Et la Fed continue

Nathalie Benatia, BNP Paribas Asset Management

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Les périodes de transition, même vers une situation plus favorable, ne sont pas toujours les plus faciles à négocier.

Les variations des marchés financiers au cours des derniers jours ont traduit une certaine nervosité. Plusieurs scénarios sont simultanément présents à l’esprit des investisseurs et, avant que celui défendu par les autorités monétaires d’une accélération seulement «temporaire» de l’inflation ne parvienne à s’imposer, des frictions restent possibles, sur les obligations comme sur les actions. Les périodes de transition, même vers une situation plus favorable, ne sont pas toujours les plus faciles à négocier.

Mercredi 16 juin, la Réserve fédérale américaine (Fed) a surpris les observateurs à l’issue de son comité de politique monétaire (FOMC - Federal Open Market Committee). Comme attendu, le taux objectif des fonds fédéraux a été maintenu dans la fourchette 0% à 0,25% en vigueur depuis mars 2020 et les achats de titres se poursuivront au rythme actuel de 120 milliards de dollars jusqu’à ce que des «des progrès supplémentaires substantiels aient été accomplis vers les objectifs de plein emploi et de stabilité des prix».

Néanmoins certains aspects de la communication (scénario optimiste sur l’emploi, ajustement à la hausse du niveau de taux directeur jugé «approprié» à horizon 2023) ont conduit les investisseurs à envisager que la hausse des taux directeurs pourrait intervenir plus tôt qu’envisagé. Vendredi 18, le Président de la Fed de Saint-Louis a fait comprendre qu’il faisait partie du groupe de membres du FOMC jugeant qu’une hausse serait appropriée dès 2022 en raison de l’accélération de l’inflation.

Mardi 22, à l’occasion d’une audition devant une commission de la Chambre des représentants, Jerome Powell s’est efforcé de nuancer cette impression et semble y être parvenu. Le Président de la Fed a répété que les tensions inflationnistes étaient transitoires, que la politique monétaire visait à une reprise complète et inclusive de l’emploi, et que d’éventuelles craintes inflationnistes ne conduiraient pas à une remontée préventive des taux directeurs.

Les investisseurs et les économistes seraient-ils un peu perdus?

Les heures et les jours qui ont suivi la réunion du FOMC ont été marqués par des variations déroutantes des marchés financiers. Le rendement du T-note à 10 ans a évolué entre 1,35% et près de 1,60% pour terminer à 1,46% le 22 juin. Les actions américaines, qui avaient été pénalisées par l’analyse initiale des conclusions du FOMC, ont clôturé le 23 au niveau qui prévalait le 15 alors que l’indice S&P 500 avait perdu 1,9% entre le 11 et le 18 juin, soit sa plus forte baisse hebdomadaire depuis février.

Erreur de communication? Ballon d’essai? Surinterprétation? Débouclements brutaux de certaines positions? Quelle que soit l’explication mise en avant, ces évolutions traduisent manifestement une certaine nervosité. Paradoxalement, Jerome Powell a pu confirmer lors de la conférence de presse du 16 juin que les discussions sur la diminution du rythme des achats de titres (tapering) avaient commencé sans susciter d’inquiétude particulière.

L’environnement économique a-t-il changé?

Pas vraiment. Les enquêtes auprès des directeurs des achats (PMI – Purchasing Manager Index) ont montré que l’activité avait continué à se redresser en juin dans la zone euro, dans le secteur manufacturier mais surtout dans les services. Selon l’estimation préliminaire, l’indice PMI composite a atteint un plus haut de 15 ans et l’enquête fait ressortir un allongement des délais de livraison et une hausse significative des carnets de commandes, ce qui a conduit les entreprises à créer de nombreux emplois.

Ces données confirment le rattrapage des économies européennes grâce aux avancées de la vaccination qui permettent la levée progressive des restrictions sanitaires. Les Etats-Unis sont en avance, dans la vaccination (avec 45% de la population complètement vaccinée contre 25% à 30% dans les grands pays de la zone euro) comme dans la reprise économique. Le PIB américain a progressé de 6,4% en rythme annualisé au 1er trimestre et les données disponibles au 16 juin laissent envisager une croissance de 10% environ au 2e trimestre.

Les indicateurs les plus récents, en particulier sur le marché de l’immobilier, ont montré un léger tassement de l’activité qui ne remet toutefois pas en cause la solidité de la demande intérieure. Les vacances estivales devraient être l’occasion pour les ménages américains d’utiliser une partie de leur épargne dans la mesure où les perspectives sur l’emploi sont bonnes.

L’hypothèse d’une synchronisation de la reprise économique au second semestre reste d’actualité.

Alors pourquoi s’inquiéter?

Peut-être parce que l’esprit humain n’est jamais vraiment en paix. Plus prosaïquement sans doute parce que les actions mondiales affichent une hausse de 10,6% depuis le début de l’année et de 26% par rapport à fin 2019 (au 22 juin), que les taux d’intérêt sont inférieurs à leur valeur d’équilibre calculée sur la base de la croissance nominale, et que les taux réels sont toujours largement négatifs.

Les mouvements des derniers jours ont aussi illustré la difficulté pour les investisseurs comme pour les banquiers centraux de passer d’une situation où prévalait l’urgence sur tous les fronts à un environnement moins dégradé qui impose de s’interroger sur le retour à la normale.

La Fed comme la BCE (Banque centrale européenne) ne semblent pas vouloir devancer l’appel et indiquent qu’elles entendent maintenir des conditions financières favorables. Christine Lagarde a répété devant le Parlement européen que, malgré la perspective d’une reprise plus forte, le moment n'était pas encore venu de relever les taux d'intérêt.

Les prochains rendez-vous à ne pas manquer

La communication des intentions en matière de politique monétaire sera cruciale dans les prochains mois et, nous venons de voir avec la Fed que ce n’est pas un exercice facile.

Si les deux prochaines réunions de politique monétaire de ces institutions (22 juillet pour la BCE, 28 juillet pour la Fed) ne devraient pas être des rendez-vous jugés capitaux par les investisseurs, les colloques de Jackson Hole (du 26 au 28 août) et de Sintra (28 et 29 septembre) pourront fournir l’occasion de clarifier l’approche à moyen terme de la politique monétaire alors que les cicatrices de long terme de la pandémie sur la croissance potentielle seront encore visibles pendant plusieurs années.

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