Attention au risque immobilier

Emmanuel Garessus

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Christoph Ryter, de la Caisse de Pensions de Migros, dit procéder à un correctif de valeur sur l’immobilier. Il s’exprime aussi sur les enjeux de la prévoyance.

La Caisse de Pensions de Migros (CPM), fondée en 1934, est aujourd’hui l’une des plus grandes du pays avec 80'000 assurés et 27,88 milliards de francs d’actifs (fin novembre 2023). Elle est dirigée depuis 14 ans par Christoph Ryter. Sa situation financière est très favorable, avec un taux de couverture de 124,5% à la fin 2022. Le conseil de fondation a décidé de rémunérer les avoirs de vieillesse à un taux de 3,75% en 2024, contre 1,25% pour le taux minimum LPP.

A l’orée d’une année 2024 qui sera marquée par l’incertitude des marchés financiers et 3 votations sur le thème de la prévoyance, Christoph Ryter répond aux questions d’Allnews:

La caisse de pension est un facteur clé de la politique du personnel dans une période de pénurie de personnel. La CPM est-elle attractive avec un taux de conversion de 4,77%?

La tâche d’une caisse de pension ne consiste pas à être attractive à l’aide du taux de conversion. Nous devons subvenir aux besoins des assurés dans une optique à long terme.

Un taux de conversion de 4,77% à l'âge de 64 ans (ce qui correspond à 4,91% à 65 ans) reflète la réalité économique et démographique actuelle. Il se base sur les bases actuarielles les plus récentes avec une attente de taux d'intérêt de 2%. Il me semble important que le taux de conversion soit réaliste et équitable et qu'il n'entraîne pas de redistributions non souhaitées au sein de sa propre caisse de pension. 

Si l’effet de la baisse du taux de conversion LPP n’est presque pas perceptible pour nos assurés, les mesures transitoires alourdiraient nettement nos coûts. 

Encouragez-vous l’idée d’une retraite flexible?

La CPM a depuis longtemps pour objectif d’offrir une retraite flexible entre 58 ans et 70 ans. Actuellement, l'âge ordinaire de la retraite à la CPM est de 64 ans pour les femmes et les hommes. En moyenne, la retraite se situe à 62 ans au lieu de 64. Environ un tiers des assurés partent à la retraite à 64 ans, environ deux tiers plus tôt. Une petite minorité d'environ 2% continue à travailler au-delà de l'âge de la retraite de 64 ans. 

La CPM n’est pas seulement une caisse de pension. Elle est également un employeur compte tenu de notre activité par exemple dans la gestion d’immeubles. De nombreux concierges travaillent par exemple après 64 ans.

La réforme du 2e pilier veut réduire la déduction de coordination pour favoriser les emplois à temps partiels? Qu’en est-il à la CPM?

La déduction de coordination à la CPM s'élève à 30% du salaire AVS, au maximum 29'400 par an. Les collaborateurs travaillant à temps partiel ou à temps plein avec un salaire annuel allant jusqu'à environ 86’000 francs ont donc un salaire assuré plus élevé que celui prévu par la LPP. 
Je soutiens l’idée d’une déduction de coordination en pourcentage du salaire. Si l’on utilise le taux d’activité comme référence, l’assuré qui gagne 50'000 francs avec un taux d’activité de 50% est nettement mieux loti qu’un autre salarié qui gagne 50'000 francs avec un taux d’activité de 100%. Cela ne me paraîtrait pas équitable. 

Quel est votre avis sur la réforme du 2e pilier soumis au peuple cette année qui réduit le taux de conversion et le montant de coordination?

Je m’y oppose clairement en raison des mesures transitoires. 

Pourquoi?

La baisse du taux de conversion minimale LPP de 6,8% à 6% ne concerne que 18 assurés actifs de la CPM, selon nos chiffres de la fin 2022, sur un total de 51'000 assurés actifs. La CPM est fortement axée sur le surobligatoire. Presque personne n’est au minimum légal. 

Si l’effet de la baisse du taux de conversion LPP n’est presque pas perceptible pour nos assurés, les mesures transitoires alourdiraient nettement nos coûts. 

En effet 20'000 des 51'000 assurés actifs sont concernés par les 15 années de transition, et 45% de ces assurés, soit 9000 assurés, recevraient potentiellement des prestations supplémentaires du fait des mesures transitoires. A l’âge de la retraite, leur avoir de vieillesse serait plus bas que les limites fixées par la loi, en raison par exemple d’un séjour à l’étranger ou d’un congé maternel. 

Notre plan de prévoyance est déjà très généreux, à la suite de nombreuses révisions de règlements qui répondaient aux voeux des partenaires sociaux. Nous avons pu adapter notre système aux réalités économiques.  Malheureusement, aujourd’hui, les milieux politiques n’interviennent pas seulement sur le minimum légal mais aussi dans le domaine surobligatoire, lequel était jusqu’ici du domaine des partenaires sociaux. Cela me pose un problème philosophique. Les institutions de prévoyance ne devraient pas être forcés d’augmenter ses prestations réglementaires, si un assuré n'est pas affecté par la baisse du taux de conversion minimale LPP. La politique s’immisce ici dans les affaires du conseil de fondation. Je m’y oppose fondamentalement. La solution de réforme de la LPP proposée par l’ASIP n’a malheureusement pas été reprise par le parlement. 

Il ne fallait prendre des mesures transitoires que pour les personnes effectivement touchées par la baisse du taux de conversion minimale LPP, mais pas employer le système de l’arrosoir comme on le demande actuellement.

En 2024, trois objets de votation portent sur la prévoyance. Quels sont vos pronostics? 

Le philosophe grec Socrate aurait dit: «Je sais que je ne sais rien». J'aimerais moi aussi m'y tenir, surtout lorsqu'il s'agit de faire des prévisions! De manière générale, il me semble important pour une politique sociale durable de ne promettre et de ne verser que des prestations qui sont effectivement financées ou pour lesquelles le financement est assuré. 

Vous êtes opposés à la réforme de la LPP. Que pensez-vous de l’initiative pour une 13e rente AVS et de l’initiative des jeunes PLR pour une retraite flexible?

Par rapport à l’initiative pour une 13e rente, je suis conscient que quelques retraités peinent à joindre les deux bouts. Mais les prestations complémentaires répondent à ce besoin. Il est préférable de soutenir de façon ciblée les personnes en difficultés que d’utiliser le système de l’arrosoir pour tous les retraités, y compris les plus riches, et cela sans même proposer les moyens de son financement. Sans la 13e rente, l’AVS rencontrera très bientôt des problèmes fondamentaux. Il est crucial que les assurances sociales soient durables. La durabilité me tient à coeur, y compris en termes de financement. 

«Nous pouvons aussi relever les rentes courantes de 5% (pour ceux qui sont à la retraite avant 2023).»

Par ailleurs, je défends clairement l’initiative des jeunes PLR pour un âge de la retraite flexible. 

Pourquoi?

Bismarck a introduit les systèmes de retraite, à l’époque avec un âge de retraite à 65 ans. Mais, à la fin du 19e siècle, moins de la moitié des assurés parvenaient à cet âge. Si l’espérance de vie s’accroît environ d’un an par décennie, cela ne fait aucun sens de définir un âge de la retraite fixe. Non seulement l’espérance de vie augmente mais aussi le nombre d’années relativement en bonne santé. Un système durable pourrait comprendre des cotisations de 25 ans à 65 ans pour une retraite de 20 ans. La conséquence logique d’une hausse de l’espérance de vie d’un an par décennie serait que la période d’activité augmente de 8 mois pour obtenir une rente durant 4 mois de plus.

La rente issue de l’AVS et de la caisse de pension est toujours plus éloignée du dernier salaire. Comment réagir?

Je ne partage pas votre hypothèse. En ce qui concerne l'AVS, le Conseil fédéral adapte les rentes tous les deux ans à l'évolution des salaires et des prix. La dernière augmentation a eu lieu au 1er janvier 2023. Le taux de conversion des caisses de pensions a effectivement diminué en général, mais n’oublions pas que de nombreuses caisses de pension ont pris des mesures complémentaires pour compenser au moins partiellement cette diminution. Il ne faut pas s’en tenir uniquement au niveau du taux de conversion. La partie d’épargne a été renforcée. Des distributions sont intervenues. Les caisses de pension ne s’en tiennent pas au minimum légal. 

L’objectif de la LPP consistait à utiliser un taux d'intérêt pour l'alimentation des avoirs de vieillesse égale à l'évolution des salaires (règle d'or). Cet objectif a été clairement dépassé ces presque 40 dernières années. Le système est donc plus généreux qu’il ne le voulait au départ en 1985. Certes, certains assurés reçoivent des petites rentes, en raison d’un divorce ou d’une utilisation du 2e pilier pour le financement de la maison ou d'une carrière interrompue. Mais les prestations complémentaires servent à répondre à ces situations spéciales.

Quel bilan dressez-vous de l’année 2023 pour la CPM?

Nous n’avons pas encore publié notre résultat. Notre performance dépasse l’objectif de rendement. Elle se situe entre 3,5 et 4%. Elle atteignait 2,3% à la fin novembre 2023. Notre situation financière est donc toujours favorable. Nos réserves sont de fluctuations sont complètes et nous disposons de la capacité d’absorber des chocs. 

Le conseil de fondation a décidé de rémunérer les avoirs de vieillesse à un taux de 3,75% en 2024, contre 1,25% pour le taux minimum LPP. Nous pouvons aussi relever les rentes courantes de 5% (pour ceux qui sont à la retraite avant 2023).

Est-ce que cette hausse des rentes est toujours supérieure à l’inflation à la MPK?

Elle dépasse l’inflation cette année, mais ce n’est pas toujours le cas. La dernière forte hausse remonte à 2006. Par ailleurs, en décembre 2021 et 2022, nous avons versé une 13e rente.

Quels changements avez-vous entrepris face aux taux d’intérêt plus élevés?

Nous sommes sortis des taux négatifs. Le conseil de fondation a décidé d'augmenter le taux d'intérêt technique pour l'évaluation des engagements envers les bénéficiaires de rentes de 1,5% à 2% pour la clôture annuelle 2023. Ce taux correspond également à la promesse d'intérêt contenue dans le taux de conversion actuel. Ainsi, à l'avenir, les provisions jusqu'alors nécessaires pour le financement des pertes sur les retraites ne seront plus nécessaires. 

Nous prévoyons un taux de 2% à long terme. Le taux de conversion de 4,77% intègre un taux technique de 2%.

Nous révisons la stratégie de placement tous les trois à cinq ans sur la base d'une étude de l'actif et du passif (étude d’ALM). La stratégie actuelle est en vigueur depuis début 2021, date à laquelle la part des placements en valeurs réelles a été portée à 67% au détriment des placements en valeurs nominales (obligations, prêts, hypothèques), qui représentent désormais 33%. Nous nous sentons en principe à l'aise avec cette répartition dans l'environnement actuel des taux d’intérêt. Nous avions alors augmenté la part de l’immobilier (suisse, international et infrastructures) à 37%. La part des actions est de 28% et celle de l’or 2%.

Nous ferons à nouveau une étude ALM en 2024, ce qui pourrait conduire à des changements, mais sans doute de faible ampleur. Pour le reste, il faut prendre garde de ne pas surestimer ses propres capacités en matière d’investissement. Nous avons profité de nous tenir à la stratégie et de procéder aux nécessaires rééquilibrages d’allocation selon la situation des marchés.

La performance de l’immobilier fait souvent débat, y compris sous l’angle des frais. Est-ce que le rendement reste satisfaisant?

Les placements dans l’immobilier ne sont pas très bon marché avec un taux de frais (TER) de 0,25%, ce qui dépasse largement les actions. Dans le passé, l’immobilier a répondu aux attentes. Mais en 2023 la hausse des taux d’intérêt a laissé des traces. Pour la première fois, nous avons entrepris des correctifs de valeur sur l’immobilier en raison de la hausse du taux d’escompte. J’ai toujours averti que l’immobilier pouvait être un risque. La correction est d’environ 1 à 2% sur l’immobilier suisse. Elle est survenue plus tôt et elle était supérieure dans l’immobilier international. A la fin novembre 2023, la performance de l’immobilier international s’élevait à -7,6% depuis le début de l’année. 

Quels seront les prochains grands défis de la MPK?

Les adaptations aux changements de conditions-cadres continueront de nous occuper à l'avenir. L'objectif d'une institution de prévoyance devrait toujours être de mettre à la disposition des assurés, de la manière la plus rentable possible, un revenu de remplacement en cas de vieillesse, de décès ou d'invalidité. Cela n'est possible à long terme que si l'on ne fait pas de promesses de prestations irréalistes.

Quels sont vos objectifs pour 2024?

Nous relevons progressivement l’âge de référence pour la retraite de 64 à 65 ans. La mesure sera entièrement effectuée en 2028. Nous effectuerons aussi une étude ALM en 2024 et nous continuerons de gérer au mieux les affaires courantes.

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