré, discipliné et performant, qui en fait une des sociétés financières les plus rentables.»

Le marché va rester volatil, après un très bon départ en 2025 et un recul au dernier trimestre 2024. D’un point de vue microéconomique, nous pensons que les sociétés que nous avons en portefeuille pourront surmonter ces obstacles. La qualité du modèle d’affaires demeure déterminante.

Quels ont été les principaux changements de votre portefeuille au dernier trimestre 2024?

Nous avons notamment augmenté nos positions dans les groupes alimentaires Aryzta et Barry Callebaut, dans le groupe industriel Bucher Industries, dans Inficon (instruments de mesure) ou Tecan (solutions et équipements de laboratoire).

D’autre part, nous avons pris des bénéfices sur Accelleron (turbocompresseurs), Baloise (assurances) et VZ Holding (services financiers). Cependant, Accelleron et VZ Holding demeurent deux positions importantes du portefeuille, car ce sont deux excellentes entreprises. Nous restons également favorables à Baloise. Durant l’année écoulée, nous avons vendu les positions en Flughafen Zurich (Aéroport de Zurich) et Swissquote (services financiers).

Y a-t-il encore des opportunités dans le secteur financier? VZ Holding n’est-elle pas trop fortement valorisée?

D’aucuns considèrent que les valeurs financières procurent un rendement au-dessous de la moyenne à long terme. Ce n’est pas le cas de toutes cependant.

VZ Holding, en particulier, exploite un modèle d’affaires très structuré, discipliné et performant, qui en fait une des sociétés financières les plus rentables. Le rendement total annualisé de l’action atteint 15% depuis l’IPO en 2007. Avec une progression régulière de plus de 10% du bénéfice par action et un rendement des fonds propres de l’ordre de 20%.

Swissquote, une autre entreprise de qualité, présente un rendement annualisé comparable, mais cette dernière nous paraît actuellement assez chère. Nous restons positifs envers Cembra Money Bank. Ses résultats financiers ont bien évolué malgré la perte de la carte de crédit Migros Cumulus en 2021. Nous voyons encore un bon potentiel au vu de la valorisation actuelle, avec un rendement du dividende de 4,6% et un ratio cours-bénéfice (PER) de 14x pour 2025.

Qu’en est-il de Baloise et Helvetia?

Baloise et Helvetia disposent tous deux d’une forte position dans les affaires non vie en Suisse, qui est un marché attractif. Sous l’impulsion de son nouveau management, Helvetia se montre plus pro-active que Baloise, notamment en termes de distribution et d’efficience. Baloise n’a certainement pas épuisé son potentiel de valorisation sous la pression de Cevian. Les actions Helvetia et Baloise ont procuré un rendement total annualisé d’environ 10% dans le long terme.

Swatch Group, Forbo, Adecco Group ou d’autres cycliques sont-elles des «value traps» ou actions de valeur «piège»?

Plusieurs valeurs cycliques ne le sont pas, telles par exemple Georg Fischer, Bucher ou SFS Group que nous avons en portefeuille, et qui créent encore de la valeur.

S’agissant de Swatch Group, sa valeur boursière est trop basse, à un peu plus de 0,6 fois ses fonds propres à fin 2024. Les valeurs comptables du bilan sont probablement conservatrices et contiennent des montants élevés de stocks et d’immobilier. Il manque, en l’occurrence, un catalyseur à court terme, tels une reprise de la demande en Chine ou un rachat d’actions par exemple. Les marques de prestige comme Omega, Blancpain et Breguet, qui sont à la peine, doivent par ailleurs revenir au premier plan.

Quant à Forbo (revêtements de sol et techniques de transport léger), sa croissance est lente, mais le bilan est solide et son allocation du capital a été efficace par le passé. Son cash-flow s’avère robuste. En l’espace de 20 ans, Forbo a réduit de 40% le nombre d’actions en circulation, ce qui a permis d’accentuer la progression du bénéfice et du cash-flow par action.

En revanche, nous sommes sceptiques à l’égard d’Adecco Group, nonobstant sa faible valorisation. Ce leader de l’insertion professionnelle individuelle n’a pas créé de valeur ces 20 dernières années. Son endettement net est considérable suite à l’acquisition d’Akka Technologies en 2021. En outre, les barrières à l’entrée des métiers d’Adecco Group sont basses, a fortiori avec l’IA.

N’éprouvez-vous pas aussi des craintes au sujet de Barry Callebaut?

Son modèle d’affaires, avec des barrières à l’entrée hautes, est tout à fait différent de celui d’Adecco Group. Barry Callebaut occupe une position de leader dans l’industrie mondiale du chocolat avec des avantages de coûts significatifs, qui en font un partenaire d’externalisation important pour des groupes alimentaires.

Pour l’heure, son cash-flow est mauvais. Cependant, sa restructuration progresse, malgré les prix élevés du cacao et l’augmentation considérable du fonds de roulement net. Barry Callebaut a d’ailleurs pu se refinancer à des conditions de crédit avantageuses.

Nous pensons qu’une certaine normalisation des prix est possible en 2025, avec un rééquilibrage de l’offre et de la demande. Une baisse du prix du cacao aura pour effet une hausse du rendement des capitaux investis de Barry Callebaut. Le cours devrait ainsi remonter.

Lindt & Sprüngli n’est-elle pas trop chère en bourse?

En apparence oui, mais son modèle d’affaires dans le segment «Premium» reste excellent; ce qui lui permet de générer une croissance organique substantielle et de dégager des marges élevées. Ce chocolatier haut de gamme développe régulièrement son réseau de distribution tout en en réalisant des gains de productivité et en renforçant l’image de ses marques.

Quels sont vos favoris dans le secteur de la santé?

Nous restons positifs envers Tecan et Medacta. Tecan, le leader de solutions d’automation de laboratoire, devrait bénéficier d’une demande plus vigoureuse après une résorption des excédents de stocks causés par la pandémie de covid-19 et la perturbation des chaînes d’approvisionnement. Medacta, qui croît fortement et gagne des parts de marché, nous paraît encore sous le radar des investisseurs.

Par ailleurs, nous avons augmenté notre position dans Bachem (peptides, analogues du GLP1), qui bénéficie d’une forte demande croissante liée au diabète. Certes, son intensité en capital est considérable mais pour répondre à cette demande. Bachem est très bien positionné. 

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