Un CPI au goût amer

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

Une inflation persistante

Après les plus de 300'000 créations d’emplois le mois dernier, synonymes de croissance vigoureuse, c’est l’inflation qui est venue perturber les marchés obligataires. Les minutes du dernier FOMC avaient beau être plutôt rassurantes, un Core CPI mensuel à +0,4%, maintenant le YoY à 3,8%, a rebattu les cartes. Qu’il paraît bien loin le temps des trois baisses de taux assurées pour 2024! Nous ne parlons même pas des six ou sept attendues par les marchés en novembre-décembre. Désormais, le scénario central que ces derniers envisagent est derrière celui de la Fed et non plus devant. En effet, si la banque centrale n’a pas officiellement modifié son scénario dot plots (ce sera sûrement fait le 1er mai), les marchés n’espèrent plus qu’une ou deux baisses de taux cette année.

Par conséquent, sur la courbe US, les rendements se sont tendus sensiblement mais sans toutefois nous donner d’indication claire comme par exemple une déformation de la courbe sous la forme d’un bearish flattening. En effet, depuis le 10 avril à 14h30, correspondant à la publication du CPI, le 2 ans et le 30 ans se sont tendus de 15bp, le 10 ans de 20bp et le 5 ans de 25bp. C’est donc le taux à 5 ans qui est remonté le plus fortement, ce qui semble cohérent puisqu’il était logiquement le sweet spot en cas de trois baisses de taux (voire plus). La pente 5-10 ans est retournée en territoire légèrement négatif, ce qui est également un indicateur de baisse des espoirs de politique monétaire résolument dovish. Un 2 ans qui remonte vers 4,9%, soit 35bp de pente négative 2-10 ans, est également un signe.

La BCE va sans doute, contrairement à la Fed, procéder effectivement à trois baisses de taux cette année et nous ne sommes pas à l’abri que l’une d’entre elles soit de 50bp.

La capitulation est actée et nous nous contenterons peut-être d’une seule baisse en 2024, ce qui n’est déjà pas si mal compte tenu du contexte qui pourrait nous inciter à penser qu’un statuquo serait finalement plus logique. Le no-landing avec rebond d’inflation fait même craindre à certains un revirement de politique monétaire pour envisager un resserrement supplémentaire. Des motifs d’espoir? toujours les mêmes, qui ne fonctionnent pas pour l’instant; attendre une confirmation ou infirmation de ce CPI décevant par le fameux indicateur privilégié par la Fed, le Core PCE publié le 26 avril. Des chiffres plus rassurants permettraient de remettre en cause le scénario pessimiste actuellement privilégié par les marchés depuis mercredi dernier. Mais ce n’est même pas garanti…

BCE: rendez-vous le 6 juin

Nous nous attendions à un meeting de la BCE inutile à un détail près, la possible mention d’un premier geste accommodant imminent. Nos vœux ont été exaucés puisqu’à l’issue de ce cinquième meeting conclu par un statu quo, un premier assouplissement monétaire a été clairement évoqué dans le communiqué officiel. Bien entendu, il était assorti des réserves d’usage, à savoir la poursuite d’une décrue de l’inflation vers l’objectif de 2%, mais les doutes (s’il y en avait encore) sont grandement dissipés. En marge de cette réunion, certains membres de la BCE ont également évoqué leur plus grande confiance dans les projections d’inflation publiées lors du meeting précédent. Nous nous étions étonnés, à l’époque, de constater que Madame Lagarde mentionnait des prévisions officielles d’inflation résolument dovish en ajoutant que les membres du conseil n’étaient pas franchement à l’aise avec ces chiffres pourtant publiés par leurs propres services! Visiblement, il s’agit d’une période révolue et rien ne peut empêcher l’institution de Francfort d’emboîter le pas de notre BNS, sans tenir compte des tergiversations de la Fed (bien compréhensibles au demeurant).

Le rendement du Bund qui avait amorcé une pente descendante dernièrement n’a que modérément apprécié le comportement de son homologue américain suite à la publication du CPI. Jeudi après-midi, nous avons flirté avec le niveau de 2,5% contre 2,35% mercredi avant le CPI, peu compatible avec les conclusions du meeting de la BCE et avec les données macroéconomiques plutôt inquiétantes venant d’Allemagne. Nous sommes désormais investis en Schatz, Obl et Bund car nous sommes de plus en plus convaincus que, malgré des niveaux de départ beaucoup plus bas qu’aux Etats-Unis, ce sont les taux européens qui offrent le meilleur potentiel de détente. La BCE va sans doute, contrairement à la Fed, procéder effectivement à trois baisses de taux cette année et nous ne sommes pas à l’abri que l’une d’entre elles soit de 50bp. A situations économiques différentes, comportements des banques centrales différents. Si l’on se résout à faire définitivement une croix sur la baisse de la Fed le 12 juin, nous aurons vraisemblablement droit à une baisse de la BCE le 6 et un assouplissement supplémentaire de la BNS le 20. Mais n’anticipons pas trop, nous ne sommes que mi-avril et nous ne savons pas avec certitude ce que la Fed va nous dire le 1er mai. Alors chaque chose en son temps!  

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