Attention au retour de l’industrie allemande

Emmanuel Garessus

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Malade certes, mais l’Allemagne n’est pas morte. Les actions industrielles allemandes devraient être achetées sur repli, au détriment des actions françaises, selon Mathieu Savary, de BCA Research.

 

En complément aux difficultés structurelles du pays, des forces cycliques ont contribué de manière disproportionnée à la mauvaise performance de l'Allemagne au cours des dix dernières années. Elles sont maintenant en train de s’estomper, affirme Mathieu Savary, responsable de la stratégie européenne auprès de BCA Research. Le stratégiste conseille d’acheter des valeurs industrielles allemandes et de vendre des valeurs françaises. 

Dans une note, il écrit que «les industriels allemands ont massivement sous-performé leurs concurrents français et se négocient à des prix nettement inférieurs, tant sur la base de leur ratio cours/bénéfice prévisionnel que sur celle de leur ratio cours/valeur comptable. En outre, leur dynamique relative s'améliore mais reste loin d'être surachetée». L'Allemagne ne se désindustrialisera pas, poursuit-il. Mathieu Savary répond aux questions d’Allnews:

Vous présentez les grands facteurs structurels qui pèsent sur l’Allemagne (démographie, concurrence chinoise pour l’automobile, sous-investissement, énergie chère et austérité budgétaire) et les facteurs cycliques également négatifs. Où se situe l’opportunité pour les investisseurs? 

Il n’est pas aisé de séparer les facteurs structurels des éléments cycliques lors d’un ralentissement économique. Nous pensons qu’une partie significative du ralentissement de l’économie allemande est partiellement d’origine cyclique. Pourtant, tout le monde attribue les difficultés allemandes quasi exclusivement aux facteurs structurels. Nous nous demandons si cette unanimité n’offre pas une opportunité et si des éléments cycliques ne peuvent pas s’améliorer. La vraie valeur ajoutée se cache dans les surprises de marché. Mon idée consiste à penser que l’Allemagne performera mieux que ne l’attend le marché.

L’une des améliorations pourrait venir de la baisse des taux et de ses effets sur l’immobilier sur le reste de l’économie. Mais cette embellie sur les taux ne risque-t-elle pas de disparaître immédiatement si Donald Trump était élu et s’il mettait en oeuvre son programme protectionniste et expansionniste?

Nous n’en sommes pas sûr. Une élection de Donald Trump devrait pousser les taux d’intérêt américains à la hausse, mais elle traduirait des éléments purement américains, de la hausse du déficit budgétaire à la dérégulation en passant par la baisse d’impôts. Ces éléments ont un impact incertain sur le reste du monde, à l’inverse de la future possible guerre commerciale. Une politique de hausse des droits de douane pénalisera la croissance européenne en 2025. La priorité immédiate de Donald Trump sera de mettre en oeuvre ses mesures commerciales. Le candidat républicain a également répété la manière dont il utiliserait la hausse des droits de douane. Mais Scott Bessent, qui pourrait devenir Secrétaire au Trésor, l’a rappelé: les tarifs ne sont pas un but en soi mais un moyen pour négocier des concessions et en particulier pour accroître les investissements directs étrangers aux Etats-Unis et y créer des emplois. 

«Tout le monde attribue les difficultés allemandes quasi exlusivement aux facteurs structurels».

Pour la Banque centrale européenne, cela signifie une entrée dans une période d’incertitude élevée pour plusieurs trimestres. Les guerres commerciales, comme en témoignent divers travaux de recherche, accroissent l’incertitude et nuisent à la croissance économique. Dès lors, l’élection de Trump créerait des pressions à la baisse sur les taux d’intérêt en Europe.

Votre attente d’amélioration de l’économie allemande porte sur un redémarrage de l’investissement. Comment est-ce possible au vu des problèmes structurels déjà cités?

Notre thèse n’anticipe pas une reprise à court terme de l’activité allemande mais plutôt un redressement à cinq ans. Notre travaux soulignent la probabilité d’une nette augmentation des investissements d’équipement aussi bien en Occident qu’au Mexique, au Vietnam, en Malaisie et ailleurs. Ce scénario serait alimenté par les efforts de la décarbonation des économies et par la réorganisation des chaînes d’approvisionnement, en partie à cause du protectionnisme mais aussi des enseignements tirés de la pandémie. Cet accroissement des investissements sera favorable à l’Allemagne parce que l’essentiel des exportations allemandes provient de l’industrie des machines allemande, un secteur dans lequel la compétitivité de l’Allemagne, contrairement à l’industrie automobile, n’est pas mise en danger par l’industrie chinoise.

Vous privilégiez les actions de l’industrie des machines allemande. Auxquelles pensez-vous?

Nous pensons aux grands groupes industriels, comme Siemens, alors que les perspectives sont plus mitigées pour l’industrie des matériaux, compte tenu de la forte représentation de l’industrie chimique. 

Certes les coûts de l’énergie sont plus chers en Allemagne qu’aux Etats-Unis, si bien que les entreprises sont incitées à investir Outre-Atlantique ou au Moyen Orient. Mais nous prévoyons un resserrement progressif des coûts de l’énergie ces prochaines années. 

Ce facteur, qui a beaucoup nui aux marges des entreprises, va s’amenuiser. L’Europe est en train de bâtir de vastes capacités en gaz liquéfiés équivalentes aux importations totales de 2019. De plus le reste du monde construit massivement des capacités de liquéfaction de gaz naturel et augmente le nombre de tankers utilisés au transport de gaz.  

Si l’on descend de 3 fois plus cher à 2 fois plus cher, la direction des investissements sera-t-elle changée?

Les investissements continueront à privilégier les Etats-Unis. Mais le fait que les profits de BASF soient générés en Louisiane ou en Rhénanie ne modifie pas le cours de l’action.

Peut-on être optimiste sur l’industrie des machines allemande et négatif sur l’automobile allemande?

L’industrie des machines n’est pas uniquement dépendante de l’automobile. Une grande partie de ses ventes sont destinées à l’exportation. 

Quant à l’industrie automobile européenne, nous avions écrit une analyse très négative à son sujet il y a plus d’un an. Deux scénarios sont possibles. Soit les entreprises ne réagissent pas à la concurrence chinoise et laissent ces derniers grignoter progressivement leurs parts de marché. Soit elles investissent dans la R&D avec le soutien du gouvernement et regagnent du terrain, mais l’effet sur les free cash-flows et les actionnaires serait négatif. Compte tenu de l’enjeu politique, le deuxième scénario est le plus probable. Cela signifie que les dépenses des constructeurs automobiles en machines diminueront moins que leurs profits et leurs actions. Le problème de base tient aux surcapacités mondiales dans l’automobile.

Que pensez-vous des valeurs de défense, après leur forte hausse?

Nous sommes positifs sur les valeurs de défense en Europe depuis deux ans et nous continuons de privilégier ce secteur à long terme. Elles sont toutefois assez chères à court terme. Mais ces entreprises profitent d’un environnement géopolitique instable et de leur compétitivité. Si Donald Trump devient président, la pression sur l’Europe pour augmenter ses dépenses militaires se fera encore plus insistante.

Pourquoi vendre les actions françaises et acheter les actions allemandes?

Ce conseil s’appuie moins sur des considérations politiques que sur une analyse de marché. Le marché européen le plus performant depuis 2008 a été la France. Il est devenu cher sur une base relative, y compris pour les valeurs industrielles. 

La deuxième raison porte sur les financières. La pondération allemande dans ce secteur est plus élevée que celle de la France. C’est un élément positif pour l’Allemagne parce que les banques profiteront de l’accroissement des investissements. Le taux de rendement des fonds propres des banques s’est normalisé en Europe, mais les valorisations n’ont pas suivi. La consolidation du secteur bancaire allemand devrait également s’accélérer. Et le désendettement du secteur privé de la zone euro est en train de s’achever.

«Notre thèse n’anticipe pas une reprise à court terme de l’activité allemande mais plutôt un redressement à cinq ans».

Les banques européennes ont détruit de la valeur depuis deux décennies, comme le montre l’indice bancaire du secteur. Pourquoi ce dernier devrait-il s’améliorer?

L’environnement bancaire est compliqué, mais des améliorations sont en vue. Les banques ont longtemps souffert de l’endettement élevé du secteur privé et d’un faible niveau de fonds propres. Elles sont mieux capitalisées qu’avant et même que leurs concurrentes américaines. Les taux d’intérêt, qui, négatifs, ont pénalisé les marges, ne redescendront pas en dessous de zéro. Et la demande de services bancaires devrait croître. Les valorisations des bancaires, sans être bon marché, sont relativement attrayantes.

La bourse française a profité de l’industrie du luxe. Votre appel à sortir des valeurs françaises est-il un signe de vente sur le luxe?

L’industrie du luxe a un bel avenir à long terme, comme nous l’écrivions il y a plus d’un an, mais sa valorisation est chère et la croissance de la demande devrait être ralentie dans le monde, notamment en Chine avec ses campagnes contre la corruption et une consommation trop ostentatoire.

De façon générale, quelles sont vos principales convictions globales sur les actions dans l’optique de 2025?

Les actions sont trop chères et devraient rencontrer des difficultés ces prochains trimestres. Comme le montrent les chiffres de l’emploi américain, nous observons des signes de détérioration. Il faut savoir que les processus de dégradation de l’emploi ne s’effectuent pas de façon linéaire. Le nombre de postes vacants s’accroît significativement et le taux de chômage devrait suivre. Le scénario d’atterrissage en douceur qu’anticipe actuellement le marché pourrait ne pas être correct. La probabilité des risques de récession et de surchauffe est plus élevé qu’on le dit.

En Europe, la confiance du secteur privé diminue et l’activité industrielle est à la peine. Historiquement, cela anticipe des problèmes économiques. L’Europe n’est pas sortie du bois. 

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