Les sujets de la rentrée

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland SA

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Dégradation inexorable de la solvabilité des emprunteurs, absence d’amortisseurs contracycliques, combinaison toxique entre croissance atone et régime d’inflation élevée.

Le mois d’août nous a rappelé que le contexte macro-financier peut devenir rapidement très problématique pour les investisseurs, avec notamment la matérialisation de risques cachés et l’absence de diversification au sein des actifs financiers traditionnels.

Le cycle de défaut des entreprises a déjà repris une trajectoire haussière. Il va s’accélérer en 2024. Aux Etats-Unis, les défauts des entreprises pourraient dépasser les pics enregistrés en 1992, 2002 et 2009. Le resserrement monétaire de la Fed initié en mars 2022, cumule désormais 525 pb, soit le mouvement le plus intense depuis 1980. En théorie, cela prend 18 à 24 mois à la politique monétaire pour se diffuser dans l’économie. La Fed estime que dans le cycle actuel, la transmission pourrait être plus rapide, à savoir un décalage de 9 à 12 mois. Le plein effet du resserrement monétaire est donc encore à venir. La dernière enquête de la Fed sur les conditions de crédit des banques indique: 1. un resserrement proche de ce qui prévalait au début de la récession de 2000; 2. Une chute de la demande de prêts proche des niveaux de 2009. La part importante des sociétés qualifiées de zombies (plus de 30% des sociétés cotées, soit le double de 2007) est un héritage de la politique de taux zéro. Les refinancements qui vont arriver en 2024 vont inévitablement se faire à des niveaux de coût de la dette non soutenables pour ces sociétés.

Parier sur une inflexion de la politique monétaire a de fortes chances de décevoir. Historiquement, l’écart moyen entre le dernier relèvement de taux de la Fed et la première baisse est de 8 mois (avec un minimum de 3 mois et un maximum de 20 mois). Durant cette phase intermédiaire, les taux de défaut connaissent une rapide accélération et les sociétés dont les bilans sont fragiles performent particulièrement mal. En régime d’inflation élevée, la classe d’actifs Actions enregistre une performance négative 3 mois et 6 mois après la dernière hausse des taux des Fed Funds.

L’hypothèse d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine est contrainte par la politique monétaire de la Fed qui sera durablement restrictive. Le message du président de la Fed Jerome Powell a confirmé la nécessité de voir baisser l’inflation comme préalable à toute inflexion monétaire. Toute ré-accélération de l’activité sera interprétée comme un signal inflationniste, impliquant de nouveaux relèvements des taux des Fed Funds. Tout se passe comme si la Fed avait en tête le scénario des années 70: 1. un assouplissement trop rapide des conditions monétaires pourrait se heurter à une reprise de l’inflation; 2. une reprise de l’activité forcera la Fed à remonter ses taux directeurs. Ne pas répéter les erreurs d’un passé inflationniste semble être pour l’instant la priorité de la Fed. 

L’attitude de la Fed explique pourquoi les marchés financiers ont basculé dans un schéma «bad news is good news». Seule l’entrée en récession pourra enclencher un assouplissement monétaire de la Fed. Les mauvaises nouvelles économiques alimentent ce scénario, ce qui fait baisser les taux d’intérêt réels à long terme. Ceux-ci étaient passés de -1% en janvier 2021 à près de 2% six mois plus tard. Ce mouvement avait causé le double bear market de 2022 et de l’instabilité financière dans certains segments financiers (fonds de pensions britanniques, banques régionales aux Etats-Unis, immobilier commercial). Une séquence de mauvaises nouvelles pourrait donc en théorie soutenir un mouvement haussier général, tant pour les actifs risqués que pour les actifs sans risque de duration. Un tel mouvement ne saurait être durable, notamment pour les actifs risqués (Actions, Crédit), qui ne disposent pas de marge de sécurité en cas de récession effective.

La situation des finances publiques est inédite après la gestion de la pandémie de Covid-19. Aux Etats-Unis, le taux d’endettement public s’est stabilisé au voisinage de 110% du PIB, proche du pic constaté à la fin de la seconde guerre mondiale. L’Office budgétaire du Congrès a une projection à 200% à l’horizon 2050. Un excès d’endettement est problématique uniquement en phase de ralentissement, a fortiori quand elle se combine avec une hausse des taux d’intérêt. Le service de la dette du gouvernement fédéral est de USD 1 trillion. Il absorbe déjà près de 15% des revenus, sa part pouvant monter à plus de 20% d’ici cinq ans selon le CBO. Une telle situation contraint toute action contracyclique de la part du budget, notamment face à une politique monétaire durablement restrictive.

La Chine a longtemps été un stabilisateur de la croissance mondiale. Mais son modèle basé sur l’endettement n’est plus soutenable. L’endettement du secteur privé est passé de moins de 110% à près de 230% du PIB en 2022. En contrepartie, l’investissement représente près de la moitié du PIB, la part essentielle étant liée à la construction (30%). L’immobilier chinois est la première classe d’actifs du monde (USD 62 trillions, à comparer aux 47 trillions pour les Actions américaines). Certes, sa correction a des implications systémiques limitées, mais fait de la Chine un foyer déflationniste et non plus un moteur de croissance désinflationniste pour le reste du monde.

L’enjeu est donc d’intégrer dans le processus d’investissement ce nouveau cadrage macro-financier, qui est radicalement différent de ce qui a prévalu dans le passé. La phase post-crise financière dominée par les banques centrales est terminée. Ce n’est pas pour autant un retour à la Great Moderation d’avant 2007. L’accent est à mettre sur les stratégies de protection du capital en termes réels et aux stratégies dite antifragiles, qui ont la capacité à bien se comporter lors des phases de stress et de chaos.

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