Le private equity «made in Switzerland»

Salima Barragan

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Le label de qualité du capital investissement suisse entraine souvent une prime, estime Benjamin Böhner de Bellevue Private Markets.

Près de 99% des entreprises helvétiques ne sont pas listées sur la cote. Ce réservoir de plus de 9000 PME aiguisent l’appétit des fonds de capital investissement qui constituent une alternative bienvenue aux prêts bancaires. Les secteurs des télécommunications, des médias et des technologies, ainsi que la santé et l’industrie, ont représenté 78% des transactions conclues en 2021. L’éclairage de Benjamin Böhner, Développement commercial, Bellevue Private Markets.

Rares sont les données sur le marché du private equity suisse. Quelle est sa taille et quels sont les secteurs les plus représentés?

Selon PWC Allemagne, le volume des transactions de capital-investissement en Suisse s'est élevé en 2021 à 12,3 milliards d'euros, soit 1,7 % du PIB. Les secteurs des TMT, de la production industrielle et de la santé, y compris de la biotechnologie, ont représenté 78 % de l'activité des transactions. En Suisse, quelque 9’324 entreprises sont des PME comptant de 50 à 249 employés et ces dernières sont les principales bénéficiaires du financement par capital-risque parmi les PME, employant environ 20% de la main-d'œuvre nationale. Le «Swiss Venture Capital Report 2022», l'activité est la plus forte à Zurich et dans le canton de Vaud qui couvrent ensemble plus de 60% de la valeur des opérations de capital-risque, notamment pour leurs universités techniques fédérales.

La forte volatilité des marchés boursiers plaide en faveur d'actifs éloignés des marchés boursiers. Comment se porte le private equity suisse?

Nous constatons que le segment de marché des entreprises établies et rentables résiste bien. Ceci est dû à des performances opérationnelles toujours fortes dans plusieurs secteurs et industries, mais aussi au fait que le marché attribue une certaine prime à la qualité et à la rentabilité en période d'incertitude. Les multiples d'EBITDA que nous observons ne se sont que légèrement redressés. Cela contraste fortement avec les multiples de revenus qui se sont fortement contractés. Ces derniers constituent la méthode d'évaluation dominante pour les entreprises à croissance rapide, mais pas encore rentables. Ces entreprises ayant d'importants besoins de financement sont les plus touchées.

Plusieurs études estiment que le rendement excédentaire du capital-investissement par rapport aux marchés publics est de 4 à 7% par an, net de frais, sur le long terme.
Comment le Private Equity suisse évolue-t-il par rapport à ses homologues européens ou américains?

Le «Made in Switzerland» est un label de qualité qui entraine souvent une prime. Le segment des PME suisses est connu pour être l'un des plus solides au monde. Par conséquent, il existe des opportunités intéressantes pour les gestionnaires de capital-investissement suisses d'investir dans ces champions cachés. En Suisse, le soutien du capital-investissement est aussi souvent une alternative bienvenue aux prêts bancaires. En raison d'une transparence des données nettement plus faible et de barrières à l'entrée élevées par rapport à l'Allemagne ou aux États-Unis, ce segment reste dominé par des gestionnaires locaux ayant de bonnes relations. Les grandes transactions nécessitent souvent l'investissement de fonds de capital-investissement internationaux nettement plus importants.

Toutes les entreprises qui entrent dans le giron d'un fonds de capital-investissement ont-elles pour objectif de devenir publiques?

Les gestionnaires de fonds de capital-investissement évaluent régulièrement plusieurs voies de sortie pour céder une société en portefeuille, y compris une introduction en bourse ou une transaction de type SPAC. Cependant, l'entrée en bourse dépend fortement de l'appétit général pour le risque, est cyclique et n'a donc jamais été la principale voie de sortie. Même en 2021, une année faste pour les marchés boursiers, seules 7% des entreprises européennes soutenues par le capital-investissement ont été cédées via une offre publique. Cela équivaut à 10% de la valeur globale cédée par rapport au coût initial, contre 36 % pour les ventes à d'autres sociétés de capital-investissement et 29% pour les ventes dites commerciales destinées principalement à des concurrents, selon les données d'Invest Europe.

Quels sont les segments les plus intéressants en Suisse, compte tenu de l'inflation et de la force du franc suisse?

Les industries qui s'approvisionnent dans une monnaie qui s'affaiblit tout en vendant leurs produits en francs suisses à des clients nationaux sont privilégiées. Toutefois, les facteurs de succès à long terme restent cruciaux: nous privilégions les entreprises de qualité dotées d'un management fort, de marges saines, de finances solides afin de résister à la hausse des taux, et enfin d'une base de coûts flexible. Dans l'idéal, les produits d'une entreprise ne peuvent pas être facilement substitués ou alors cette dernière peut bénéficier d'une croissance de la demande structurelle et non cyclique, indépendamment du secteur ou du segment. Souvent, nous identifions ces champions cachés dans des verticales industrielles liées à ce que l'on appelle les mégatendances.

Quel est le rôle du capital investissement dans la stabilisation et la diversification des portefeuilles multi-actifs, et quel est le rendement attendu de la classe d'actifs?

L'ajout de Private Equity à l'allocation stratégique d'actifs augmente les rendements ajustés au risque pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le capital-investissement offre des avantages en termes de diversification en élargissant considérablement l'univers investissable. En Suisse, 99% des entreprises ne sont pas cotées. En outre, plusieurs études estiment que le rendement excédentaire du capital-investissement par rapport aux marchés publics est de 4 à 7% par an, net de frais, sur le long terme. En moyenne, les rendements des fonds sont aussi remarquablement stables, car les gestionnaires de fonds investissent et désinvestissent sur plusieurs années, ce qui a pour effet de lisser les valorisations et l'impact du cycle économique.

Quelles sont les solutions pour investir dans cette classe d’actifs lorsqu'on ne dispose pas des encours d'un investisseur institutionnel?

Pour autant que le Private Equity s'aligne sur le profil de risque et les contraintes de liquidité d'un investisseur individuel, il existe plusieurs possibilités. Par exemple, les investisseurs autogérés peuvent jeter un coup d'œil à diverses plateformes en ligne qui proposent des opportunités d'investissement, principalement dans les start-ups. Il existe également plusieurs clubs d'investissement axés sur le secteur du capital-risque. Les investisseurs qui apprécient une approche de portefeuille diversifiée et gérée de manière professionnelle et responsable devraient se concentrer sur les gestionnaires de capital-investissement suisses spécialisés dont les fonds accueillent souvent des investisseurs qualifiés privés.

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