David Darst est un expert fréquemment invité sur CNBC, Bloomberg, FOX, BBC et d'autres chaînes de télévision. Il a également contribué à de nombreux articles pour Barron's, Euromoney, The Money Manager, Forbes.com, The Yale Economic Review, et d'autres publications. Au début de sa carrière, David Darst a travaillé pendant un quart de siècle chez Goldman Sachs, dont plusieurs années à Zurich, avant de rejoindre Morgan Stanley. Il a ensuite été le premier CEO de Petiole Asset Management AG. Auteur d’une douzaine de livres consacrés à la finance, David Darst occupe aujourd’hui la fonction de Senior Advisor and Strategist chez Petiole Asset Management AG. Quel regard porte-t-il sur l’évolution des marchés aujourd’hui? Entretien avec David Darst qui s’exprimait en marge d’un événement organisé à l’occasion des cinq années de présence à Zurich du gérant d’actifs spécialisé dans les marchés privés.
Après avoir progressé constamment depuis l’automne dernier jusqu’à fin mars, les marchés ont subi une correction passagère en avril avant de rebondir rapidement en mai. Comment analysez-vous le rallye quasi ininterrompu des marchés des actions depuis novembre dernier?
On peut analyser cette hausse sur la base de quatre piliers ou facteurs principaux. Premièrement, il y a la résilience de l’économie américaine qui a continué de servir de moteur à la croissance mondiale. La croissance de l’économie américaine reste soutenue – peut-être même un peu trop, car la perspective d’une baisse des taux par la Fed tend à être reportée de mois en mois. Deuxièmement, l’inflation continue de diminuer – mais elle commence à évoluer de manière latérale, ce qui fait que les banques centrales ne peuvent pas encore déclarer la victoire totale contre l’inflation. Troisièmement, et il est lié aux deux premiers points déjà évoqués, la Fed demeure très hésitante quant à une première baisse des taux directeurs. Hormis les déclarations de Jerome Powell lors des réunions du comité directeur de la Reserve fédérale, les marchés sont aussi très attentifs à celles des différents membres des antennes régionales de la Fed. Par exemple, John Williams, le président de la Federal Reserve Bank of New York, a déclaré en avril qu’il se peut qu’il n’y ait pas du tout de baisse des taux directeurs – et qu’ils pourraient même recommencer à augmenter. La visibilité sur les décisions futures de la Fed reste ainsi limitée mais cela ne semble pas pour autant avoir déstabilisé les marchés jusqu’ici. Malgré tout, force est de constater que les attentes des participants aux marchés ont dramatiquement changé depuis la fin de 2023. En décembre, les marchés escomptaient 6 baisses de taux, soit 150 points de base au total. Actuellement, ils n’anticipent plus qu’une baisse de taux, ou environ 30 points de base.
«Le marché du travail reste dynamique parce que l’économie continue de croître. Je ne m’attends pas à un ralentissement significatif du marché de l’emploi aux Etats-Unis en 2024.»
Quatrième aspect clé qui a soutenu la hausse des marchés depuis l’automne dernier, il y a l’enthousiasme envers l’essor de tout ce qui touche l’intelligence artificielle (IA). En moins de quelques trimestres, Nvidia, dont l’action a progressé de plus de 100% depuis début janvier, s’est hissé au rang de troisième plus grande capitalisation mondiale après Microsoft et Apple et elle devance désormais Alphabet (Google).
L’engouement actuel autour de l’intelligence artificielle n’est-il pas justement aussi un facteur de risque pour les marchés, par exemple en cas de revers pour l’une ou l’autre des sociétés phares que l’on associe le plus aux développements de l’IA?
Bien sûr, chaque fois qu’une nouvelle révolution technologique apparaît, cela déclenche une vague d’enthousiasme qui peut se répartir en plusieurs phases et qui se termine souvent par le dégonflement d’une bulle spéculative comme cela avait été le cas à la fin des années 1990 lors de l’arrivée d’Internet. Pour autant, même s’il y a des similarités entre l’intelligence artificielle et l’essor des valeurs Internet, je ne pense pas que l’engouement actuel pour l’IA soit une réplication exacte de la bulle des «dotcoms».
Si l’on prend l’exemple de Nvidia, l’action se traite certes avec un ratio P/E élevé, de l’ordre de plus de 60x ses bénéfices estimés pour les 12 prochains mois mais il s’agit d’une société qui non seulement croît rapidement mais qui est également profitable. A la fin des années 1990 et au début des années 2000, beaucoup des valeurs Internet phares de l’époque étaient loin d’être bénéficiaires ce qui n’empêchait pas leur cours de progresser fortement. Bref, il y a à la fois des similarités mais aussi des différences entre le boom des valeurs Internet de l’époque et l’engouement actuel des actions liées à l’IA.
«On ne peut pas ignorer les risques sur le plan géopolitique mais ce n’est pas, en ce moment du moins, le premier facteur de préoccupation des marchés.»
Comment analysez-vous l’évolution du marché du travail aux Etats-Unis, qui est aussi scruté de très près par la Fed et les marchés?
Je ne pense pas que l’on puisse analyser les statistiques relatives au marché du travail aux Etats-Unis indépendamment de la croissance du PIB américain au cours de ces dernières années. Entre 2019 et 2023, la croissance réelle du PIB a atteint 8% aux Etats-Unis, comparé à environ 4% en Allemagne et dans l’UE mais seulement 0,1% au Royaume-Uni, par exemple. Aux Etats-Unis, la croissance de l’économie a été dopée par la forte augmentation de l’immigration légale et illégale ainsi que par les différents programmes de soutien lancés par le gouvernement à l’exemple de l’Inflation Reduction Act. C’est pourquoi, je ne pense pas que l’on puisse affirmer qu’il y ait une surchauffe sur le marché du travail. Le marché du travail reste dynamique parce que l’économie continue de croître. Je ne m’attends pas à un ralentissement significatif du marché de l’emploi aux Etats-Unis en 2024.
Un autre facteur d’incertitude qui préoccupe une partie des acteurs du marché à l’approche du deuxième semestre est l’évolution sur le plan géopolitique à l’international. Comment intégrer ces facteurs d’incertitude en tant qu’investisseur?
Tant qu’il n’y a pas de détérioration significative de la situation en Ukraine, au Moyen-Orient ou à Taiwan, les marchés peuvent vivre avec cette incertitude. En revanche, si les tensions s’aggravaient au Moyen-Orient et que cela finisse par entraîner une hausse significative des prix du pétrole – au-delà de la fourchette de fluctuation qui va de 78 dollars le baril à 93 dollars -, cela pourrait alors avoir une influence non seulement sur l’inflation mais aussi, potentiellement, sur l’issue des élections présidentielles de novembre. On ne peut donc pas ignorer les risques sur le plan géopolitique mais ce n’est pas, en ce moment du moins, le premier facteur de préoccupation des marchés.