Immobilier résidentiel et commercial: l’évolution diverge toujours plus

Yves Hulmann

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L’immobilier résidentiel s’inquiète de l’insuffisance de l’activité de construction. L’immobilier commercial est freiné par le manque de transactions.

©Keystone

 

Au sein du secteur de l’immobilier, ce sont deux mondes qui se côtoient mais qui évoluent chacun avec des caractéristiques bien différentes. D’un côté, il y a l’immobilier résidentiel qui, hormis l’incertitude quant à l’évolution à venir des taux d’intérêt, s’inquiète surtout des risques de surchauffe dans certaines régions et de l’insuffisance de l’activité de construction. De l’autre, il y a l’immobilier commercial au sens large dont les différents segments – immobilier de bureau, surfaces de vente, espaces dédiés à l’artisanat et à l’industrie ou encore les bâtiments servant à la logistique (lire en encadré) – évoluent avec plus ou moins de succès ou de difficultés en fonction des emplacements, des branches concernées ou des régions. Le salon Immo24, qui s’est tenu mercredi et jeudi à Zurich, a été l’occasion de faire le point sur les tendances qui caractérisent ces différents sous-secteurs du marché immobilier.

Immobilier résidentiel: aucune détente du marché n’est en vue

Du côté de l’immobilier résidentiel, il est difficile de déceler la moindre inquiétude chez les acteurs du secteur, tant la demande dépasse l’offre. Des experts de Wüest Partner et de JLL Suisse ont surtout mis l’accent sur la problématique de l’insuffisance de l’activité de construction, trop faible pour répondre à la croissance de la demande de logements dans les grands centres urbains, en particulier à Genève et Zurich. S’y ajoutent les coûts des matériaux de construction qui ont fortement augmenté durant la pandémie. En 2023, la hausse a certes été moindre dans le bâtiment avec une progression limitée à 1,4% mais les prix restent tout de même 15% plus élevés qu’il y a trois ans, a rappelé Wüest Partner dans une étude publiée vendredi. Selon Andreas Ammann, associé chez Wüest Partner, l’immigration, et plus particulièrement la hausse du nombre de ménages, constituent les critères décisifs qui continueront d’influencer la demande en Suisse. Wüest Partner anticipe une augmentation des prix de 1,8% en moyenne suisse en 2024 pour l’immobilier d’habitation, les hausses les plus marquées étant attendues dans l’ordre à Zurich, en Suisse orientale et en Suisse centrale.

Une baisse des taux est attendue – mais pas pour tout de suite

Qu’il s’agisse d’immobilier commercial ou résidentiel, l’évolution des taux d’intérêt reste une préoccupation majeure. Anja Hochberg, responsable multi asset solutions à la Banque cantonale de Zurich (ZKB), s’attend à une première baisse de taux aux Etats-Unis vers la mi-2024 mais seulement vers la fin de l’année en Suisse. S’exprimant lors d’un panel séparé, Zoltan Szelyes, directeur général de Macro Real Estate, a une opinion plutôt à contre-courant à ce sujet et part du principe que les taux d’intérêt pourraient même repartir légèrement à la hausse en deuxième moitié d’année. «Le plus grand danger serait que les banques centrales abaissent trop précipitamment leurs taux», estime-t-il.

«La Suisse navigue en eaux normales lorsqu’il s’agit de locaux qui se trouvent dans des emplacements bien situés.»

«La hausse des taux d’intérêt a été un défi pour la branche. Certains projets restent en suspens car les coûts de financement sont désormais trop élevés», observe de son côté Kai Bender, directeur chez Acron, une société d’investissement spécialisée dans les placements dans l’immobilier commercial. En Suisse, l’augmentation a néanmoins été un peu facile à digérer qu’ailleurs, nuance-t-il. «Il ne faut pas oublier que la hausse des taux d’intérêt a été voulue par les banques centrales. Et si une économie perd de son élan sur fond de stabilisation des prix, cela fait partie aussi du calcul des banques centrales. En cas de récession, les banques centrales devront toutefois ajuster rapidement leur politique monétaire, ce qui contribuera ensuite à détendre la situation en matière de financement», analyse Kai Bender.

Bureaux: les emplacements B et C et souffrent le plus

S’agissant de l’immobilier de bureau, la situation relativement favorable du marché en Suisse, comparé à l’Allemagne et au Royaume-Uni, a été évoquée par plusieurs intervenants. «La Suisse navigue en eaux normales lorsqu’il s’agit de locaux qui se trouvent dans des emplacements bien situés. Le risque concerne plutôt des bâtiments qui ne correspondent plus aux exigences actuelles en périphérie et qui peuvent devenir obsolètes. Plus personne ne veut de certains objets situés dans des emplacements B et C», observe Roger Hennig, Head of Real Estate chez Schroders Investment Management (Switzerland).

Ne pas surestimer l’impact du télétravail

Les nouvelles habitudes de travail adoptées durant la pandémie, notamment le télétravail, remettent-elles en question la demande pour certains types de bureaux ou de surfaces commerciales? Chez Acron, Kai Bender estime qu’il faut rester prudent à ce sujet: «Il n’y a pas de tendance unique qui peut être observée dans l’ensemble de la branche. Il est clair que la pandémie de Covid a rendu plus habituel le télétravail chez de nombreuses entreprises», constate-t-il. Malgré tout, même deux ans après la fin des restrictions liées à la pandémie, il est «encore difficile de prévoir où le voyage nous mènera», estime-t-il. «Certaines entreprises misent entièrement sur la carte du travail mobile qui peut être effectué de partout. D’autres souhaitent voir leur personnel revenir davantage au bureau», observe-t-il. Selon Kai Bender, un constat s’impose tout de même: «Les entreprises souhaitent disposer de bureaux situés à des endroits centraux ou dans des endroits attractifs qui incluent aussi des commerces, des restaurants ou d’autres services».

Immobilier commercial: quelles perspectives au-delà du cas Signa?

En ce qui concerne l’immobilier commercial, en particulier européen, une certaine inquiétude n’a pas manqué de transparaître au cours des différents panels de discussions qui se sont succédés mercredi et jeudi. Même si les noms de René Benko, ou celui de Signa, sa société immobilière, ne figuraient dans l’intitulé des différentes conférences d’Immo24, l’effondrement de l’empire de l’immobilier de l’investisseur autrichien, copropriétaire des magasins Globus en Suisse, qui a aussi désormais de nombreuses répercussions sur le secteur bancaire helvétique, le sujet n’a pas manqué d’être souvent évoqué lors de discussions informelles. Outre les cas déjà connus de Julius Baer (plus de 600 millions de francs d’exposition) et de la Banque cantonale d’Argovie (73 millions), la liste des établissements bancaires suisses ayant une exposition dans Signa s’est considérablement allongée la semaine dernière. En font désormais partie aussi bien la Banque Migros que plusieurs banques cantonales, dont celles d’Obwald (OKB) du Valais (BCVs).

Indépendamment de la faillite de Signa, plusieurs facteurs ont pesé sur l’immobilier commercial l’an dernier: outre les coûts de refinancement plus élevés résultant de la hausse des taux, la remise en question de l’utilisation de certains espaces commerciaux, compte tenu notamment des changements d’habitude de la clientèle et de l’essor du commerce électronique, ont réduit la demande pour les surfaces de vente. Malgré tout, Jan Eckert, le directeur de JLL Suisse, relativise quelque peu le ralentissement de la demande pour l’immobilier commercial en Suisse comparé à d’autres marchés: «Il y a toujours encore de la liquidité sur le marché suisse. Le manque de capital mis à disposition par les institutionnels a été compensé par des capitaux privés», observe-t-il. Certes, les volumes de transactions dans l’immobilier commercial ont diminué d’environ un tiers en Suisse en 2023 comparé à 2021. Dans les pays de la région EMEA, le recul a toutefois été de 53% en 2023 par rapport à 2022.

Diversification en Europe? La sélectivité reste de mise

L’heure de la chasse aux bonnes affaires n’a-t-elle pas sonné pour les gérants qui s’intéressent à l’immobilier en Europe? Zoltan Szelyes de Macro Real Estate reste prudent au sujet de l’immobilier commercial outre-Rhin: «Sur le plan économique, l’Allemagne se trouve dans l’une des pires crises de l’après-guerre». Néanmoins, juge-t-il, certains segments spécifiques, comme les espaces dédiés à la logistique en Allemagne ou Royaume-Uni ou des bâtiments spécifiques tels que des hôpitaux outre-Manche peuvent offrir des opportunités intéressantes

La disparition de Credit Suisse réduira la diversité des sources de financement

Près d’un an après l’annonce de la reprise de Credit Suisse par UBS, cette fusion laissera aussi des traces dans la branche. Kai Bender estime que la disparition d’un acteur n’est jamais une bonne chose sur le marché du crédit. «Lorsqu’il s’agit de négocier le financement de projets immobiliers de grande taille, comme des hôtels ou des complexes réunissant commerces, logements et bureaux, le nombre d’interlocuteurs potentiels avec qui vous pouvez négocier se réduit. Cela ne facilite pas les choses», observe-t-il. Les banques cantonales ne vont-elles pas simplement reprendre la place de Credit Suisse lorsqu’il s’agit de financer des projets en Suisse? Kai Bender nuance: «Avant, pour un projet donné d’une certaine importance, vous pouviez négocier avec UBS, Credit Suisse puis avec un troisième acteur tel que Raiffeisen ou une banque cantonale. Désormais, il reste UBS, Raiffeisen et éventuellement des banques cantonales ou régionales - pour autant que celles-ci aient un intérêt à financer de tels projets. De plus, toutes les banques cantonales ne disposent pas nécessairement des ressources nécessaires et personnes ayant l’expertise requise pour participer au financement de projets immobiliers spéciaux», met-il en perspective.

 

L’immobilier de niche dédié au secteur industriel a sa propre dynamique

En tant que société active en grande partie dans l’immobilier dédié à l’industrie et l’artisanat ainsi qu’à la logistique, Procimmo est bien placée pour observer les différentes tendances qui affectent la branche. La société basée à Zurich et Lausanne gère un portefeuille immobilier d’une valeur de plus de 4 milliards de francs dans le domaine de l’industrie et de l’artisanat, environ 1 milliard dans l’immobilier résidentiel et le reste étant alloué au secteur industriel et commercial. 

Pour Terence Kast, COO de Procimmo, les segments de l’immobilier de bureaux, d’un côté, et ceux de l’industrie et de la logistique, de l’autre, sont deux mondes un peu différents. «L’immobilier de bureaux a beaucoup souffert durant la pandémie mais la demande a ensuite repris rapidement dans les endroits les plus centraux ou qui disposent de bonnes connexions avec les transports publics. En revanche, certaines surfaces de bureaux situées davantage en périphérie ou qui ne répondent plus aux exigences actuelles des entreprises peinent à être louées. Dans certains cas, il est même question de les supprimer», observe-t-il. 

Une logique de cluster

L’immobilier dédié à l’artisanat et l’industrie fonctionne selon une logique différente de l’immobilier de bureau et commercial. Les taux de vacances dans le segment industriel et logistique n’ont cessé de reculer entre 2021 et 2023, selon des données de CBRE Research. L’indice des loyers (selon l’offre) pour l’industrie et la logistique a même continuellement augmenté entre 2016 et 2022, alors que l’évolution a été juste stable pour les bureaux, compare Terence Kast. «Dans l’industrie et la logistique, les critères les plus importants ne sont pas la centralité en tant que telle mais plutôt la proximité avec une zone d’activité industrielle ou commerciale, le fait d’être situé à 10 ou 15 minutes d’une sortie d’autoroute. S’y ajoute la possibilité d’avoir accès aux transports publics ou à des navettes qui relient le site ou à une offre de services sur place (restauration, etc.) qui peuvent être utilisés par le personnel de différentes entreprises», analyse-t-il. A la différence de l’immobilier de bureau, le télétravail n’a pas encore eu d’incidence très marquée sur la demande. 

Le ralentissement de la conjoncture en deuxième partie de 2023 a-t-il affecté la demande pour les surfaces dédiées à l’industrie et à l’artisanat? «Il y a certes des secteurs qui connaissent davantage de difficultés. Dans l’ensemble, beaucoup de PME restent à la recherche de surfaces qui peuvent être facilement adaptées à leur secteur d’activité. Les entreprises qui louent de telles surfaces sont au cœur de l’activité économique et la Suisse est toujours une économie en développement constant», met-il en perspective. (YH) 

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