IA: on est encore très loin d’une bulle spéculative

Yves Hulmann

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Selon Brice Prunas d’ODDO BHF, l’adoption généralisée de l’intelligence artificielle aura un impact beaucoup plus important que l’arrivée d’Internet à la fin des années 1990.

Aucun développement technologique récent n’a recueilli autant d’attention que l’intelligence artificielle (IA) au cours des derniers mois. Les attentes des investisseurs envers l’IA sont-elles exagérées ou sous-estime-t-on encore au contraire encore les implications futures de cette technologie? Le point avec Brice Prunas, gérant de portefeuille et spécialiste des questions liées à l’intelligence artificielle (IA) chez ODDO BHF Asset Management SAS.

Certains observateurs établissent des parallèles entre la période du tournant du millénaire, qui avait été marquée par l’incroyable engouement lié à l’arrivée d’Internet mais qui s’est terminée par l’éclatement d’une bulle financière, et la tendance actuelle de certaines entreprises à ajouter une touche «IA» à leur modèle d’affaires pour se rendre plus attrayantes. Quelles sont à votre les similarités et les différences entre ces deux périodes?

Beaucoup de gens sous-estiment encore l’impact fondamental qu’aura l’intelligence artificielle (IA) dans toutes sortes d’activités et la transformation de nombreux modèles d’affaires qui en résultera. La mise à disposition du public de ChatGPT en novembre 2022 représente selon nous un changement fondamental. Cela non pas tellement à cause d’un progrès soudain au sein de cette technologie elle-même, qui était déjà testée et utilisée dans différents domaines, mais parce que dorénavant chaque entreprise, chaque université, chaque laboratoire et toutes sortes de gens intéressés ont commencé à se poser la question de savoir comment ils pourraient utiliser l’IA générative dans leur propre activité ou dans leur modèle d’affaires. La particularité de l’IA – à la différence par exemple de récents développements tels que le Metaverse ou l’essor des crypto-monnaies – est qu’elle transformera en profondeur une multitude d’activités, en particulier celles qui sont intensives en matière de données. Nous pensons que l’IA transformera la manière de travailler dans divers secteurs tels que la santé, la finance, le commerce, le divertissement ainsi que toutes sortes d’autres activités de services.

«La particularité de l’IA – à la différence de récents développements tels que le Metaverse ou l’essor des cryptomonnaies – est qu’elle transformera en profondeur une multitude d’activités.»

De ce point de vue, l’adoption généralisée de l’IA aura à mon avis même un impact beaucoup plus important que l’arrivée d’Internet à la fin des années 1990. Selon une étude de Goldman Sachs publiée en mars 2023, 300 millions d’emplois à travers le monde pourraient être menacés par l’IA ou seront remis en question. Cela posera d’énormes défis en termes de requalification du personnel. Toutefois, si beaucoup d’emplois sont supprimés, d’autres apparaîtront aussi. De plus, d’autres développements en cours dans les technologies de l’information (IT), qui se rapprocheront de la biologie, renforceront encore la puissance de l’IA. En résumé, je pense que nous n’en sommes encore qu’au début des développements en lien avec l’IA.

En tant que gérant d’un fonds consacré à la thématique de l’IA, comment sélectionnez-vous les sociétés les plus intéressantes en lien avec l’intelligence artificielle?

Nous nous concentrons à la fois sur un certain nombre de grandes entreprises qui tirent largement parti des développements en lien avec l’IA, à l’exemple du fabricant de semi-conducteurs Nvidia* ou de l’éditeur de logiciels Microsoft*. Les 10 plus grandes capitalisations au sein de notre fonds ne représentent toutefois que 42% de l’ensemble du fonds. Le reste est constitué de plus de 40 valeurs. A noter aussi que, à la différence de certains fonds qui se limitent à des secteurs ou industries spécifiques, notre fonds n’inclut pas seulement des titres de sociétés liées aux technologies de l’information (environ 69%), mais aussi des entreprises actives dans la santé (9,6%), la consommation discrétionnaire (7,4%), les services de communication (6,6%) ou la finance (5,2%). Notre processus d’investissement, centré sur l’analyse fondamentale est augmenté d’outils de traitement naturel du langage (qui est une partie de l’intelligence artificielle). Cette sélection résulte d’un travail d’analyse fondamentale qui nous permet d’identifier également des sociétés que nous n’aurions pas toujours d’emblée associées à l’IA. C’est le cas par exemple de CBOE Global Markets*, l’exploitant de la bourse des options de Chicago, dont l’action a représenté dans le passé 4% de notre portefeuille.

«Selon notre analyse, Samsung et Intel, certes concurrents de TSMC, ne constituent pas une alternative en mesure de rivaliser avec TSMC dans des volumes suffisants.»
Lorsqu’un sujet est aussi médiatisé que l’IA, comment peut-on éviter que certaines valeurs profitent de manière exagérée de tout ce qui est associé à cette thématique, alors que leur modèle d’affaires dépend davantage d’autres facteurs?

Il peut certes y avoir occasionnellement des titres qui profitent soudainement du fait qu’on les associe d’une manière ou d’une autre à l’IA. Toutefois, contrairement à la bulle internet au tournant du millénaire, je pense qu’on est encore très loin d’une situation de bulle spéculative. Plusieurs aspects différencient ces deux périodes. Premièrement, à la fin des années 1990, il y avait un nombre élevé d’IPO; actuellement, il n’y en a pratiquement pas. A la fin des années 1990, il y avait une multitude de petites sociétés liées d’une manière ou d’une autre à Internet qui étaient encore très fragiles. Actuellement, ce sont plutôt de grandes entreprises, qui sont actives dans l’intelligence artificielle. Une autre différence concerne les critères d’évaluation: au tournant du millénaire, certains analystes et investisseurs se référaient à des ratios tels que la valeur d’entreprise ramenée par rapport au chiffre d’affaires (EV/Sales) – voire même à la valeur d’entreprise rapportée au nombre de membres inscrits sur un site ou de clients – pour justifier des valorisations stratosphériques, car beaucoup de ces sociétés n’étaient pas rentables. Impossible alors de calculer un multiple des bénéfices. Aujourd’hui, rien de tel avec l’IA. A titre d’exemple, le ratio entre le cours et les bénéfices estimés pour 2024 (P/E) de Nvidia* est de l’ordre de 26 – cela reste raisonnable. Cependant gardons à l’esprit que les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures et ne sont pas constantes dans le temps.

Hormis les développements liés au «machine learning», situé au niveau des logiciels, les progrès dans l’intelligence artificielle dépendent aussi beaucoup des capacités de calculs disponibles qui nécessitent des équipements en semi-conducteurs toujours plus sophistiqués. La situation à Taïwan où est basé TSMC, le leader mondial du secteur, peut-elle constituer une menace pour l’essor de l’AI en cas d’escalade des tensions avec la Chine?

TSMC* réalise 45% de son chiffre d’affaires avec des groupes tels que Apple, Qualcomm ou AMD. Ces groupes conçoivent le design des puces mais ils les font fabriquer en grande partie par TSMC. Selon notre analyse, Samsung* et Intel*, certes concurrents de TSMC, ne constituent pas une alternative en mesure de rivaliser avec TSMC dans des volumes suffisants. Donc, effectivement, la situation géopolitique autour de Taïwan est un risque qui ne peut pas être ignoré. En ce qui nous concerne, il faut préciser que nous n’avons dans notre portefeuille aucune position d’entreprise basée à Taïwan, et seulement une société en Chine, un pays que nous considérons largement comme non-investissable actuellement. Il convient de rappeler que le fonds ODDO BHF Artificial Intelligence présente un risque actions et un risque de perte en capital.

 

*Les valeurs mentionnées ne constituent pas une recommandation d’investissement

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