Dette émergente: savoir faire le tri

Yves Hulmann

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Selon Cathy Hepworth de PGIM, le Brésil dispose de bonnes cartes pour surmonter le passage à vide de l’économie mondiale.

La force du dollar est un sérieux défi pour les placements dans les marchés émergents. Pour autant, certains pays ont toujours des atouts à faire valoir sur le long terme. Le point sur la question avec Cathy Hepworth, responsable de la gestion obligataire sur les marchés émergents chez PGIM.

Le dollar n'a cessé de se renforcer face à un panier de diverses monnaies cette année. Quelles en sont les implications pour les placements en dette émergente?

Il y a plusieurs aspects à considérer. Il semblerait acquis que toute nouvelle hausse du dollar est néfaste pour les placements dans les marchés émergents. Dans le domaine obligataire, il est nécessaire de différencier entre les circonstances spécifiques, à la fois en fonction des pays et du type de dette dont il s’agit. Plutôt que de seulement distinguer entre dette des pays développés et dette émergente, il faut par exemple différencier d’abord entre les obligations de degré «investissement» (Investment grade ou IG) et celles qui ne le sont pas. Dans le cadre de cette analyse, il convient de prendre en compte les besoins de liquidités extérieures à court terme, ainsi que les réserves de change et les autres pressions sur la balance des paiements. Ensuite, il faut analyser à quel point un émetteur de dette est exposé au secteur des matières premières. Un autre critère important est de regarder si un pays ou une entreprise émet de la dette libellée en dollar ou en monnaie locale. Un émetteur issu d’un pays émergent fortement endetté en dollars est bien sûr exposé à des difficultés en cas d’appréciation du billet vert s’il doit rembourser son emprunt en dollars mais que ses revenus sont réalisés en monnaie locale. Pour résumer, les risques ne sont pas toujours distribués de façon égale au sein de la dette émergente.

Vous avez évoqué l’exposition au secteur des matières premières. La hausse des prix observée dans de nombreux domaines, en particulier ceux liés à l’énergie, ne devrait-elle pas être un facteur de soutien pour la dette émergente?

Bien entendu, il y a de nombreux émetteurs de dette issus des pays émergents qui bénéficient de la hausse de prix des matières premières, y compris l’énergie, et cela permet de compenser, du moins en partie, l’impact négatif du renforcement du dollar. Et même parmi ceux-ci, il est surtout important de différencier entre les pays qui sont résilients dans un contexte de ralentissement économique et ceux qui le sont moins. Certains exportateurs d'énergie sont également vulnérables, soit en raison de déséquilibres, soit en raison de pressions sur l'inflation et la croissance.  De même, de nombreux pays émergents importateurs de matières premières subissent l'impact négatif du choc énergétique. ll s'agit notamment de certains pays d'Europe centrale et orientale.

Quels sont les pays les plus résilients et qui sont ceux qui le sont moins?

Parmi les pays moins résilients, je citerais, par exemple, le Sri Lanka qui connaît d’importantes difficultés, aussi pour des raisons internes. C’est le cas aussi du Ghana qui est confronté à une situation difficile sur le plan de son endettement – et celle-ci s’est encore compliquée récemment en raison de l’environnement d’un dollar fort. En Amérique latine, on peut aussi citer le Salvador.

Et qui sont les pays émergents plus résilients?

Le Brésil est un tel exemple. Le pays affiche un faible niveau d’endettement et même s’il traverse une période d’incertitude sur le plan politique, en raison de la tenue des élections, l’économie brésilienne conserve de nombreux atouts sur le long terme. On peut aussi citer les pays du Golfe qui sont à la fois peu endettés et qui ont profité de l’envolée des prix du pétrole en première moitié d’année.

Qu'en est-il des conséquences de l’évolution des prix des autres matières premières, non liées à l’énergie, sur les marchés émergents?

Les matières premières agricoles sont un facteur de stabilité pour les pays émergents qui en exportent dans le contexte actuel. Les matières premières agricoles sont moins sensibles à l’évolution conjoncturelle de l’économie mondiale même si elles le sont néanmoins à celle de la météorologie. Donc, je pense qu’il vaut mieux être un exportateur de matières premières agricoles, comme le Brésil, que d’être dépendant des fluctuations de certaines matières premières qui dépendent de marchés très spécialisés.

Il est beaucoup question de transition énergétique. Y a-t-il des pays émergents particulièrement bien positionnés pour tirer parti de la demande liée aux matières premières nécessaires à la transition énergétique, comme lithium, ou cela reste-t-il plutôt marginal?

La Chine en fait partie, car c’est l’une des initiatives stratégiques du pays et aussi tout simplement car on y trouve d’importantes quantités de certains métaux rares dans son sol. La Chine est le premier extracteur de graphite par exemple. Le Chili dispose, lui, aussi d’importants gisements de cuivre et d’autres minerais. Un pays, comme le Mozambique ne compte pas nécessairement parmi les principaux acteurs du secteur minier mais il est néanmoins le deuxième extracteur de graphite. Il est donc important de bien analyser la situation spécifique de chaque pays dans ce domaine.

Comment évaluez-vous la situation de la Chine, dont l'économie évolue différemment du reste de l’Asie, en raison notamment de la politique anti-Covid toujours très stricte qui est appliquée?

L’économie chinoise est ralentie en raison de facteurs de court terme, comme les restrictions anti-Covid qui y sont encore beaucoup plus strictes qu’ailleurs. Toutefois, il est très important au sujet de la Chine de garder à l’esprit qu’il ne s’agira pas nécessairement d’un enjeu qui restera aussi important à long terme. Il y a certes des questions importantes qui se posent par rapport à des secteurs spécifiques – comme l’immobilier et la technologie. Il est important de regarder quelle est la qualité des émetteurs, leur vulnérabilité à la récession et leur importance stratégique pour le gouvernement.  Nous devons également tenir compte des secteurs qui peuvent être exposés aux sanctions américaines. Il faut aussi regarder la possibilité de transférer certaines activités vers des pays proches, ou «near-shoring» comme on les appelle, tels que le Vietnam ou l’Indonésie par exemple, voire l’Inde en allant un peu plus loin.

Le concept de «Next Frontier» était très à la mode il y a une dizaine d'années. Est-il opportun de se ré-intéresser à ces prochains pays émergents ou est-ce encore trop tôt compte tenu du ralentissement conjoncturel en cours de l’économie mondiale?

Je pense que ça serait un peu tôt, compte tenu du cycle de marché actuel. Nous sommes encore en train de nous éloigner d’une période où les conditions d’emprunt étaient très favorables. Le risque de défauts va probablement continuer d’augmenter encore pour les émetteurs situés dans ces pays.

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