Il faut acheter quand les marchés tremblent

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«Prendre la bonne position avant les autres demande une certaine expertise et surtout, passablement de courage…» estime Jean Keller de Quaero Capital.

Sous-valorisation des petites valeurs européennes, projets d’infrastructure, métamorphose de la culture d’entreprise au Japon: les opportunités ne manquent pas selon Jean Keller. Malgré l’inflation et les taux d’intérêt en hausse, malgré une guerre en Ukraine qui reflète une crise existentielle des équilibres mondiaux et malgré des marchés boursiers difficiles à naviguer, le CEO de Quaero Capital n’est pas en reste pour identifier les pistes d’investissement. Inutile de se préoccuper du consensus, seule compte la capacité des gérants à distinguer les titres de qualité. Car, en fin de compte, si vous faites comme tout le monde, vos résultats ne peuvent être que … moyens. Entretien.

Comment qualifieriez-vous la crise actuelle?

Sur le plan économique, nous sommes dans un cycle classique: inflation, veille de récession (à attendre probablement au premier trimestre 2023). Tout ceci peut être géré par les banques centrales qui maitrisent parfaitement l’inflation si elles savent se montrer suffisamment sévères. Le vrai problème est géopolitique. Il y a bien évidement la guerre en Ukraine, mais également une volonté de plusieurs régimes de lutter contre l’Occident et de proposer un modèle alternatif et musclé. Nous assistons donc davantage à une crise existentielle plutôt que politico-économique. Tant que cette crise n’est pas résolue, il sera difficile d’envisager une reprise boursière durable. Ceci dit, il est bon de se rappeler que 1942 fut un point bas des marchés, l’environnement étant tout simplement exécrable.

L’inflation n’est-elle pas aussi une conséquence de l’assouplissement quantitatif?

On a cherché pendant 10 ans à créer de l’inflation pour éviter la déflation. Mais avec l’idée fausse qu’austérité et croissance pouvaient aller de pair. Les mesures prises contre le Covid ont marqué la fin de l’austérité et le redémarrage économique, grâce à la reprise des dépenses budgétaires. Avec pour conséquence un coût unitaire du travail en augmentation de 10 à 12% grâce au démultiplicateur budgétaire, cause d’inflation. Quant à l’épargne accumulée pendant les périodes de confinement et grâce aux soutiens étatiques, elle reste importante et offre un réservoir de dépenses et d’investissement. Aux Etats-Unis, par exemple, on observe une demande domestique forte (avec 1 à 1,5% de croissance attendue au dernier trimestre), un facteur inflationniste supplémentaire.

Au Japon se déroule actuellement une véritable métamorphose de la culture d’entreprise.
Où investir dans un contexte si compliqué?

Sur les marchés actions, nous n’avons pas encore observé, dans le sillage de la récession, de révisions des bénéfices substantielles, mais ces révisions vont immanquablement se produire et offriront des aubaines encore peu perceptibles à l’heure actuelle. Nous identifions déjà nombre d’opportunités dans les actions value, dans les infrastructures, dans les énergies propres, l’ensemble à mettre en place avec une duration courte. J’insisterai sur l’infrastructure qui est très porteuse, de la Chine aux Etats-Unis. Ses rendements sont décorrélées de ceux des autres marchés et le secteur présente une excellente protection contre l’inflation. Un autre thème, mail aimé depuis des années, me parait digne d’attention: le Japon où se déroule actuellement une véritable métamorphose de la culture d’entreprise. L’adoption de normes actionnariales similaires à celles de l’Occident, la désintégration des conglomérats et l’influence des actionnaires activistes présagent des rachats d’action à foison et une croissance des dividendes. A force de s’en désintéresser – à juste titre car il aurait été faux d’y entrer entre 1991 et 2021 -, les investisseurs sont structurellement sortis du marché japonais et c’est un vrai sujet qui reste ignoré des investisseurs.

Quelles sont les meilleures stratégies?

Inutile de se préoccuper de l’environnement et du consensus. Seule compte la qualité. Les gérants de type «value» ont été ignorés pendant plus d’une décennie – je dirais même que nous sommes parmi les derniers sur les petites valeurs européennes -, mais l’ère des taux bas est terminée et est revenu le temps de la sélectivité. En réalité, il existe nombre de microcaps européennes très solides, avec d’excellents bilans et beaucoup de cash, qui s’échangent à des prix ridicules, avec des PE inférieurs à 10. Et puis, il faut acheter quand les marchés tremblent et arriver avant les autres. Comme l’a si bien dit John Templeton, «Le temps du pessimisme le plus profond est le meilleur moment pour acheter, et le pic de l’optimisme le meilleur pour vendre.»[1]. Mais prendre la bonne position avant les autres demande une certaine expertise et surtout, passablement de courage…

Mieux vaut être … à contre-courant?

Si vous faites comme tout le monde, vos résultats seront … moyens.

Quel est votre sentiment sur le marché obligataire?

Certes, quand les taux montent, les obligations baissent mais pour un fonds de pension, 4,5% sur 30 ans n’est pas une proposition à ignorer. La transition est douloureuse mais le pricing du risque redevient possible et l’équilibre actions/obligations reprend du sens. En vérité, c’est un retour à la normale.

Déglobalisation? Le tissu économique mondial est trop difficile à détricoter.
Il en est beaucoup question; assistons-nous à la déglobalisation, à une régionalisation des échanges?

Je ne crois pas à la déglobalisation. Le tissu économique mondial est trop difficile à détricoter. D’ailleurs, les statistiques du commerce international sont stables, voire en croissance, si ce n’est sur le dernier trimestre. La crise du Covid et la guerre en Ukraine ont toutefois démontré que l’hyperspécialisation pouvait être néfaste et qu’un rapatriement de la production de certains éléments-clé comme les microprocesseurs faisait sens. Ceci dit, on ne va pas rapatrier la fabrication des T-shirts ou des chaussures ! Quant à la régionalisation, les prédictions unidirectionnelles sont généralement fausses et on voit mal le Maroc se substituer à l’Asie du Sud-est.


[1] “The time of maximum pessimism is the best time to buy, and the time of maximum optimism is the best time to sell.”

 

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