Donner une valeur à la biodiversité

Yves Hulmann

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La restauration des écosystèmes est absolument cruciale pour faire face au changement climatique, estime Ulrik Fugmann de BNP Paribas Asset Management.

La préservation des écosystèmes et de la biodiversité a été placée sous les feux des projecteurs à l’occasion du Congrès mondial de la nature organisé par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICE) qui s’est achevé le 11 septembre à Marseille. Indépendamment de ce type d’événements, comment les entreprises peuvent-elles intégrer cette dimension dans le cadre de leurs activités sur le long terme? Et comment les gérants de fonds peuvent-ils sélectionner les sociétés les plus à la pointe sur ce plan?

Après avoir lancé en 2019 un fonds dédié au thème de la transition énergétique, puis un autre de type long/short consacré à la thématique de l’environnement en 2020, BNP Paribas Asset Management complète son offre avec un fonds centré sur la restauration des écosystèmes. L’établissement, qui gère quelque 4 milliards de dollars d’actifs consacré à six thèmes environnementaux, a lancé en 2021 une nouvelle stratégie qui offre une exposition aux entreprises engagées dans la restauration et la préservation des écosystèmes mondiaux et du capital naturel. Le fonds investit dans des sociétés issues du monde entier qui ont pour point commun de proposer des solutions environnementales contribuant à cet objectif par le biais de leurs produits, services ou processus. Face à un enjeu aussi complexe que celui de la dégradation des écosystèmes mondiaux, comment est-il possible de sélectionner des entreprises qui contribuent à la préservation et la restauration de ceux-ci? Entretien avec Ulrik Fugmann, co-gérant de portefeuille chez BNP Paribas Asset Management à Londres, qui s’exprimait lundi dernier en marge du Zurich Forum for Sustainable Investment.

«Actuellement, notre rythme de consommation du capital naturel est environ 1,75 fois plus rapide que la capacité de régénération de la Terre.»
Pourquoi avoir mis sur un pied un fonds dédié spécialement au thème de la restauration de la biodiversité?

En comparaison du débat beaucoup plus vaste qui est mené actuellement à propos du changement climatique, la protection des écosystèmes est une thématique qui me semble être parfois un peu oubliée dans le débat public. Or, la restauration des écosystèmes contribuera aussi à lutter contre le changement climatique de manière très importante. Une autre notion essentielle est celle du capital naturel. Actuellement, notre rythme de consommation du capital naturel est environ 1,75 fois plus rapide que la capacité de régénération de la Terre. C’est dans ce contexte que nous avons créé un fonds qui intègre 6 parmi les 17 objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies et qui est organisé autour de trois thèmes principaux, à savoir la préservation et restauration des écosystèmes aquatiques, terrestres et urbains. La première catégorie concerne les océans et les systèmes aquatiques, la seconde concerne les sols et les moyens d’empêcher leur dégradation, l’alimentation et la sylviculture, tandis que la troisième se rapporte à l’organisation des villes, aux immeubles durables ainsi qu’à des aspects tels que le recyclage, la gestion des déchets ou les modes de transport.

Il s’agit de domaines et d’enjeux très divers. En tant que gérant de fonds, comment définissez-vous l’univers d’investissement des sociétés qui apportent, d’une façon ou d’une autre, des solutions en lien avec la restauration des écosystèmes?

Globalement, notre univers d’investissement en lien avec cette thématique est constitué de presque 1’000 entreprises à travers le monde, présentes à la fois dans les marchés développés et émergents. Pratiquement, ces quelque 1’000 entreprises, dont les activités ont un lien avec l’un des trois écosystèmes évoqués, sont considérées comme des fournisseurs de solutions environnementales dès lors qu’au moins 20% du total de leur chiffre d’affaires, de leurs dépenses d’investissement («CapEx») ou de leur bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (EBITDA) provient d’activités considérées comme étant des solutions environnementales. Nous avons jugé important d’intégrer les dépenses d’investissement parmi ces critères car celles-ci sont un indicateur important de l’avenir d’une entreprise, au contraire du chiffre d’affaires qui reflète plutôt son passé.

Concernant la restauration des écosystèmes, pouvez-vous donner un exemple de techniques ou de pratiques qui y contribuent?

Il y en a bien sûr dans toutes sortes de domaines. Si l’on prend, par exemple, l’aspect de la dégradation des sols en lien avec l’agriculture, il existe actuellement des entreprises qui fournissent de nouveaux équipements offrant une alternative au labourage des sols. Le labourage des sols libère du CO2 dans l’atmosphère et finit souvent par appauvrir la qualité des sols. Comme il est ensuite difficile de faire pousser des céréales de qualité sur ces sols, il faut alors les stimuler avec des engrais ou des pesticides, ce qui pollue l’environnement et les eaux. Au fil du temps, il en résulte des sols devenus parfois complètement infertiles, comme c’est le cas par exemple dans certaines régions d’Amérique latine. Tout cela, parce qu’au départ de nombreux micro-organismes présents dans les sols ont été détruits par le labourage et certains traitements chimiques. Pour éviter cela, une des solutions consiste justement à préserver ces micro-organismes dans les sols.

«Un des moyens de réduire la pression sur les populations de poissons est l’approche appelée «fish farming».
Les océans font l’objet de beaucoup d’attention actuellement. Pouvez-vous citer des exemples de mesures prises pour éviter la dégradation des écosystèmes aquatiques?

Il existe une multitude de thèmes en liens avec la préservation des océans. Il y a bien sûr la question du retrait des énormes quantités de plastiques qui polluent les océans dans certaines régions du globe. S’y ajoute la surpêche et l’épuisement des stocks de poissons. A ce sujet, un des moyens de réduire la pression sur les populations de poissons est l’approche appelée «fish farming», à savoir le fait d’élever de manière décentralisée des poissons dans des fermes situées sur les terres.

Y a-t-il aujourd’hui des alternatives au plastique s’agissant des emballages?

Il faut toujours prendre en considération l’ensemble des aspects en rapport avec un une technique ou des matériaux donnés. Par exemple, l’utilisation des plastiques pour emballer la nourriture contribue, d’un côté, à réduire le gaspillage alimentaire. De l’autre côté, le plastique est bien sûr très néfaste quand il finit dans les rivières et les océans, etc. Il faut faire attention à ne pas tout peindre en noir ou en blanc lorsque l’on aborde les questions environnementales.

La même question se pose par rapport à l’élevage de bovins: aujourd’hui, beaucoup de gens pensent que les vaches sont responsables de tous les problèmes environnementaux. Mais ce n’est pas le cas: la question est celle de la méthode d’élevage. Aux Etats-Unis et dans de nombreux autres pays, beaucoup de troupeaux sont gardés dans les mêmes enclos tout l’année où ils détruisent les sols et ne contribuent pas à l’équilibre de l’écosystème dans son ensemble. Il existe toutefois d’autres manières de travailler en faisant passer les bovins successivement d’un enclos à un autre de façon à préserver la qualité des sols et à permettre la régénération de ceux-ci.

Vous semblez donc optimiste quant aux différentes solutions qui existent pour restaurer les écosystèmes.

La bonne nouvelle est qu’il existe aujourd’hui des milliers d’entreprises à travers le monde qui, dans un domaine ou dans un autre, disposent de techniques ou de solutions environnementales qui peuvent contribuer à préserver la biodiversité ou à restaurer les écosystèmes. La question est souvent la manière de parvenir à mettre à disposition ces solutions à large échelle, ce que l’on appelle la «scalability» en anglais.

Toutes ces sociétés ne sont toutefois pas nécessairement cotées en bourse. Est-il possible d’intégrer l’innovation apportée par des entreprises détenues en mains privées?

C’est aussi une catégorie d’entreprises qui apportent une contribution très importante en matière d’innovation. Certaines d’entre elles envisagent une cotation en bourse, d’autres non. C’est pourquoi il est très important de rester connecté avec ces entreprises en mains privées et d’établir des relations avec celles-ci, qu’elles décident ensuite d’entrer en bourse ou non.

Pouvez-vous citer des exemples de sociétés figurant dans votre fonds?

On peut citer Novozymes, une société biotechnologique danoise spécialisée dans les enzymes, dans laquelle nous avons pris une position au cours du deuxième trimestre 2021. Ou encore Atlantic Sapphire, une entreprise norvégienne qui gère des installations d’élevages de saumons sur terre en Amérique du Nord.

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