Qu'est-ce qui attend les actions mondiales en 2024?

Jean-Louis Nakamura, Vontobel

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L'impact net des développements macroéconomiques, politiques et stratégiques en 2024 devrait être globalement favorable aux marchés boursiers.

L’année 2024 devrait marquer une nouvelle étape vers un retour au modèle de faible croissance/faible inflation après les fortes variations de la demande et de l'inflation observées en 2021 et 2022. Si la destination semble claire, le voyage lui-même pourrait toujours s'avérer chaotique, sous réserve (principalement) de l'évolution macroéconomique des États-Unis, des orientations et du pivot éventuel des banques centrales (principalement de la Réserve fédérale américaine), ainsi que des événements politiques et géopolitiques.

Sur le plan macroéconomique, l'année 2023 des États-Unis a été caractérisée par une désinflation rapide, une consommation étonnamment résistante et un marché de l'emploi solide. Ce contraste suggère que l'essentiel du pic d'inflation de 2020-2021 était dû à des blocages au niveau de l'offre. À mesure qu’ils disparaissaient et, dans certains cas, s'inversaient, l'inflation a reculé sans détérioration particulière de la demande. Cela dit, un dernier épisode de désinflation est nécessaire, en particulier dans les segments du logement et des services, pour ramener l’indice du core PCE sous la barre des 2 %. Cela nécessitera probablement un nouveau ralentissement de la consommation. L'économie américaine étant déjà au bord d'une légère récession dans le secteur manufacturier et d'une faible croissance dans le secteur des services, la marge de manœuvre pour échapper à une contraction de l'activité économique globale pourrait encore se réduire.

Des orientations plus claires combinées à une provision adéquate de liquidités peuvent suffire à soutenir les marchés et, indirectement, les conditions économiques. 

Le stress subi par les banques régionales américaines au printemps dernier n'a pas pu se propager à l'échelle nationale, grâce à la décision rapide de la Fed de réinjecter des liquidités. Parallèlement, des réserves plus faibles au titre du mécanisme de mise en pension (Reverse REPO ou RRP) de la part des fonds du marché monétaire se sont traduites par une augmentation des liquidités de 1500 milliards de dollars (soit un renforcement des réserves des banques), qui a plus que compensé le resserrement du bilan de la Fed. Cette dynamique s'est probablement avérée décisive pour éviter un resserrement du crédit ou une récession induite par l'effondrement financier.  Cela signifie que tout en étant (très) restrictive en termes de politique et de taux directeurs (mais avec un impact lent sur la croissance réelle), la politique monétaire s’est montrée plus favorable en termes de liquidités (avec des bénéfices immédiats). Une normalisation complète du marché du RRP en 2024 impliquerait une augmentation supplémentaire des réserves des banques de près de 1000 milliards de dollars.

Cela montre également qu’il n'est pas nécessaire d'attendre que les taux baissent pour voir les conditions financières s'assouplir et que les marchés se redresser. Des orientations plus claires combinées à une provision adéquate de liquidités peuvent suffire à soutenir les marchés et, indirectement, les conditions économiques. Cela pourrait avoir deux implications concrètes: premièrement, les corrections des marchés motivées par des doutes sur le rythme réel de la désinflation future devraient être de courte durée et relativement ténues, car la Fed devra trouver un équilibre entre le resserrement des conditions financières induit par le marché et des prévisions plus accommodantes. Nous devrions donc continuer à assister à la même succession de corrections et de reprises à court terme à l'œuvre depuis le début de 2023 jusqu'à un changement de régime monétaire plus définitif.

Deuxièmement, ce scénario de sortie a plus de chances d'être haussier que baissier, car il est beaucoup plus probable de voir les taux baisser que de les voir monter. Mais pour que la Fed indique clairement cette voie aux marchés, nous aurons besoin soit d'une nouvelle baisse de l'inflation, soit d'une récession explicite (ce qui entrainerait presque à coup sûr une nouvelle baisse de l'inflation). À cet égard, la relation habituelle entre les indicateurs économiques avancés et la performance des actions pourrait être altérée, car nous n'aurions pas besoin d'attendre que les indices atteignent leur plus bas pour profiter d'un fort rebond des actions, stimulé par de multiples expansions qui contrebalanceraient largement les contractions (relativement légères) des marges.

Près de la moitié de la population mondiale votera pour ses dirigeants en 2024. Les changements politiques ont généralement un impact restreint sur les marchés.

Du côté de la Chine, un regard sur la deuxième économie mondiale montre qu’elle continue à peiner dans une situation bien décrite dans les manuels d'économie. Le pays est dans une impasse, souffrant d'un excédent de capital après deux décennies de «capital deepening», dans un contexte d'excès d'épargne persistant et de consommation inadéquate. Ses traditionnelles méthodes de recyclage d'épargne excédentaire (exportations, infrastructures et immobilier) ne sont plus disponibles, du moins pas dans la même mesure. Les économistes chinois et occidentaux ont appelé à un remède évident: un plan de relance massif «à la 2008», mais les autorités, tenue par leur lutte contre les dérives idéologiques et «l'expansion incontrôlée du capital», hésitent encore à aller de l'avant. Leur dernière décision de réduire de 50 points de base le taux de réserve requis pour les banques, bien qu'elle aille dans la bonne direction, n'est pas susceptible de résoudre ses problèmes structurels.

D'autres économies émergentes sont à la croisée des chemins. Elles pourraient être confrontées à un nouveau ralentissement mondial de la conjoncture et du commerce, mais disposent d'une marge de manœuvre (beaucoup) plus grande que lors du précédent cycle économique pour l'amortir, en raison du resserrement précoce des taux d'intérêt et de la désinflation rapide qu'elles ont connue. Elles devraient également être les principales bénéficiaires d'une dernière dépréciation importante du dollar américain, si la Fed devait finalement «pivoter» comme prévu. Il est intéressant de noter que les flux de capitaux ont rebondi de manière très significative sur les marchés émergents hors Chine au cours des deux derniers mois de 2023. D'autres économies développées pourraient se trouver dans une situation un peu moins confortable, dans la mesure où elles sont confrontées à une croissance intérieure en demi-teinte, à une demande chinoise et américaine faible ou en contraction, et à des banques centrales frileuse à l’idée d'assouplir leurs politiques avant la Fed.

Il faut également noter que près de la moitié de la population mondiale votera pour ses dirigeants en 2024. Les changements politiques ont généralement un impact restreint sur les marchés, à moins qu'elles ne déclenchent un changement significatif des politiques macroéconomiques ou structurelles. Le parti indien «Bharatiya Janata» ayant remporté trois des quatre élections clés fin 2023, le risque de voir s'achever l'ère de stabilité politique et de réforme économique du Premier ministre Narendra Modi semble s'éloigner. En Europe, les élections au Parlement européen ont généralement peu d'impact sur le marché, car les implications en matière de politique économique sont diluées et à long terme. L'attention se porte avant tout sur les élections américaines, les marchés étant susceptibles de bouger entre la fin de l'été et les jours suivant les élections en cas de résultats extrêmement serrés. Bien que le champ des résultats possibles soit encore extrêmement vaste, un retour de Donald Trump aurait des conséquences significatives sur le marché, à la fois sur le dollar américain et sur le marché des actions américaines.

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