Un soft landing aux faux airs de no landing

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

Le diable se cache dans les détails

S’il ne fallait retenir qu’un chiffre du FOMC de mercredi dernier, ce serait celui-ci: 2,1%. Il s’agit de la projection de croissance 2024 révisée par la Fed. Le chiffre précédent s’élevait à 1,4%. Cette mise à jour est énorme. Jerome Powell nous a donné tous les arguments en faveur d’un no landing mais continue à le considérer comme un soft landing! C’est au moment où les marchés, sceptiques jusque-là, se mettent à adhérer au scénario dovish de la Fed, que nous commençons à nous poser des questions. Cette brutale révision du PIB est en effet accompagnée d’un réajustement à la hausse de Core PCE, de 2,4% à 2,6%. Nous sommes donc dubitatifs, déçus et en même temps relativement indifférents.

Dubitatifs car Jay Powell a donc fait un numéro d’équilibriste de haut niveau en apparaissant dovish tout en ayant partiellement validé les arguments des faucons. Tout le monde se range derrière les fameux dot plots mais regardons-les de plus près et vous verrez que le diable se cache toujours dans les détails. Si l’on s’arrête à la conclusion, trois baisses de taux en 2024, nous ne percevons pas la grande fragilité de ces dot plots. Deux membres de la Fed sont en faveur de zéro assouplissement cette année. Deux autres sont favorables à une baisse de taux et cinq autres à deux. Ainsi, le total des membres du FOMC favorables à moins de trois baisses s’élève à neuf. Neuf, c’est également le nombre de banquiers centraux favorables à trois baisses. Un dernier membre penche plutôt pour quatre (à noter qu’aucun ne songe à baisser plus de quatre fois désormais). Ainsi, le total des banquiers qui prônent trois baisses ou plus s’élève à dix. Dix contre neuf! Les trois baisses ne tiennent qu’à un fil et il suffirait qu’à l’occasion de publications de statistiques défavorables un membre du FOMC passe d’un camp à l’autre et les dot plots passent de trois à deux baisses pour 2024.

La BNS a pris ses responsabilités. Elle a démontré une fois de plus son indépendance et son courage.

Nous sommes également déçus car toujours rien ne filtre sur le QT (Quantitative Tightening). Nous aurons peut-être droit à quelques mots au sujet du QT dans les minutes publiées trois semaines après la réunion mais pour l’instant nous en restons à 95 milliards par mois (60 de Treasuries et 35 de MBS). Si les actuels dot plots se concrétisent et si la Fed respecte une espèce de trêve pendant la campagne présidentielle, les occasions ne seront pas très nombreuses: 12 juin, 31 juillet et 18 décembre. Nous ne serions pas étonnés que la Fed démarre un tapering de son QT pendant cette trêve: keep markets happy!

Enfin, ce FOMC ne nous a pas enthousiasmés outre mesure car selon nous, la date cruciale de mars était bien le 11 et pas le 20 (voir notre chronique hebdo de mardi dernier). La parenthèse BTFP est donc officiellement refermée et nous voilà rassurés. Nous allons surtout faire semblant d’y croire et croiser les doigts pour qu’aucune banque ne s’écroule sous la masse de ses CRE loans défaillants.    

Colombes de Pâques prêtes à l’envol

La BNS a pris ses responsabilités. Elle a démontré une fois de plus son indépendance et son courage. Ce geste n’était pas surprenant car de nombreuses raisons pour le faire s’étaient accumulées récemment. Certaines oreilles ont dû siffler à Francfort car les marchés attendent avec impatience que la BCE emboîte le pas de sa consœur suisse. La pression monte et le temps va nous paraître bien long jusqu’au 6 juin. La zone euro reste proche de la récession et le risque que la BCE doive intervenir plus fortement pour compenser son retard n’est pas totalement visible dans les prix de marché.

Cela fait quelques semaines que nous affirmons que si nous étions gérants de Hedge Fund, nous serions long Bund et short 10y Note. En effet, le 10 ans allemand, malgré un niveau faible, 2,35% contre 4,25% pour le 10 ans américain, a plus de potentiel de détente que ce dernier. La courbe américaine va vraisemblablement entamer le deuxième trimestre avec une volonté farouche de retrouver une pente normale sous l’effet d’un bullish steepening qui semble logique dans cette configuration de marché. C’est la raison pour laquelle nous préférons le 5 ans sur la courbe US. Un taux nominal de 4,20% est plutôt attrayant mais que dire du taux réel à 1,9%? Parmi toutes les émissions du Trésor américain, ce TIPS 5 ans a toutes les qualités nécessaires pour concourir au titre de Bond of the Year. 

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