BNS: bientôt le retour d’un taux plancher?

Emmanuel Garessus

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L’économie globale entrera prochainement en récession. Les valeurs suisses devraient en profiter, selon Mathieu Savary, stratégiste en chef pour l’Europe auprès de BCA Research.

Encore raté. L’objectif d’un atterrissage en douceur ne devrait pas être atteint, selon Mathieu Savary, stratégiste en chef pour l’Europe auprès de BCA Research. Les politiques monétaires deviennent plus accommodantes dans les pays industrialisés, mais elles ne devraient pas pouvoir empêcher une récession globale, avance-t-il. Comment l’investisseur peut-il se positionner dans cet environnement? Mathieu Savary répond aux questions d’Allnews sur la conjoncture, les taux et la politique d’investissement:

Au lendemain de la réunion de la BCE, combien de baisses de taux directeurs prévoyez-vous en Europe cette année et l’année prochaine?

La BCE est restée assez vague à ce sujet, sans doute à dessein. Le conseil de gouvernance garde la porte entre-ouverte à une réduction des taux en octobre. Mais les conditions à satisfaire ne seront pas aisément remplies. Christine Lagarde a souligné qu’il n’existait que peu de temps avant la prochaine réunion de la BCE et une seule statistique d’inflation mensuelle. Le conseil s’attendait déjà à une baisse de l’inflation en septembre et à une remontée par la suite en raison d’effets de base. Il faudrait qu’une forte surprise sur la croissance ou sur l’inflation intervienne d’ici là pour que les taux soient réduits en octobre. Notre scénario de base prévoit une diminution des taux d’intérêt de la BCE en décembre.

Nous faisons davantage partie des «colombes» pour 2025 et attendons davantage de baisses de taux que le consensus.

Pour quelle raison?

La raison principale tient à nos attentes d’une récession globale qui inclura la zone euro. Dans ce contexte, l’inflation devrait se normaliser. Le marché de l’emploi devrait continuer de se détériorer.

Le nombre d’emplois vacants diminue déjà dans les principales économies de la zone euro. La composante Emplois de l’indice des directeurs d’achat indique une contraction. Ces phénomènes devraient s’accentuer dans un contexte de récession. Il y aura davantage de baisses de taux que ne l’indique la courbe des marchés monétaires actuelle.

Vous vous distinguez du consensus. Pourquoi le marché aurait-il tort?

L’espoir d’un atterrissage en douceur est encore profondément ancré dans les esprits. Nos collègues spécialisés sur les Etats-Unis ne croient pas vraiment à ce scénario optimiste. Cet espoir reflète l’expérience des deux dernières années. En 2022 et 2023, de nombreux économistes avaient prévu une récession qui finalement ne s’est pas matérialisée. Au moment où le cycle de baisse des taux américains démarre, le marché croit d’autant moins à une entrée en récession.

Selon nous, des piliers majeurs de la croissance américaine disparaissent progressivement. L’épargne excédentaire des ménages américains a disparu. La politique budgétaire, qui était très accommodante en 2022 et 2023, devient un frein à la croissance en 2024 et 2025. Les postes vacants diminuent aux Etats-Unis. En utilisant la courbe de Beveridge, nous approchons du point à partir duquel le taux de chômage augmente plus nettement.

D’autres problèmes émergent, par exemple dans l’immobilier commercial et le secteur des petites banques américaines. La faillite de SBV n’était qu’un prologue. D’autres signes inquiètent: Les intentions d’investissements des entreprises se sont effondrées et les faillites personnelles et d’entreprises sont en nette hausse.

Ce faisceau de difficultés nous amène à prévoir une récession au début de l’année prochaine, d’autant qu’un délai significatif existe entre une décision de baisser les taux directeurs et son impact sur l’économie. Une baisse de 25 points de base en septembre ne permettra pas d’éviter une récession américaine.

Quelques bonnes nouvelles doivent toutefois être inscrites au tableau, comme le faible niveau de dette du secteur privé et la baisse des taux. La récession américaine ne devrait pas être sévère.

Si les Etats-Unis s’enrhument, qu’adviendra-t-il à l’Europe?

L’Europe devrait aussi tomber malade, d’autant qu’elle n’est plus aussi robuste aujourd’hui. La croissance économique est faible. Les intentions d’investir de la part des entreprises sont très déprimées. Le taux d’épargne des ménages a commencé à remonter. La croissance des salaires réels a déjà commencé à ralentir. Ce cumul de vulnérabilités accroît le risque de contagion d’une récession américaine sur l’UE.

D’autres facteurs augmentent le risque de récession en Europe tels qu’une plus forte exposition de l’UE aux cycles manufacturiers mondiaux que les Etats-Unis, le recul de l’indice des directeurs d’achat mondiaux, en particulier les nouvelles commandes, le déclin des exportations de pays importants, l’affaiblissement des matières premières, l’augmentation des faillites en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. Dans ce contexte, un choc aux Etats-Unis et une absence de reprise en Chine conduiraient l’Europe en récession.

Quelle serait la gravité de la récession en Europe en 2025?

Pour des raisons similaires aux Etats-Unis, nous ne prévoyons pas de sévère récession en Europe. La BCE a déjà commencé à réduire ses taux. Les bilans des ménages sont en meilleure santé que lors de la dernière décennie. La baisse des taux devrait produire un effet positif sur la croissance. Le PIB devrait diminuer d’environ 0,4% par trimestre durant le premier semestre 2025 avant  d’assister à une reprise en fin d’année. Pour l’ensemble de 2025, le PIB devrait stagner dans la zone euro.

Le bilan des Etats est moins solide que celui des ménages. La France devra économiser dans un contexte politique compliqué et l’Allemagne n’est pas au mieux. Ne risque-t-on pas une crise financière majeure?

Nous ne prévoyons pas de crise financière sur le marché de la dette publique parce que la BCE assouplit les conditions monétaires. Les liquidités sont abondantes en Europe et elles devraient, dans un contexte d’aversion au risque, se diriger vers les marchés de dette souveraine. L’écart de crédit entre la France et l’Allemagne reste large, à la suite des élections législatives et de la correction d’août sur le marché du portage.

«La situation du secteur bancaire européen est plus saine que dans le passé et que certains pans du secteur bancaire américain».

Une bonne nouvelle vient du comportement de la Commission européenne. En cas de récession, celle-ci est beaucoup plus tolérante à l’égard des critères de déficits budgétaires. Cette attitude est d’ailleurs appropriée.

Nous sommes davantage inquiets dans la perspective de la future sortie de la récession. La tolérance de la Commission européenne aux déficits excessifs sera plus réduite et les liquidités disponibles pour financer les acteurs étatiques en difficultés seront réduites.

Le secteur bancaire européen rencontrera-t-il aussi des difficultés, au vu de l’absence d’union bancaire?

La situation du secteur bancaire européen est plus saine que dans le passé et que certains pans du secteur bancaire américain. De grandes disparités se manifestent aux Etats-Unis dans ce secteur. Les grandes banques affichent des bilans très confortables, mais des petits acteurs, ceux qui ont beaucoup prêté au secteur de l’immobilier commercial, sont plus vulnérables. Le FMI estime que les banques européennes font partie des mieux capitalisées au monde. L’immobilier commercial résiste également mieux disposé en Europe qu’aux Etats-Unis.

Du point de vue de l’investisseur, s’agit-il de vendre ses actions à part les secteurs les plus défensifs?

Nous privilégions effectivement les actions défensives, en particulier dans le secteur européen de la santé et les actions suisses.

A l’inverse, nous sommes plus prudents à l’égard de l’industrie, d’ailleurs richement valorisée en Europe et très exposée au cycle manufacturier. 
Nous apprécions également les obligations, notamment allemandes. Les obligations françaises sont moins attrayantes, même si elles ne sont pas très risquées. Leur rendement est inférieur à celui de la dette espagnole ou italienne où le budget est en meilleure situation.

Que pensez-vous du franc suisse?

Le franc suisse est une valeur intéressante bien qu’il existe une probabilité significative que la BNS prenne peur de sa possible hausse. L’inflation suisse est déjà très inférieure à celle de la zone euro. Le secteur privé suisse est endetté. Le service de la dette suisse peut être problématique dans un environnement économique difficile. Le franc suisse devrait continuer de s’apprécier par rapport à l’euro, mais si la hausse devait être trop forte la BNS pourrait introduire un taux plancher comme en décembre 2011 afin de protéger l’économie suisse contre les risques d’une monnaie forte.

« Le franc suisse est une valeur intéressante bien qu’il existe une probabilité significative que la BNS prenne peur de sa possible hausse».

La hausse nominale du franc n’est-elle pas à relativiser dans la mesure où elle résulte surtout de l’écart d’inflation?

A cause de cette moindre inflation, la compétitivité de la Suisse n’est pas en danger. Cette force apparaît aussi dans la comparaison entre les coûts unitaires de production de la Suisse avec la zone euro et les autres économies. La Suisse profite notamment de la flexibilité de son marché de l’emploi. Mais à court terme les problèmes pourraient venir du choc déflationniste imposé par le franc qui peut alourdir le service de la dette.

En cas de récession mondiale, le dollar ne devrait-il pas être la monnaie la plus recherchée?

Dans cet environnement récessif, les investisseurs achètent du dollar, du yen et en Europe du franc suisse. Dans une perspective à douze mois, nos experts en devises privilégient le yen et en second le dollar, puis le franc.

La technologie est soumise à d’autres cycles que macroéconomiques. Les actions technologiques européennes sont-elles protégées en cas de récession?

La technologie européenne est plus cyclique que son homologue américaine parce que certaines valeurs qui ont une plus grande pondération dans l’indice et sont plus cycliques, à l’image d’ASML, avant tout un groupe manufacturier. Sous l’angle empirique, le facteur qui explique le mieux les fluctuations de la tech européenne reste la tech américaine. Le bêta des actions technologiques européennes est presque de 1 par rapport aux valeurs tech américaines alors que leur bêta par rapport à leurs profits fluctue sensiblement.

Nous sommes avant tout inquiets par le fait que la tech américaine est très chère et intègre une croissance très forte, alimentée par les perspectives de l’intelligence artificielle.

Mais d’énormes capacités sont en train d’être construites dans l’IA et les modèles tels que ChatGPT et GEMINI utilisent tous la même technologie, les mêmes données pour se calibrer. Les résultats de ces modèles commencent à converger. Le doute plâne sur le «pricing power» de ces modèles.

Nous voyons aussi que la valorisation de Nvidia est devenu très élevée, Nous risquons de répéter l’expérience qu’a rencontrée Cisco Systems en 2000. Les attentes bénéficiaires de ce dernier ont été satisfaites mais le cours actuel est encore inférieur à celui de l’an 2000 en raison de la contraction du multiple des bénéfices. Nous sommes inquiets par l’excès d’optimisme à l’égard de Nvidia et de ce secteur. La tech européenne est moins exposée à l’IA que la tech américaine, mais en raison du bêta de 1 elle pourrait être entraînée à la baisse par la tech américaine. 

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