La messe n’est pas encore dite

Yves Hulmann

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Pour Valérie Plagnol, l’action des banques centrales sous-tend le rebond des marchés. Le manque de visibilité demeure sur l’ampleur de la reprise.

A l’heure du déconfinement partiel dans de nombreux pays européens, quelles sont les perspectives que l’on peut envisager pour l’économie et les marchés au cours des prochains mois? Entretien avec Valérie Plagnol, présidente fondatrice de Vision & Perspectives Conseil en Investissements.  

Alors que de nombreux pays européens entament cette semaine un processus graduel de déconfinement, les incertitudes restent considérables quant à l’impact économique de la pandémie de coronavirus, notamment ses conséquences en matière d’endettement. Que pensez-vous de la discussion actuelle au sujet de la mutualisation des dettes dans la zone euro?

Le débat sur la mutualisation des dettes dans la zone euro a polarisé l’attention de tous. Je trouve cela un peu regrettable alors qu’on n’en a, premièrement, pas besoin dans l’immédiat. Depuis la crise de 2011, l’Europe s’est forgée une doctrine et s’est dotée d’outils qui ont permis aux pays membres et à la Commission d’intervenir rapidement et de mobiliser des fonds importants. Et, deuxièmement, car cette discussion créée souvent des tensions entre certains Etats plutôt qu’elle n’apporte de solutions. Les Italiens se sentent abandonnés par l’Europe, alors que les Néerlandais estiment que ce sont toujours à eux de mettre la main au porte-monnaie. Enfin, troisièmement, la base juridique des «Eurobonds» ou «Coronabonds» comme on les a renommés pour l’occasion, n’est pas non plus encore clarifiée. Récemment, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe avait même déclaré qu’ils étaient contraires à la constitution allemande. La mutualisation des dettes, prise isolément, ne peut pas être une solution à tous les problèmes.

La mutualisation des dettes ne peut pas être un instrument crédible
s’il est lancé en solo, sans autre réforme qui l’accompagne.
N’est-ce toutefois pas maintenant, ou ces prochains mois, qu’un tel instrument pourrait être justement nécessaire?

Qu’il s’agisse de la crise de la dette grecque ou d’autres situations similaires, la mutualisation des dettes se heurte toujours au même problème qui remonte déjà aux origines de la construction de l’Union Monétaire. Le Traité de Maastricht ne prévoyait pas la solidarité de la dette entre les Etats membres. Concernant la mutualisation de la dette, je ne dis pas que l’on ne devrait jamais le faire. Simplement, on ne peut émettre des Eurobonds que si l’on a aussi un Trésor européen commun. Ces deux aspects sont indissociables. On ne peut avoir une dette unique que si l’on a aussi un trésor unique. C’est le premier principe de base.

Le second est qu’il ne peut y avoir une dette unique que s’il y a un budget commun. C’est pourquoi, la mutualisation des dettes ne peut pas être un instrument crédible s’il est lancé en solo, sans autre réforme qui l’accompagne. Il ne peut y avoir une mutualisation des dettes que s’il y a aussi une mutualisation des responsabilités c’est-à-dire un transfert de souveraineté budgétaire au niveau européen.

Serait-il néanmoins envisageable de lancer des emprunts spécifiques post-Covid-19 qui auraient pour but d’éviter que certains Etats membres ne doivent emprunter à des conditions plus défavorables que d’autres au sortir de la crise?

C’est ce que devrait pouvoir faire la Commission européenne, qui a lancé un programme d’aide ambitieux et qui peut intervenir dans le cadre des fonds structurels et sectoriels, pour financer des projets communs - on pense notamment à la santé. Aujourd’hui, grâce à l’intervention de la Banque Centrale Européenne, et sous le parapluie de l’euro, les Etats membres empruntent à des conditions particulièrement favorables.  Même ceux dont le niveau d’endettement est déjà très élevé.

De nombreux pays devraient connaître
une récession à deux chiffres cette année.

Pour ce qui est de chaque dette nationale, la question du remboursement de la dette publique se pose encore à cet échelon. Pourquoi est-ce si important? Parce que le poids de la dette publique et le coût de son remboursement évince d’autres projets d’investissement et pèse sur l’activité du pays par le biais de la fiscalité et de la captation de l’épargne. Il n’existe par mille manières de se désendetter.
Lesquelles?

Premièrement, il y a la possibilité de réduire les dépenses. Deuxièmement, d’accélérer la croissance, ce qui facilite ensuite les remboursements. Troisièmement, il y a le captage de l’épargne, que l’on appelle aussi parfois la répression financière. Quatrièmement, on laisse courir l’inflation, ce qui permet aux Etats de rembourser plus facilement leurs dettes à leur échéance. Enfin, cinquièmement, dans les cas les plus défavorables, il y a le défaut de dette. La combinaison des trois premiers moyens a bien servi les Etats les plus endettés au sortir de la guerre.

Faut-il redouter, à long terme, un possible retour de l’inflation, notamment dans un scénario de «re-régionalisation» des échanges et des sources d’approvisionnement?

On entend beaucoup de discussions au sujet de phénomènes de «re-régionalisation» des échanges mondiaux et des approvisionnements qui seraient aussi organisés autour de circuits plus courts. Compte tenu du degré d’intégration des chaînes de valeur au niveau mondial, des caractéristiques de chaque secteur, il est difficile de tirer des conclusions trop générales. Un démantèlement complet de ces circuits impliquerait une hausse des coûts de production qui, à leur tour, induiraient une progression des prix, puis des salaires, lesquels contribueraient à nouveau à augmenter les prix. Cela aboutirait à un choc d’offre. Faut-il y croire? A court terme, je suis plutôt sceptique quant à un tel scénario compte tenu de l’effondrement des prix du pétrole ce printemps et d’une demande globale en repli. Il faudrait vraiment que l’on assiste à un phénomène de relocalisation très massif pour que cela induise un tel enchaînement pouvant, potentiellement, entraîner des hausses de prix.

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