L’accord entre les Etats-Unis et la Chine s’est traduit par une reprise du dollar et des actions sur tous les continents ainsi que par une hausse des taux d’intérêt. Le risque de récession et de disruption des chaines d’approvisionnement semble se réduire. Mais quelle sera la prochaine étape? Faut-il modifier l’allocation des actifs globaux? Jérémie Peloso, stratégiste macro auprès de BCA Research, répond aux questions d’Allnews:
Quelles sont les conséquences de l’accord entre les Etats-Unis et la Chine pour l’investisseur?
L’Administration Trump a pour particularité de modifier fréquemment ses décisions et de provoquer des rebondissements tantôt positifs tantôt négatifs sur les marchés financiers. Même si les détails de cet accord sino-américain devaient être mitigés, les marchés ont un tel besoin d’entendre de bonnes nouvelles que les actions réagissent positivement. La semaine dernière, Donald Trump considérait comme raisonnables des droits de douane de 80% sur la Chine. Que le niveau soit de 145% ou 80%, il en résultera un effet très négatif sur les économies chinoise, américaine et même globale. L’annonce de tarifs de 30% sur les importations chinoises est à juger à cette aune. Il n’en résultera pas une disruption de la chaine d’approvisionnement globale mais l’impact de l’accord restera globalement négatif.
Sur les marchés, le premier effet est positif pour le dollar américain, après sa faiblesse prononcée de plusieurs semaines. Le billet vert, qui restera la monnaie de référence, était survendu. Le dénouement est aussi positif pour les partenaires commerciaux des Etats-Unis tels que l’UE et la Suisse, qui sont encore en attente d’une solution. Si un accord est trouvé avec la Chine, tout porte à espérer un dénouement favorable avec des alliés géopolitiques.
BCA Research avait bien anticipé la baisse de ce printemps. Après cet accord, devenez-vous haussier?
Nous avions imaginé différents scénarios possibles pour les relations entre les Chine et les Etats-Unis. L’un supposait des concessions majeures des deux partenaires. Nous semblons nous diriger vers cette issue. L’effet est très positif pour les marchés, mais -c’est notre problème depuis l’arrivée de Donald Trump-, tout niveau de droit de douane plus élevé qu’avant sa présidence risque de conduire à une récession au sein de plusieurs zones économiques. L’Allemagne et la Suède sont d’ailleurs déjà entrées en récession. Il faudra aussi prendre en compte une hausse des prix. Les tarifs sont inflationnistes pour les Etats-Unis et déflationnistes pour le reste du monde.
«La corrélation longtemps extrêmement élevée depuis dix ans entre les variations quotidiennes des bons du Trésor américain et des «Bund» s’est fortement réduite».
Cette situation est à apprécier dans le contexte d’une Réserve fédérale qui maintient ses taux dans l’attente de nouvelles statistiques. En parallèle, plusieurs banques centrales européennes sont en phase de baisse significative des taux, face à des vents déflationnistes importants,. Je pense notamment à la Banque nationale suisse (BNS).
Avant de définir les allocations, vous placez les régions du monde selon leur régime macro, par exemple celui de la stagflation pour la zone euro, celui du ralentissement pour les Etats-Unis et la Suisse et celui de l’idéal (sweet spot) pour le Royaume-Uni. L’accord sino-américain change-t-il votre jugement?
Cet outil quantitatif fait partie de nos différents instruments pour procéder à nos choix d’allocation d’actifs. Les dénouements du week-end, à propos de l’Ukraine et maintenant de l’accord sino-américain, changent la donne à court terme. Mais ils ne modifient pas l’incertitude créée par les droits de douane depuis le début de l’année dans le contexte d’un ralentissement conjoncturel.
Est-ce que le rendement des bons du Trésor américain à 4,5% est une opportunité d’achat?
Plusieurs facteurs plaident pour la prudence sur les bons du Trésor américain. Je pense au risque inflationniste. Il n’est pas sûr que la Fed baisse ses taux en juin. La probabilité d’une réduction est proche de 70%. En parallèle, il faut prendre en compte la prime de risque.
A la fin de l’année dernière, dans le sillage des discussions sur une baisse des taux d’imposition aux Etats-Unis et des réductions de dépenses publiques, la prime de risque sur les bons du Trésor à 10 ans s’était accrue. Entre-temps, elle a légèrement diminué. Des déceptions sont encore possibles pour les détenteurs d’obligations souveraines américaines. Les «Bonds Vigilantes» peuvent à nouveau se manifester, surtout si l’inflation sous-jacente peine à s’estomper. Cela nous amène à rester neutres sur ces titres. Nous préférons les «Gilts» britanniques. La marge de manoeuvre en termes de réduction des taux est la même pour la Banque d’Angleterre et la Fed mais l’économie britannique n’est pas aussi résiliente que son homologue américaine et le vent déflationniste y est plus fort. Les obligations américaines sont plus risquées.
«Tout niveau de droit de douane plus élevé qu’avant sa présidence risque de conduire à une récession au sein de plusieurs zones économiques.»
Pourquoi êtes-vous négatifs sur les obligations suisses alors que vous recommandez les obligations européennes?
Le point de départ est différent. La BCE a l’avantage de disposer de davantage de marge de manoeuvre à la baisse que la BNS. Même si cette dernière décidait de les rendre négatifs, son potentiel de baisse des taux est inférieur à celui de la BCE, de la Banque de Suède ou de la Banque d’Angleterre. La BCE et la Riksbank, qui avaient fortement augmenter les taux en partie pour disposer d’un coussin suffisant, sont nettement moins enclins à retrouver des taux négatifs. Il y a davantage de valeur dans les obligations européennes, par exemple britanniques et espagnoles, compte tenu des perspectives budgétaires de Madrid, que suisses.
Qu’en est-il des départs d’investisseurs obligataires des Etats-Unis vers l’Europe?
Ce mouvement s’est passé en deux phases. Il a débuté avec les actions quand est apparu le risque de stagflation aux Etats-Unis en fin d’année dernière qui s’est ajouté au débat sur le coût de la dette américaine et surtout au niveau de valorisation élevé des marchés américains. L’analyse des flux de capitaux révèle qu’il s’agissait d’un rapatriement de fonds européens plutôt que d’un exode d’investisseurs américains. Nous pensons que les investisseurs, surtout européens, conserveront leurs doutes sur la fiabilité et la visibilité de la politique de Donald Trump. L’ensemble des investisseurs internationaux comprennent de plus en plus que les actions européennes sont une réelle source d’alpha.
Après une première vague d’achats qui s’est effectuée sans grand discernement, et qui résultait des errements politiques américains, nous pensons que les investissements en titres européens seront plus ciblés et plus «granulaires».
La deuxième phase de rapatriement a touché les devises. Le statut de valeur refuge du dollar n’est pas contesté, du moins à court terme, mais le débat a toutefois été lancé sur son avenir à long terme. Nous sommes structurellement négatifs sur le billet vert parce que l’exceptionnalisme américain se détériore, avec ou sans Donald Trump.
Un autre moteur du rapatriement en Europe émerge du marché des bons du Trésor américain. Ces derniers ont sous-performé le marché obligataire européen. La corrélation longtemps extrêmement élevée depuis dix ans entre les variations quotidiennes des bons du Trésor américain et des «Bund» s’est fortement réduite pour retrouver le niveau d’avant la crise financière de 2009.
Si, dans le sillage de l’accord de ce week-end, la crise commerciale s’estompait et si les tarifs diminuaient encore en-dessous de 10%, tous les actifs américains pourraient toutefois surperformer à très court terme. L’euro devrait alors s’affaiblir, sa hausse récente n’étant motivée que par la faiblesse du dollar. Mais nous surpondérons les obligations européennes au moins jusqu’à la fin de l’été, dans l’attente des détails sur l’impact budgétaire américain et sur l’évolution de l’inflation. Jerome Powell a clairement souligné sa crainte que l’impact des tarifs ne soit pas temporaire, contrairement à ceux de 2018, il est vrai nettement plus faibles à l’époque.
Sur les actions américaines, vous aviez prévu un net rebond après la baisse puis à un nouveau plongeon. L’indice S&P est en train de casser à la hausse sa zone de résistance. Quel sera le prochain mouvement?
Nous sommes dans une phase de rebond dont nous pensions qu’elle conduirait l’indice S&P 500 à son plus haut de l’année.
Nous sommes toutefois surpris par la vitesse à laquelle l’accord avec la Chine est intervenu. Le «Liberation Day» ne date que de six semaines. D’autant plus que les tensions avec la Chine, un pays connu pour sa résilience et sa tolérance à la douleur, ont été très fortes récemment.
La prochaine jambe du marché des actions américaines devrait être baissière. Elle devrait résulter de la détérioration de l’activité économique américaine. Elle pourrait se manifester par une inflation plus élevée que prévu ou par une détérioration du marché de l’emploi au cours des prochains mois. Une hausse du chômage pourrait faire paniquer les marchés et révéler aux investisseurs qu’une solution sur les droits de douane n’empêche pas que le mal a été fait. Et il s’est ajouté aux signes de ralentissement préalables.
Quel est votre marché des actions préféré dans le monde?
Comme nous sommes «baissiers» sur l’économie mondiale, nous aurions tendance à privilégier les bourses de pays présentant un biais sectoriel plus défensif et qui ont davantage de marge de manœuvre pour soutenir leur économie par leurs politiques monétaire ou budgétaire. Le FTSE arrive en tête en raison de la composition sectorielle de l’indice britannique, ainsi que la bourse suisse, avec un «beta» plus faible que d’autres. L’euphorie a été trop rapide sur la bouse allemande en réponse au déploiement budgétaire et aux dépenses militaires. Mais ces dernières n’ont qu’un impact réduit sur le reste de l’économie. Et la relance par les infrastructures ne se déploiera que sur dix ans.