Comprendre les indices ou autres actifs financiers en un clin d'œil constitue un atout précieux pour tout professionnel actif sur les marchés. Originaire du Japon, une méthode s'est imposée mondialement: la méthode Ichimoku Kinkō Hyō. Trader indépendant et expert en analyse technique des courbes boursières, Patrick Riguet nous dévoile tous les mystères de cette technique, inventée au début du siècle dernier.
Qu’est-ce que l’indicateur ichimoku? Pouvez-vous en rappeler l’origine et l’histoire?
L’Ichimoku Kinkō Hyō a vu le jour au Japon entre 1932 et 1939, fruit des recherches de Goichi Hosoda, alors directeur de la section boursière du journal «Miyako». En 1936, sous le pseudonyme de Taro Sagami, Hosoda présente pour la première fois ses travaux sur la Tenkan Sen, appliqués aux cours du marché Shinto, l'un des principaux marchés de l’époque à la Bourse de Tokyo. Ce concept, baptisé «Shinto Tenkan Sen», constitue les bases de ce qui deviendra l’Ichimoku Kinkō Hyō.
En 1941, Hosoda quitte le journal «Miyako». Après la Seconde Guerre mondiale, il publie une version actualisée de son Ichimoku Kinkō Hyō dans le journal Japan Securities, utilisant cette fois le pseudonyme Ichimoku Sanjin. À cette période, la recherche sur les marchés financiers reste très
confidentielle, et ses travaux ne touchent qu'un cercle restreint d'initiés. Par la suite, Hosoda choisit de garder secrètes ses avancées, ne dévoilant la version complète de son système qu’en 1969, sous la forme de plusieurs tomes.
Ces tomes rencontrent un succès notable auprès d’un public averti, bien que ce succès soit à nuancer par le contexte de l’époque, où peu de non-professionnels s’intéressaient à la Bourse. Les éditions de 1969 s'épuisent rapidement, mais aucun nouveau tirage n’est réalisé pendant près d’une
décennie. Finalement, le petit-fils de Hosoda, détenteur des droits de l’œuvre originale, permet à l’éditeur coréen Iremedia de traduire et de publier l’intégralité des travaux de Hosoda en coréen, rendant ainsi cet outil accessible à un nouveau public.
A partir de quand les marchés occidentaux s’intéressent à l’Ichimoku Kinkō Hyō?
En Occident, l’Ichimoku n’a commencé à être expliqué de manière approfondie qu’au début des années 2000, principalement à travers des ouvrages publiés en anglais. Le premier de ces livres, «Ichimoku Charts» de Nicole Elliot, a permis de vulgariser cet outil, suivi en 2010 par «Cloud
Charts» de David Linton, qui a approfondi les explications. Ces deux ouvrages ont marqué les débuts de la recherche contemporaine sur le fonctionnement et l’utilisation de l’Ichimoku, bien qu’ils se soient appuyés sur des travaux déjà existants.
À partir de 2010, un grand nombre de contributeurs issus de diverses régions du monde ont commencé à publier leurs recherches sur l’Ichimoku. Ces publications, sous forme de livres, d’articles de blog, de forums ou vidéos, se sont souvent éloignées des enseignements originaux de Hosoda,
proposant des interprétations modernes et parfois très personnelles. Ce n’est qu’à partir de 2019-2020 que les enseignements originaux de G. Hosoda ont refait surface, bien qu’ils aient pu circuler de manière confidentielle auparavant. Cette redécouverte a entraîné une division entre deux écoles principales. La première cherche à rester fidèle aux fondements posés par Hosoda, tandis que la seconde privilégie une approche plus moderne et parfois éloignée des principes originels. Cette opposition reflète les différents usages et interprétations de cet outil dans un contexte contemporain.
De quelle manière fonctionne cet indicateur Ichimoku? Qu’est-ce qu’il analyse sur une courbe boursière?
L’Ichimoku Kinkō Hyō, qui signifie littéralement «voir l’équilibre d’un graphique en un coup d’œil», est un outil d’analyse technique destiné à interpréter rapidement les graphiques boursiers. Cet indicateur offre une vision synthétique des niveaux de support et de résistance, de la tendance (qu’elle soit haussière, baissière ou neutre) et ce, simultanément sur plusieurs unités de temps.
Grâce à l’Ichimoku, un investisseur peut évaluer l’action des prix en tenant compte des informations passées, présentes et futures. Cela permet d’optimiser le timing d’entrée et de sortie des positions, en identifiant les moments opportuns pour acheter ou vendre. Cet outil se distingue par sa capacité à fournir une analyse globale, combinant à la fois simplicité visuelle et profondeur analytique, rendant la prise de décision plus efficace et rapide.
On doit aussi au Japon, l’outil des chandeliers… Comment fonctionne cet autre outil?
Les chandeliers japonais constituent une méthode visuelle d'analyse technique qui représente l'évolution des prix d'un actif financier sur une période donnée.
Les chandeliers permettent de lire rapidement les comportements du marché en identifiant des configurations (ou patterns) spécifiques reflétant les sentiments des investisseurs, tels que l’hésitation, la confiance ou la peur. Ces configurations peuvent indiquer un retournement de tendance ou une continuation.
Grâce à leur clarté et à leur richesse d’informations, les chandeliers japonais sont un outil indispensable pour les analystes, offrant une vue précise sur la psychologie des marchés et facilitant la prise de décision.
L’utilisation des chandeliers japonais se révèle particulièrement puissante lorsqu’ils sont combinés avec l’Ichimoku Kinkō Hyō. Les patterns de retournement ou de continuation, repérés sur les niveaux clés identifiés par l’Ichimoku, offrent une précision et une efficacité redoutables dans l’analyse des marchés.
Y a-t-il une raison expliquant la prééminence de ce pays dans l’analyse graphique?
Les marchands de riz à l'époque Edo ont rapidement compris l'importance de prédire les fluctuations de prix, ce qui a conduit à des systèmes d'analyse précis tels que les chandeliers japonais, considérés comme les précurseurs de l’analyse technique moderne. Pendant des décennies, les
recherches en analyse technique sont restées confidentielles au Japon. Ce secret a permis au pays de développer une expertise unique et indépendante dans ce domaine, peu influencée par les méthodes occidentales jusqu'à leur introduction plus tardive.
Que disent l'Ichimoku et les chandeliers japonais de nos jours sur Wall Street?
Pour le S&P 500 Future, le graphique trimestriel montre une tendance puissamment haussière mais surachetée. En effet, l’écart entre les prix et la tenkan sen (ligne rouge) est excessif. Un investisseur de long terme, déjà à l'achat sur cet indice, peut conserver sa position tant que la kijun sen (ligne bleue) continue de jouer parfaitement son rôle de support.
On note aussi, dans les ellipses jaunes, la qualité du support offert par cette ligne de l’Ichimoku. La kijun sen n’a plus été cassée depuis 2011. Un investisseur n’étant pas en position devrait attendre un repli au moins jusqu'à la ligne rouge (tenkan sen) avant d’envisager un achat.
L’unité de temps mensuelle confirme l’analyse effectuée sur le graphique trimestriel. L’écart entre la Tenkan sen et la Kijun sen (lignes rouge et bleue) indique une configuration de surachat importante. Pour investir à l’achat, il convient d’attendre un repli au moins jusqu'à la Kijun sen.
Il est également possible d’indiquer les anciennes zones de support précises offertes par l’Ichimoku (légendes du nuage Ichimoku et extensions de plat SSB et plat Kijun sen).
Et qu’en est-il du SMI en Suisse?
Commençons par l’analyse du SMI future en graphique trimestriel. Malgré un essoufflement de la tendance, celle-ci demeure haussière. Le premier niveau de support de l’Ichimoku n’est pas cassé (Tenkan sen, ligne rouge). Néanmoins, il est probablement imprudent d’acheter tant que les prix ne
se replient pas sur la Kijun sen (ligne bleue). Notez le rôle parfait que joue cette ligne en tant que support (ellipses jaunes).
Dans une dimension mensuelle, le nuage se met à plat (horizontal), indiquant un net essoufflement de la tendance et une probabilité de «range» (latéralisation). La zone encadrée de bleu clair doit absolument tenir pour provoquer une relance. En dessous de cette zone, la probabilité que les
prix atteignent la zone des 10'225 points est forte.
Au contraire, en cas de rebond sur la zone d’équilibre (rectangle bleu), un retour sur les 10'490 points suivi des plus hauts historiques est probable. C’est sur cette zone qu’il conviendra d’étudier les patterns en chandeliers japonais pour déterminer la probabilité d’une cassure baissière ou d’un rebond haussier.
Quelle est la fiabilité de ces deux outils d’analyse graphique?
Pour quelqu’un qui s’est donné les moyens d’apprendre à les utiliser parfaitement, ces outils sont d’une grande fiabilité. Certes, rien n’est infaillible, mais ils permettent d’établir des projections de prix avec une forte probabilité de réussite.
En comparaison avec les autres outils disponibles, les outils japonais sont-ils plus fiables?
Personnellement, je le crois et le constate régulièrement. Néanmoins, tout dépend de chacun. Ichimoku et les chandeliers japonais permettent de réaliser des analyses rapides, efficaces et fiables. Ce sont des outils très visuels.
Cependant, ils peuvent ne pas convenir à tout le monde ; d’autres analystes préfèreront le chartisme, par exemple, cet autre outil qui consiste à étudier un graphique boursier afin de détecter des figures géométriques récurrentes.
Comme on a pu l’observer plus haut, le grand avantage de l’Ichimoku est son utilisation simultanée sur plusieurs unités de temps, ce qui renforce la qualité de l’analyse.
L’on entend que l’analyse graphique serait en perte de vitesse, notamment au sein des banques. Après 55 ans, pensez-vous qu’Ichimoku conserve son intérêt dans le contexte actuel?
J’en suis convaincu. Si une entreprise cotée en bourse présente de solides fondamentaux, attendre une configuration idéale déterminée par l’analyse graphique permet d’obtenir un excellent timing d’entrée et d’éviter bien des désillusions.
Pour répondre à la question de l’efficacité d’outils anciens, je dirais que si un outil de plus de 55 ans est de plus en plus utilisé en analyse technique c’est qu’il doit être particulièrement fiable et efficace. Et que dire des chandeliers japonais datant du 18e siècle aujourd’hui massivement affichés sur la plupart des graphiques des analystes et traders?
D'après vous, quel sera l’impact des nouvelles formes d’IA sur votre domaine d’expertise?
Très honnêtement, je n’en ai aucune idée. J’ai travaillé avec des spécialistes en machine learning et supervised learning, convaincus qu’ils pouvaient reproduire l’analyse humaine via l’Ichimoku. Ils n’y sont pas parvenus. Jusqu’à présent, les IA et les algorithmes ne parviennent pas à utiliser l’Ichimoku correctement.