Une bonne dose de prudence envers les «Sept Magnifiques» en 2024

Yves Hulmann

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Dans leurs prévisions de décembre, plusieurs instituts conseillaient de diversifier davantage les placements cette année, en accordant plus de place aux valeurs défensives.

©Keystone

 

S’il est encore difficile d’identifier une tendance claire qui se dégage pour les marchés en 2024, un premier constat s’impose néanmoins après une semaine complète d’échange sur les marchés. Les grands gagnants de 2023, à savoir essentiellement les valeurs technologiques aux Etats-Unis, affichent une performance en demi-teinte depuis le début du mois de janvier, alors que des indices plus défensifs, comme le SMI, tirent leur épingle du jeu. Ainsi, l’indice Nasdaq 100, qui avait bondi de près de 40% en 2023, s’inscrit en léger recul depuis le début de l’année (-0,2% jeudi en début d’après-midi). C’est le cas aussi en Europe du DAX allemand (-0,25%) ou du CAC 40 en France (-1,4%) qui avaient largement profité du rebond des marchés l’an dernier. A l’inverse, les indices plutôt défensifs tels que le SMI (+0,7%) ou le Nikkei 225 (+2,9%) progressent depuis début janvier.

Aux Etats-Unis, la forte dépendance de la performance boursière de 2023 des actions américaines envers la poignée de sociétés désormais décrites comme les «Sept Magnifiques» a déjà fait l’objet de nombreux débats au cours des derniers mois. Comme le relevait en début de semaine Oddo BHF dans un article, ces sept valeurs expliquent à elle-seules 80% de la performance de l’indice élargi S&P 500 aux Etats-Unis: à savoir, Nvidia (+238% sur l’année), Meta (+194%), Tesla (+101%), Amazon (+80%), Google (+58%), Microsoft (+56%) et Apple (+48%). A titre de comparaison, en Europe, les sept valeurs phare ont expliqué environ 40% de la performance de la bourse européenne l’an dernier.

Il est difficile de prédire quels seront les gagnants de l’IA de demain

Le démarrage hésitant cette année des indices liés aux valeurs technologiques, qui ont tant porté les marchés en 2023, va dans le sens des prévisions prudentes formulées en décembre par divers établissements, à l’instar de BNP Paribas Wealth Management. C’est le cas notamment en ce qui concerne les sociétés dont le cours s’est envolé sous l’effet des attentes concernant le potentiel de l’intelligence artificielle (IA) pour le développement de leurs activités. «L’IA est une transformation essentielle. Toutefois, il est difficile de pouvoir prévoir quels sont les gagnants à long terme de telles phases de transformation», prévient Edmund Shing, responsable de la stratégie d’investissement chez BNP Paribas Wealth Management, qui s’exprimait en décembre lors d’une présentation des thèmes jugés porteurs pour l’année 2024. L’occasion pour le spécialiste de rappeler les noms de certaines entreprises qui faisaient figure de leader au début des années 2000, à l’exemple Nokia dans les télécoms, mais qui ne valent plus grand-chose en bourse aujourd’hui. «Il n’est pas certain que les Sept Magnifiques figureront parmi les leaders de l’intelligence artificielle de demain. Ces entreprises pourraient à leur tour être «disruptées» par des entreprises encore plus innovantes, encore plus disruptives», met-il en perspective. En outre, l’an dernier, un grand nombre d’entreprises ont dépensé beaucoup d’argent en lien avec l’IA. Cela a beaucoup profité aux valeurs qui sont les fortement associées à cette thématique. Pour autant, cela ne garantit pas que ce rythme d’investissement va forcément se poursuivre au même rythme durant les prochains exercices.

Attention au risque de concentration

Aux yeux d’Edmund Shing, mieux vaut dès lors ne pas tout miser sur ces sept sociétés et plutôt sélectionner des entreprises sur la base de thématiques spécifiques. Il cite en particulier les semi-conducteurs, l’informatique en nuage ou encore la cyber-sécurité. De plus, estime Guy Ertz, responsable de la stratégie d’investissement banque privée Luxembourg chez BNP Paribas Wealth Management, la forte concentration de la performance des marchés autour de quelques titres seulement pourrait être un facteur de volatilité sur les marchés cette année. A l’inverse, s’il y avait une participation plus large au sein des indices, cela apporterait alors davantage de stabilité sur les marchés, juge-t-il.

Les entreprises devront montrer en 2024 comment elles parviennent à «monétiser» l’IA

S’exprimant lors de la présentation des perspectives pour les marchés à la mi-décembre par Edmond de Rothschild Asset Management, Benjamin Melman, Global CIO Asset Management, souligne aussi les importants écarts de valorisation entre les Sept Magnifiques et le reste du marché. Si l’environnement macroéconomique se détériore cette année, ces sociétés auront d’autant plus besoin d’être capable de démontrer leur capacité à évoluer dans un contexte de récession.

Concernant plus spécifiquement l’IA, l’année 2024 sera plus exigeante pour les entreprises qui ont été fortement portées par cette thématique l’an dernier. «En 2023, il était permis de rêver, d’avoir de grands espoirs à propos de l’IA générative. En 2024, les marchés voudront voir des preuves tangibles de la capacité pour ces entreprises de parvenir à monétiser l’intelligence artificielle», estime l’expert d’Edmond de Rothschild Asset Management.

Dans ce contexte, le gérant d’actifs cite d’autres thématiques d’investissement intéressantes telles que les sciences de la vie, en mettant notamment en évidence le potentiel des entreprises actives dans les techniques médicales à l’exemple de Baxter. S’y ajoute la thématique des énergies renouvelables et de l’efficience énergétique avec des entreprises comme le groupe français Saint-Gobain ou l’américain NextEra Energy qui auront un rôle important à jouer sur ce plan.

Mieux diversifier les sources de performance

Lors de la présentation de ses perspectives pour 2024, le gérant d’actifs Carmignac a aussi évoqué la nécessité d’une plus grande diversification en matière de placements cette année. «Dans le domaine des actions, après la course folle des Sept Magnifiques, les conditions sont réunies pour un élargissement des moteurs de performance des actions», estime Kevin Thozet, membre du comité d’investissement de Carmignac. Selon lui, la forte concentration des rendements l’an dernier doit être appréhendée avec «une certaine forme de méfiance». Une approche d’investissement permettant de diversifier davantage ses placements sans se limiter aux noms les plus réputés apparaît dès lors judicieuse en 2024. C’est possible en misant, d’une part, sur des valeurs plus défensives, en investissant notamment dans des titres issus du secteur de la santé et des produits de consommation de base, et, d'autre part, en obtenant un potentiel de rendement plus élevé via les marchés émergents.

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