La fenêtre reste ouverte sur les IPO

Yves Hulmann

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Selon Tobias Meyer, spécialiste des entrées en bourse chez EY, 6 ou 7 nouvelles cotations sont encore possibles sur la SIX en 2021.

Le deuxième trimestre a débuté sur les chapeaux de roues s’agissant des introductions en bourse (IPO) à la Bourse suisse. Après le producteur suédois de peptides Polypeptide fin avril, le groupe Montana Aerospace a aussi réussi ses premiers pas à la SIX à la mi-mai. D’autres candidats sont également en lice: début mai, le fournisseur de services informatiques et commerciaux basé à Schwyz Trifork a annoncé son projet de double cotation sur le Nasdaq de Copenhague et sur la SIX Swiss Exchange. Enfin, lundi, l’agence Reuters rapportait que le site de ventes horlogères en ligne zougois Chronext s’apprêterait à effectuer une entrée en bourse à la SIX durant les prochains mois. S’agit-il d’un simple effet de rattrapage après un long passage à vide suite à la pandémie ou d’une reprise durable des opérations d’introduction en bourse? Le point avec Tobias Meyer, responsable Transaction Accounting et IPO Services chez EY Suisse. 

Après un premier trimestre 2021 très calme, avez-vous été surpris par la série d’annonces de sociétés suisses qui ont communiqué leur intention de faire une IPO depuis avril?

Non, pas vraiment. La Suisse est un marché plutôt petit. Il n’est donc pas étonnant qu’il se passe parfois quelques mois sans qu’aucune société n’annonce son intention d’être cotée en bourse. Ensuite, quand une dynamique favorable se met en place, il arrive relativement fréquemment que l’on assiste à une telle succession d’annonce dans un intervalle relativement court. Il y a aussi parfois un aspect saisonnier à ce type d’annonces d’IPO. Actuellement, on se trouve typiquement dans une «fenêtre» favorable pour les entrées en bourse.

«La période d’avril à juin a souvent été propice pour de telles annonces.»

La période d’avril à juin a souvent été propice pour de telles annonces, également par le passé. Cela s’explique à mon avis pour deux raisons: d’une part, les résultats annuels de l’an précédant ont, en général, été publiés, ce qui est en Suisse une condition nécessaire pour annoncer un projet d’introduction en bourse. Ensuite, l’été est souvent plus calme, tandis que les choses s’animent à nouveau davantage à partir de septembre.

Ces annonces ne sont-elles pas aussi motivées par l’évolution favorable des marchés boursiers cette année? On veut profiter de faire son entrée en bourse avant que la porte ne se referme…

Cet aspect peut bien sûr aussi entrer en ligne de compte. En matière d’entrées en bourse, il y a toujours deux dimensions à prendre en compte. D’un côté, il y a la planification du projet de cotation. De l’autre, il y a les conditions du marché qui comportent toujours une part d’incertitude. Le marché doit être favorable et le prix d’émission fixé à un niveau correct. Toutefois, même quand une IPO a été soigneusement préparée, il demeure toujours un certain degré d’incertitude.

Combien d’IPO anticipez-vous en Suisse cette année?

Trois IPO ont déjà été confirmées. En deuxième moitié d’année, il y aura certainement aussi quelques sociétés qui présenteront leur projet de cotation en bourse. Il pourrait y avoir jusqu’à 6 ou 7 IPO à la Bourse suisse en 2021. S’y ajoutent encore les sociétés susceptibles d’être cotées à l’étranger.

«Même quand une IPO a été soigneusement préparée,
il demeure toujours un certain degré d’incertitude.»
Certaines sociétés suisses ont préféré faire leur entrée en bourse à l’étranger récemment. C’est le cas du fabricant de textiles spéciaux zurichois HeiQ, qui a fait son entrée à la Bourse de Londres en fin d’année dernière, ou encore de la société pharma nidwaldienne NLS Pharmaceutics cotée sur le Nasdaq depuis février. S’oriente-t-on vers une spécialisation des places de cotation en fonction des segments d’activité, par exemple le Nasdaq pour les biotech?

On observe effectivement que certaines sociétés biotech suisses préfèrent être cotées sur le Nasdaq plutôt qu’à la SIX. Deux facteurs peuvent entrer ici en ligne de compte. Premièrement, il y a l’aspect sectoriel plus prononcé sur certaines autres bourses étrangères. Si une société pharma ou biotech est spécialisée dans le domaine de la recherche contre le cancer, le fait d’être coté au Nasdaq, où il y a aussi d’autres sociétés du même type, offre certains avantages. Il y a une communauté d’experts, des analystes et des investisseurs qui s’y connaissent bien dans ce domaine. Cela leur permet aussi de prendre davantage de risques car ils savent mieux les évaluer grâce à leur know-how spécialisé dans ces domaines. A l’inverse, en étant coté sur une place boursière standard, il se peut qu’une société doive revoir son prix d’émission à la baisse car les investisseurs y seront plus frileux. Deuxièmement, la SIX n’a pas mis en place un segment spécialement conçu pour les sociétés de croissance ou les sciences de la vie, contrairement par exemple à la Bourse de Londres avec l’AIM ou des bourses des pays nordiques qui ont leur propre Nasdaq.

On parle actuellement beaucoup de «tokénisation» des actifs financiers, une manière d’échanger directement des titres de propriétés d’entreprises sous forme électronique sans passer par les bourses classiques. La PME «du coin» va-t-elle un jour aussi se financer par ce biais plutôt que via les marchés boursiers classiques?

Il est encore très tôt pour pronostiquer si le financement via la «tokénisation» va s’imposer ou non. Pour réussir, il serait nécessaire, d’une part, que ce mode de financement établisse d’abord une certaine standardisation de ses processus et, d’autre part, qu’il soit encadré par une régulation aussi bonne que celle qui s’applique aux marchés traditionnels. Si c’est le cas, et que ce type de financement coûte moins cher aux entreprises, alors oui, je pense la «tokénisation» intéressera beaucoup de sociétés.

«Par rapport aux IPO classiques, le processus de cotation
via une SPAC présente à mon avis deux faiblesses.»
Préparer une IPO impose un processus de préparation très structuré. Si chaque société peut, à l’avenir, lever elle-même des fonds via des jetons numériques («token»), cela ne créée-t-il pas un risque supplémentaire pour les investisseurs? 

C’est effectivement un aspect important. Il y a la phase de préparation d’une IPO - et le temps d’après. Qu’une entreprise se finance via des jetons numériques, par le biais de SPAC ou via une IPO classique, la question du soin des relations avec les investisseurs sur le long terme se pose. Il faut maintenir les relations avec les investisseurs et rester intéressant pour ceux-ci sur le long terme. 

Les «Special Purpose Acquisition Company» (SPAC) ont recueilli beaucoup d’attention depuis la fin de l’an dernier, en particulier outre-Atlantique. S’agit-il d’un nouveau moyen de lever des fonds qui va s’établir sur le long terme ou seulement d’une «hype» de courte durée?

Je suis très curieux de voir comment cela va évoluer! En ce qui concerne les Etats-Unis, il faut toutefois préciser que les SPAC existent en tant que mode de financement depuis plusieurs années déjà outre-Atlantique. Les marchés sont déjà davantage habitués à ce concept qui consiste à mettre à disposition une «cash box» à des investisseurs qui doivent ensuite trouver une entreprise à financer dans un certain délai.

En Europe, la situation est un peu différente. Ici, il s’agit plutôt de firmes existantes déjà cotées en bourse qui, pour une raison ou une autre, ont cessé leurs activités mais qui restent cotées en bourse. Il arrive ainsi que l’on place ensuite une autre société sous tel «manteau» qui est déjà coté en bourse.

Quant à savoir si les SPAC s’établiront à terme comme un moyen de financement alternatif aux IPO classiques, il est trop tôt pour se prononcer. Par rapport aux IPO classiques, le processus de cotation via une SPAC présente à mon avis deux faiblesses: d’une part, l’entreprise ne doit pas passer le même «examen» pour évaluer la maturité de son modèle d’affaires. D’autre part, dans le cadre d’une SPAC, elle ne doit pas non plus effectuer les mêmes efforts en matière de marketing. Elle n’est par exemple pas obligée de se présenter auprès des analystes. Le «test» n’a ainsi pas lieu de la même manière qu’avec une IPO traditionnelle.

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