Exploiter les différents cycles du marché de l’immobilier en Europe

Yves Hulmann

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Pour Jessica Hardman, gérante de portefeuille chez DWS, il faut aussi être attentif aux changements d’habitude résultant de la pandémie.

Chez DWS, qui est l’un des principaux gérants d’actifs consacrés au logement résidentiel en Europe, Jessica Hardman dirige la gestion de portefeuille pour l’Europe. Avec plus de 6 milliards d’euros d’actifs sous gestion, DWS a renforcé sa présence et son expertise au cours des quinze dernières années. Compte tenu de l’attrait grandissant des investisseurs pour ce secteur, DWS a lancé un fonds dédié à la thématique de l’«European Living Sector» qui se concentre essentiellement sur les logements résidentiels ou les logements pour étudiants à travers l’ensemble de l’Europe. En revanche, il n’inclut pas d’autres formes d’habitats tels que les hôtels. Le point avec Jessica Hardman, gestionnaire de portefeuille chez DWS.

Quels sont les pays les plus représentés au sein de votre fonds?

Schématiquement, on pourrait répartir les différents marchés figurant dans notre fonds en deux catégories. Premièrement, il y a les marchés de l’immobilier résidentiel considérés comme étant les plus mûrs, à savoir l’Allemagne, les Pays-Bas, les pays nordiques ou encore l’Irlande. Ensuite, il y a des marchés qui le sont un peu moins comme le Royaume-Uni, l’Espagne ou l’Italie, où notre allocation d’actifs est un peu plus réduite au départ.

«Vous pouvez trouver un bon équilibre entre ces différentes dynamiques de marché, sans avoir toutefois à supporter trop de risques de concentration liés à un marché spécifique.»
Pourquoi est-il intéressant d’avoir une approche pan-européenne lorsque l’on investit sur ce marché?

En investissant dans l’ensemble de l’Europe, vous pouvez, d’une part, mieux équilibrer les risques d’un portefeuille d’investissement résidentiel. D’autre part, les cycles à l’intérieur des différents pays ne sont pas nécessairement corrélés entre eux. Ce n’est pas parce qu’il y a, par exemple, un boom des prix de l’immobilier à Londres que ça sera aussi nécessairement le cas dans les grandes villes allemandes. Il est ainsi possible de mieux répartir les risques entre des marchés plus établis comme l’Allemagne et les Pays-Bas et d’autres marchés plus «émergents» dans ce domaine tels que le Royaume-Uni ou l’Espagne. Vous pouvez trouver un bon équilibre entre ces différentes dynamiques de marché – avec à la clé un rendement net des investissements mixtes («blended return») de l’ordre de 5 à 6% par an -, sans avoir toutefois à supporter trop de risques de concentration liés à un marché spécifique.

S’agissant de la première économie européenne, certains experts redoutent une régulation du marché beaucoup plus forte à l’avenir du marché en Allemagne si le SPD devient la principale force de la coalition au pouvoir. Pour un investisseur dans l’immobilier résidentiel, faut-il craindre un encadrement très strict des loyers dans l’ensemble des grandes villes allemandes, comme c’est déjà le cas à Berlin? 

Bien qu'aucune réponse définitive ne puisse être donnée à cette question à l'heure actuelle, à en juger par les programmes électoraux des partis qui ont le plus de chance de former la prochaine coalition gouvernementale en Allemagne, des changements réglementaires concernant le marché du logement font l’objet de discussions. Les Sociaux-démocrates et les Verts trouveront probablement un terrain d'entente lorsqu'il s'agira de lutter contre les problèmes d'accessibilité au logement et de freiner l’augmentation des loyers. Une première indication va dans le sens de programmes de logement social plus étendus et d'un renforcement des régimes de location en place.

«Lorsque la pandémie sera terminée, beaucoup de gens voudront retourner dans les centres des villes.»

Toutefois, il est peu probable qu'un cadre réglementaire étendu, tel que nous le voyons dans le Land de Berlin, soit mis en place ailleurs. D'une part, car les partis politiques qui sont le moteur du renforcement de la réglementation à Berlin et une partie du sénat, disposent d’une base beaucoup plus faible au niveau national. Une deuxième raison réside dans le système fédéral allemand. Toute législation doit passer par le Bundesrat (la «deuxième chambre»), où sont représentés tous les États fédéraux et leurs partis au pouvoir respectifs. Compte tenu de la diversité des situations actuelles, il pourrait s'avérer difficile de faire passer des réglementations controversées au niveau national.

Suite à la crise du COVID-19, il a été beaucoup question de l’influence à long terme qu’aura la pandémie sur le comportement des locataires ou propriétaires d’appartements. Grâce au télétravail, il est possible pour davantage de personnes d’habiter à l’écart des grands centres. Quelles régions ou aires urbaines en bénéficieront et lesquelles en souffriront?

S’agissant des centres des villes, il est certain que la pandémie a mis sous pression la demande pour l’immobilier résidentiel situé au cœur des grandes zones urbaines. Toutefois, lorsque la pandémie sera terminée, on peut s’attendre à ce que beaucoup de gens voudront retourner dans les centres des villes. C’est le cas des étudiants, des jeunes professionnels mais aussi souvent des expatriés ou des immigrants intra-européens qui généralement préfèrent habiter à un endroit proche de leur lieu de travail.

S’agissant des zones suburbaines, beaucoup de telles zones résidentielles, situées à des distances pas trop éloignées des grands centres et bien connectées aux transports publics, ont aussi gagné en attrait pour de nombreuses catégories de la population. C’est le cas pour les couples et les petites familles. On est d’accord d’aller habiter à une distance impliquant une demi-heure, trois quarts d’heure voire même plus d’une heure de trajet dès lors que l’on ne doit plus forcément se rendre chaque jour au bureau ou de manière plus flexible.

«Il est peu probable qu'un cadre réglementaire étendu, tel que nous le voyons dans le Land de Berlin, soit mis en place ailleurs.»
La définition de zone suburbaine est-elle la même à Londres, Paris ou à Francfort par exemple? 

On définit comme deuxième cercle urbain les aires résidentielles situées en dehors des centres mais qui permettent de faire les trajets jusqu’à son lieu de travail dans un temps raisonnable. La durée elle-même de ces trajets varie selon les zones urbaines: à Francfort, on dira que jusqu’à 35 minutes de déplacement c’est acceptable; à Londres, les pendulaires accepteront peut-être jusqu’à une heure, voire un peu plus.

Et qu’en est-il de l’immobilier résidentiel dans les régions de campagne – peut-il profiter à long terme de l’impact que la pandémie a eu sur les habitudes des gens? 

Le comportement futur des gens à l’ère post-pandémie est bien sûr encore très difficile à prévoir. Néanmoins, il est clair que s’il est possible pour de nombreux employés et employées de se rendre seulement un ou deux jours par semaine au bureau et de faire du télétravail le reste de la semaine, cela modifiera les habitudes d’une partie de la population qui pourrait être intéressée à aller habiter beaucoup plus à l’écart des grands centres. C’est quelque chose que nous allons, en tant qu’investisseur, devoir suivre de manière très attentive.

A l’inverse, certains parient sur un boom de la demande pour les «micro appartements» dans les centres des villes. Qu’en pensez-vous?

C’est une forme d’habitat recherchée par les jeunes professionnels ou les pendulaires à temps partiel. Les «young starters» sont attirés par cette option à faible coût qui permet d’habiter dans les centres, tandis que les autres pendulaires apprécient de vivre dans des habitations spacieuses dans des localités semi-rurales mais recourent à ces micro-appartements quand ils doivent travailler au centre-ville. Dans les deux cas, ces micro-appartements, qui peuvent ne pas dépasser les 30 mètres carrés, offrent une solution flexible. C’est dès lors une tendance urbaine qui est suivie avec attention par les spécialistes de l’immobilier.

Pour un investisseur basé en Suisse, pourquoi est-il intéressant d’investir dans un fonds immobilier pan-européen compte tenu des éventuels risques de change susceptibles d’éroder le rendement obtenu? 

Comme déjà évoqué précédemment, je pense que le fait d’être exposé à un pool diversifié de pays est un avantage lorsqu’on investit dans l’immobilier résidentiel.

Maintenant, s’agissant des éventuels frais de couverture («hedging»), même en tenant compte de ces coûts, il est toujours possible d’obtenir un rendement net attrayant sur la durée pour les investisseurs basés en Suisse, spécialement pour ceux qui recherchent une exposition à long terme dans le secteur immobilier.

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