Avena Fondation BCV 2e pilier, une fondation collective, appartient aux trois plus grandes du canton de Vaud, avec ses quelque 15'000 assurés et 1000 entreprises affiliées pour 2,6 milliards de francs de bilan. Dans un contexte politique incertain, l’introduction de nouvelles réglementations et un changement de tendance des taux d’intérêt, Francis Bouvier, son directeur, répond aux questions d’Allnews:
Quelle est la situation d’Avena à la fin 2023?
Nous allons dans le bon sens. La performance des placements s’est élevée à 4,55% grâce à la hausse des marchés en fin d’année. Le degré de couverture (ndlr. Le rapport entre la fortune et les engagements) devrait atteindre 104%, contre 100,3% en 2022 quand la performance nette était de -10,1%. Nous cherchons moins des résultats flamboyants qu’une certaine stabilité et une régularité.
Comment allez-vous rémunérer les avoirs des assurés?
Le conseil de fondation a décidé de verser 1% sur l’ensemble de l’épargne des assurés. La prudence s’impose lorsque le degré de couverture se situe entre 100 et 105%, ce qui est le cas. Le conseil de fondation souhaite reconstituer les réserves de fluctuations avant de pouvoir rémunérer davantage l’épargne. L’objectif est de disposer d’un coussin de sécurité adéquat.
Est-ce que la situation de votre institution est fragile?
Non, mais les fluctuations de marché nous obligent à la prudence. A la fin octobre dernier, la performance des placements était nulle et de nombreuses caisses de pension étaient en sous-couverture. Nous n’avons aucune envie d’être en sous-couverture et de susciter des inquiétudes chez nos assurés, lesquels peuvent considérer Avena comme solide et stable.
Tout le monde s’accorde à respecter les échéances environnementales pour 2030 et 2050, mais cela nécessite une rénovation du parc immobilier.
Les taux d’intérêt devraient baisser en Europe et aux Etats-Unis dans le sillage de l’inflation. Comment entendez-vous y répondre dans votre allocation d’actifs?
Il y a deux ans, j’avais vu que nous arrivions à un point d’inflexion des grands paramètres de la prévoyance. Ils sont maintenant en train de changer de tendance. La réponse des caisses de pension consiste à refaire une analyse des actifs et des passifs (étude ALM) afin de déterminer leur bon positionnement. Nous avions réalisé un tel exercice il y a 2 ans. Nous allons procéder à une nouvelle étude, cette fois partielle sur les risques et les rendements.
Je note surtout que les espérances de rendement sont clairement reparties à la hausse. Il y a 3 à 4 ans, nous avions prévu de baisser le taux technique jusqu’à 1,75%, un taux que nous aurions dû introduire en 2024. Cependant, d’entente avec notre expert en prévoyance, nous avons laissé le taux technique à 2%, en réaction à la hausse des espérances de rendement. Notre espérance de rendement est dorénavant comprise entre 3 et 3,5%, et plus proche de 3,5% que de 3%.
La baisse des taux obligataires attendue cette année doit être mise en relation avec les taux que nous avions connus à l’époque des rendements négatifs. L’augmentation des espérances de rendement provient surtout du compartiment obligataire.
Qu’attendez-vous de l’immobilier, qui semble souffrir en Suisse?
Je suis plus attentif à l’immobilier direct qu’à l’immobilier indirect, compte tenu de ce que j’appelle une saine pression pour rénover l’immobilier en réponse aux critères environnementaux. Tout le monde s’accorde à respecter les échéances environnementales pour 2030 et 2050, mais cela nécessite une rénovation du parc immobilier. Cela a un prix, alors que la main d’oeuvre n’est pas aisée à trouver. Tous les acteurs semblent vouloir rénover au même moment. Je crains que ces efforts pénalisent davantage les rendements qu’on ne le pense. L’impact sera différent selon les fondations. Si la part d’immobilier direct d’une institution est de 20% et si elle doit réaliser elle-même les rénovations, l’impact sur le rendement pourra être lourd. Certaines institutions parlent même d’internaliser la rénovation et d’autres de se séparer des immeubles les moins compatibles aux critères ESG. Avena n’a que 5 immeubles en direct, dont 3 neufs. L’impact est modeste.
Comment allez-vous modifier votre allocation de portefeuille?
Nous privilégions la diversification, en réponse à notre dernière étude ALM. Nous avons ajouté de l’immobilier international (1,90% fin novembre), des infrastructures (1,69%) et du private equity (2,02%). Nous visons la stabilité plutôt qu’une surperformance.
Comment le taux d’intérêt technique sera-t-il adapté à l’avenir?
Un actuaire vous dira que, si les espérances de rendement se stabilisent au nouveau niveau, le taux technique devra s’adapter à la hausse. Le taux de conversion pourrait suivre, mais, avant cela, il faudra analyser les nouvelles tables actuarielles, qui seront connues dans 2 ans et qui indiqueront, ou non, un changement de l’espérance de vie. Le marché s’interroge, car après plusieurs décennies de baisses des taux un virage est en train de se produire. La première conséquence peut être une hausse du taux de conversion. La libération des provisions peut en être une autre.
Comment évoluera votre taux de conversion?
Il sera de 5,75% en 2025. Notre taux de conversion dépasse la moyenne du marché suisse. Nous avions étudié la possibilité d’une réduction, mais les paramètres financiers ont changé et la question doit être étudiée sous un nouveau jour.
Mon vœu est que les salariées et les salariés prennent conscience des messages de la communauté de la prévoyance et qu’ils deviendront acteurs de leur prévoyance.
Combien d’assurés seraient touchés par la réforme du 2e pilier et la baisse du taux de conversion?
Très peu d’assurés ont un plan minimum LPP. En revanche, beaucoup d’entreprises sont au bénéfice d’un plan légèrement supérieur au minimum LPP. Pour cette raison, beaucoup devront revoir leur plan si la réforme est finalement adoptée par le Peuple.
Est-ce que les mesures transitoires prévues pour la réforme du 2e pilier vous coûtent trop cher ou sont-elles acceptables?
Le vote sur la réforme du 2e pilier n’a pas encore eu lieu et nous concentrons nos efforts sur la mise en œuvre d’AVS 21. Nous avons adapté les taux de conversion de manière différenciée. Les femmes auront un taux de conversion plus élevé que les hommes. Plutôt que le coût financier, les réformes du 2e pilier sont toujours un défi en termes administratifs.
Maintenez-vous votre optimisme quant à la capacité du 2e pilier à se réformer?
Je suis un optimiste de nature. Le 2e pilier peut se réformer. Mais la retraite est un sujet sur lequel chacun a un avis. Compte tenu des gagnants et des perdants, le pourcentage de succès de la chaque réforme est de 50/50. La Suisse n’est pas le seul pays à peiner à réformer son système de retraite. La réforme adoptée en 2023 par le Parlement, et qui sera soumise au vote, est faite pour favoriser les temps partiels et les multi-actifs. Elle répond à un réel besoin. Elle n’aura pas d’impact sur les assurés qui ont un plan d’épargne enveloppant.
La réduction du montant de coordination prévue par la réforme ne peut-elle pas être mise en oeuvre sur une base volontaire plutôt que par la loi?
Nous la proposons déjà. Beaucoup d’entreprises apprécient cette idée, mais celle-ci a un coût. Une alternative peut être d’avancer dans ce sens en plusieurs années. La demande du marché existe, mais la mesure n’est pas mise en place systématiquement, en raison de l'obstacle financier.
Quelle serait votre priorité pour améliorer le 2e pilier?
Je fais avec la loi que l’on me donne, parce que je n’ai pas d’influence sur celle-ci. Mon rôle est de protéger les assurés, les entreprises et les conseils de fondation. Ma priorité est celle de la stabilité et de la pérennité de la fondation.
Vous ne pouvez pas viser plusieurs objectifs à la fois, mais les assurés craignent une baisse de leur future épargne et un recul du taux de remplacement (rapport entre la rente et le dernier salaire). Est-ce la quadrature du cercle?
Le taux de remplacement n’est pas le fruit de ma volonté. Il résulte du plan de prévoyance décidé par les partenaires sociaux. Si les entreprises en avaient les moyens, les plans de prévoyance seraient plus généreux. Un point m’importe en particulier, c’est la communication vis-à-vis des assurés. A la lumière des questions qui me sont adressées lors des séances d’informations, il apparaît que la communication du système est très partielle. Beaucoup de personnes découvrent tardivement ce qu’elles peuvent faire pour améliorer leur retraite.
Votre conseil se résume-t-il à épargner davantage dans le 3e pilier?
Non. Un certain nombre d'assurées et d’assurés ont encore des lacunes de prévoyance dans le 2e pilier. Les pistes sont nombreuses et variables, des rachats aux remboursements éventuels des fonds engagés dans l’accès à la propriété. De plus, un grand nombre de personnes n’ont pas de 3e pilier.
Après plusieurs années de séances d’informations, quelles tendances observez-vous?
Nous organisons ces séances depuis 2 ans. Plus de 500 personnes viennent à chacune d’entre elles. Les assurées et assurés sont demandeurs d’informations, mais il faut que celles-ci soient compréhensibles. Si elles le sont, les questions viennent d’elles-mêmes et sont intéressantes.
Est-ce que le taux de remplacement va se stabiliser au niveau actuel ou encore se détériorer?
Mon vœu est que les salariées et les salariés prennent conscience des messages de la communauté de la prévoyance et qu’ils deviendront acteurs de leur prévoyance. Il faut lire le certificat de prévoyance et davantage s’informer. J’espère qu’il leur sera ainsi possible d’augmenter le taux de remplacement. C’est finalement un choix individuel d’investir dans son 2e pilier.
Tout le monde doit apporter sa pierre à l’ouvrage, des entreprises aux assurés. Je suis plutôt optimiste.
Cela dépend aussi de la santé des caisses de pension. N’est-ce pas inquiétant qu’après une bonne année boursière le degré de couverture d’un acteur clé tel qu’Avena ne soit que de 104%? N’est-ce pas le signe d’une grande fragilité de votre branche?
Non. Fin 2021 les degrés de couverture étaient relativement hauts. Puis, les marchés ont été très mauvais en 2022. Mais le coussin de sécurité a joué son rôle. Il est intéressant d’observer que sur 3 ans nous avons d’abord profité d’une bonne année 2021 et complété les réserves de fluctuations, puis subi un choc négatif durant lequel le coussin de sécurité a joué son rôle. Le système de réserve a fonctionné.
Est-ce que le système de prévoyance court avant tout un risque politique ou un risque de marché?
Le 2e pilier a traversé sans trop de difficultés plusieurs chocs financiers, y compris de longues années avec des taux négatifs. Cela ne l’a pas empêché de rémunérer les avoirs. Il y a 20 ans, personne n’y aurait cru. Le risque politique? Pour moi, la législation n’est pas un risque, mais une condition-cadre à laquelle je dois m’adapter.
Parmi les autres changements réglementaires en 2024, quelles conséquences attendez-vous de la loi sur la protection des données?
Par rapport à votre question sur les risques, ce changement incite à s’interroger sur la complexification administrative du 2e pilier. Nous nous sommes préparés à la mise en oeuvre de la loi sur la protection des données. Des questions d’assurés ont montré qu’elle répondait à un besoin. La loi nécessite toutefois un travail de mise en place administrative, de procédures, de registres ou de directives, à ne pas sous-estimer.
Quelles sont les autres nouveautés marquantes?
Nous devrons mettre en place un nouveau «reporting» des critères ESG, selon les recommandations de l’Association Suisse des Institutions de Prévoyance (ASIP). J’apprécie son apport en termes de communication et de suivi, ainsi que les critères ESG eux-mêmes.
Le volet de la réforme AVS est entré aussi en vigueur au 1er janvier 2024. Nous avons précédé aux adaptations nécessaires. Il faudra 2 à 3 ans pour disposer d’une vision complète à ce sujet.
Sur les critères ESG, quels changements attendre dans la mesure où l’UE travaille à une nouvelle classification?
Pour la première fois, nous aurons des standards communs qui permettront d’améliorer la communication. Je salue cet effort d’unification.
Est-ce que cela répond aux voeux des assurés d’avoir, sous l’angle environnemental, toujours plus d’impact plutôt que de simplement prendre en compte l’environnement?
C’est une bonne question. Lors des soirées d’Avena, nous avons très peu de questions sur le sujet, mais l’âge moyen est plus proche de 45 ans que de 25 ans. Le sujet me paraît plus sensible lors de mes rencontres avec les plus jeunes. Mais il manque une expression quantifiée de cette sensibilité.
Quels seront vos principaux objectifs pour 2024?
Outre la communication, nous aurons un important volet de digitalisation. Cela fait aussi partie de la communication avec les assurés. Il s’agit par exemple de montrer l’impact d’un rachat ou d’un divorce. Le taux de pénétration des outils digitaux est de l’ordre de 25%. Nous aimerions que nos assurées et assurés soient mieux informés et nous nous efforçons de les convaincre d’utiliser ces outils. Il faut aussi digitaliser les informations entre fondations de prévoyance, ce qui est en cours.