Le potentiel haussier est limité

Emmanuel Garessus

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La hausse des actions ne se concrétisera qu’avec des confirmations de la reprise économique, selon Samy Chaar de Lombard Odier.

Lombard Odier présentait vendredi ses convictions de marché pour l’année prochaine. Samy Chaar, chef économiste, observe que le rebond des actions résulte avant tout de la réduction des risques extrêmes. Il répond aux questions d’Allnews sur son analyse de la situation économique et ses vues sur les marchés:

Les marchés se concentrent sur un seul sujet majeur au même moment, en 2022 l’inflation. Quel sera le moteur des indices en 2023?

L’élément central de cette année a été le renchérissement du coût du capital en raison de la politique très agressive des banques centrales pour contenir l’inflation à moyen terme. Les difficultés seront encore nombreuses en 2023, et distinctes d’une région à l’autre, mais nous faisons le pari d’une amélioration malgré d’inévitables défis économiques à relever. Les risques extrêmes s’atténuent déjà. Le pire de la crise énergétique européenne sera bientôt passé. Le pire de l’inflation américaine également. A la fin 2023, nous pourrons sortir du tunnel et envisager un scénario de reprise.

Le consensus s’attend à deux semestres très contrastés. Est-ce votre scénario économique et également boursier?

Nous prévoyons effectivement encore plusieurs trimestres d’efforts économiques à fournir, face aux défis de l’énergie en Europe, de l’inflation aux Etats-Unis et du Covid en Chine. Si l’amélioration se précise, nous nous rapprocherons de la reprise. Les marchés anticipent l’avenir à moyen terme et pourraient se projeter rapidement dans l’après-crise, peut-être avec un excès de complaisance auquel nous serons très attentifs.

Vos prévisions sont proches du consensus et en tout cas très éloignées des Cassandre. En quoi vous éloignez-vous du consensus?

L’ouverture de la Chine a été l’une de nos convictions au deuxième semestre et elle n’est devenue consensuelle que très récemment.

Une divergence actuelle avec le consensus concerne les attentes à l’égard de la BCE, puisque le marché s’attend à un pic des taux à 3% ou plus et nous tablons plutôt sur un niveau de 2,5-3,0%, parce que nous pensons que l’inflation européenne est spécifique (guerre en Ukraine/crise énergétique) et que la récession sera appuyée.

En Bourse, nous sommes assez sereins sur les multiples de valorisation mais le ralentissement économique se poursuit et pénalise les résultats des entreprises.
Qu’attendez-vous des marchés?

Nous avons probablement dépassé le point bas des marchés parce que la probabilité du scénario du pire se réduit progressivement. Mais le resserrement monétaire sur fond de ralentissement conjoncturel constitue une contrainte pour les actifs risqués. Le potentiel haussier est donc limité par les obstacles économiques qui restent à franchir. Les banques centrales maintiendront les taux d’intérêt à des niveaux élevés. La croissance des bénéfices pourrait ralentir ou même se contracter. Nous restons donc prudents à l’égard des marchés boursiers et privilégions les titres de qualité et valeur, ainsi que les secteurs de la santé et de l’énergie. Globalement, nous pensons qu’un nouveau potentiel haussier ne peut se concrétiser qu’au moment où la reprise économique paraîtra plus certaine.

Mais après avoir perdu 20%, est-ce que l’investir risque d’encore perdre 20%?

Lorsque les marchés ont atteint leur point bas en octobre dernier, ils anticipaient le scénario du pire à plusieurs niveaux: l’inflation poursuivait son ascension aux Etats-Unis. Les prix de l’énergie étaient faramineux en Europe et des disruptions significatives semblaient se profiler à l’approche de l’hiver. Enfin, la Chine ne donnait aucun signe de réouverture.

Le rebond actuel des marchés n’annonce pas la fin des problèmes mais davantage la réduction des risques extrêmes.

Pour repartir significativement à la baisse, les marchés devraient anticiper un retour de ces risques ou l’arrivée d’un nouveau choc. Cela est bien sûr possible, mais nous pensons au contraire que les scénarios du pire semblent s’éloigner peu à peu.

A la fin 2023, quels seront les niveaux des bons du Trésor américain et de l’indice S&P 500?

Le rendement des bons du Trésor à 10 ans (3,5%) offre déjà un bon point d’ancrage et anticipe les futures décisions de la Réserve fédérale. La Fed devrait hisser ses taux directeurs à 5%, y rester, puis, dans le sillage d’une baisse de l’inflation, elle pourrait effectuer une première baisse de taux en fin d’année 2023.

En Bourse, nous sommes assez sereins sur les multiples de valorisation mais le ralentissement économique se poursuit et pénalise les résultats des entreprises. Ce scénario s’accompagnera d’épisodes récessifs et d’une hausse du chômage ainsi que d’une contraction des profits encore insuffisamment intégrée dans les marchés. Aux Etats-Unis, une baisse de 6% des bénéfices des entreprises du S&P500 est probable. C’est pourquoi le potentiel haussier nous semble limité à ce stade.

Lombard Odier publie ses dix convictions. Quelles sont les principales?

Nous présentons dix convictions. La première est d’ordre général et répond à la pression de taux d’intérêt élevés qui incitent à maintenir une posture prudente, légèrement défensive, tout en restant investi, afin de pouvoir bénéficier de la reprise.

Une autre conviction nous amène à retravailler la partie obligataire des portefeuilles. Dans ce cadre, le meilleur rapport risque/rendement est offert par le crédit d’entreprise de qualité, au bénéfice d’une bonne diversification et d’un rendement acceptable. C’est l’actif de choix aujourd’hui. La part des obligations d’entreprise a été augmentée à hauteur d’une vingtaine de pourcent d’un portefeuille équilibré, portant nos expositions au segment à un niveau surpondéré.

Comment diversifier correctement un portefeuille?

Notre première conviction consiste à sous-pondérer légèrement le risque, la deuxième à retravailler la poche obligataire au profit des obligations d’entreprise, la troisième à privilégier la qualité (visibilité des profits, solidité des bilans, meilleure capacité à résister à un ralentissement conjoncturel et à une augmentation du coût du capital). Dans notre quête de diversification, nous pensons aux hedge funds, au profit d’une grande flexibilité et d’une forte capacité à se protéger des baisses de marché, en particulier dans le style «global macro» et de suivi de tendance.

Nous sommes également convaincus de la résilience du dollar. La Fed hissera ses taux vers 5%, ce qui implique un bon du Trésor à dix ans à 3,5-4%, ce qui empêchera le billet vert de trop baisser.

Certes la mondialisation va profondément évoluer. Mais la prospérité a toujours été liée au commerce mondial.
Est-ce que les prochaines années permettront aux valeurs technologiques de repartir de plus belle?

Le point de rotation sectorielle sera déterminé par la direction des taux d’intérêt. Après l’actuelle hausse des taux, la grande tendance sera celle de la stabilité, avant d’entrer, éventuellement, dans une phase de baisse des taux.

Nous devrons être vigilants car nous craignons beaucoup que le marché oublie la période intermédiaire, qui devrait être assez longue, et passe tout de suite du trend haussier sur les taux au trend baissier. C’est pour cette raison que nous avons une approche constructive mais prudente et sélective.

D’ailleurs, la première partie de nos convictions n’est pas cohérente avec un monde de taux haussiers ou baissiers, mais plutôt avec un monde de taux élevés et stables.

A terme, lorsque l’inflation confirmera son retour à des niveaux acceptables, la baisse des taux devrait s’accompagner d’un retour franc dans les actions, notamment dans les valeurs technologiques, ainsi que dans les marchés émergents, mais aussi – paradoxalement – dans l’or.

Le narratif de 2023 a accordé beaucoup de place à la fin de la mondialisation et au «reshoring». En cette fin d’année, des entreprises préfèrent sortir d’Europe pour investir ailleurs. Que faut-il en penser si l’on pense aux actions européennes?

Je reste un grand sceptique de l’idée de démondialisation. C’est un chiffon que l’on agite périodiquement. Depuis trois décennies, à chaque crise, trois changements de paradigme sont systématiquement attendus: la fin de la zone euro, la fin de la prédominance du dollar et la fin de la mondialisation. Pourtant, nous traversons une forme de continuité.

Certes la mondialisation va profondément évoluer. Mais la prospérité a toujours été liée au commerce mondial. Malgré le discours sur la fin de la mondialisation, les volumes d’exportations et d’importations battent tous les records. Nous allons vers une logique de blocs, mais celle-ci n’a jamais empêché les flux commerciaux au sein de ces derniers. Un peu comme à l’époque de la guerre froide.

La mondialisation suppose des gains en efficience et une réduction des coûts. Elle évolue avec une troisième dimension, celle de la sécurité des chaînes d’approvisionnement, alimentaire et énergétique. En 1990, rares étaient ceux qui produisaient en Chine. Dans dix ans, il est possible que plus personne ne produise en Chine, parce que ce sera plus cher, plus politisé, moins sûr, si bien qu’il sera préférable d’aller au Vietnam, en Indonésie, en Malaisie, au Mexique, au Maroc, en Pologne…

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