Allocation d’actifs: dix questions pour le second semestre 2023

Emmanuel Ferry, Union Securities Switzerland SA

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Le premier semestre se termine pour les marchés financiers sur de nombreuses situations divergentes ou extrêmes, qui devront tôt ou tard être corrigées.

L’allocation d’actifs est peut-être sur un point de rupture, avec le risque de récession qui se substitue au risque inflationniste. Dix questions (non exhaustives) permettent d’alimenter le débat et de réfléchir aux solutions à mettre en place.

1/ La hausse des indices boursiers au premier semestre peut-elle se prolonger au second semestre? Le rebond des indices a été largement en trompe l’œil: les Actions mondiales (ACWI) ont progressé de près de 13,9% en dollar (+11,4% en euro), performance qui se limite à 4,7% (2,2% en euro) si l’on considère un indice équipondéré. Ce rebond s’est limité aux «Sept Mercenaires» (Meta, Amazon, Apple, Microsoft, Google, Tesla, Nvidia), stimulé par la bulle de l’intelligence artificielle. Une telle concentration est toujours un signe de vulnérabilité à venir. La poursuite de la hausse dépendra donc d’un élargissement de la profondeur de marché. En l’absence de nouveaux catalyseurs, cet élargissement pourrait plutôt se faire via une rotation défensive. Un élargissement vers les Small-Caps américaines parait moins probable à ce stade du cycle. Seule une poursuite de la désinflation combinée avec un rebond cyclique, synonyme d’expansion des multiples de valorisation, pourrait alimenter cette rotation pro-risque.

2/ Comment réconcilier la surperformance des secteurs cycliques avec la faiblesse des PMI? Les cycliques ont surperformé les valeurs défensives de 15 à 20% depuis un an, tant aux Etats-Unis (hors technologie) qu’en Europe, alors que les PMI manufacturiers (indice des directeurs d’achats) demeurent en territoire négatif (43,4 en juin dans la zone euro, 46,0 aux Etats-Unis, avec 100% des composantes qui sont sous le seuil de 50, comme en 2001 et 2009). Une telle divergence a été observée pour la dernière fois en 2007 avec une configuration de politique monétaire similaire (taux des Fed Funds à 5,25%). Un rattrapage des valeurs défensives parait plus probable à court terme.

3/ Un soft landing de l’économie américaine est-il possible? L’atterrissage en douceur de l’économie est un phénomène assez rare: il suppose que le resserrement monétaire soit correctement dosé pour ne pas causer de récession. Au cours des 60 dernières années, on dénombre un seul cas de soft landing réussi, c’était en 1994-95. «Aucune reprise depuis l’après-guerre n’est morte de vieillesse dans son lit – elles ont toutes été assassinées par la Fed» (Rudiger Dornbusch, 1997). Actuellement, les preuves d’un hard landing annoncé s’accumulent: courbe des taux d’intérêt fortement inversée (au plus bas depuis 42 ans), indicateurs avancés déjà compatibles avec une récession. La contraction de l’offre de crédit des banques et le renchérissement des coûts de financement fragilisent toute tentative de reprise de l’activité, d’autant que les amortisseurs contracycliques sont absents (déficit d’épargne des ménages, réduction du bilan de la Fed, ponction du Trésor sur la liquidité). Prévoir une récession est un exercice très aléatoire: «la bourse a prévu neuf des cinq dernières récessions», Paul Samuelson (1966). L’emploi demeure très résilient, ce qui a sans doute empêché jusqu’à maintenant de matérialiser la récession. C’est donc l’indicateur-clé à surveiller.

4/ La Chine peut-elle compenser le ralentissement américain? Le thème de la réouverture de la Chine en début d’année a été très vite invalidé: le MSCI Chine est en baisse de 3,4% au premier semestre, le pétrole baisse de-12,8%, et le cuivre a chuté de 16% entre fin janvier et fin mai. Le Caixin PMI manufacturier est stable autour de 50 depuis un an, tandis que le consensus révise en baisse ses attentes de croissance du PIB 2023 depuis le mois de mai. Les problèmes structurels (logement, surcapacités, démographie déclinante, faiblesse des gains de productivité) et le manque de capacité décisive de stimulation (budgétaire et monétaire) limitent les chances de découplage économique et boursier de la Chine.

5/ Les anticipations de repli monétaire de la Fed sont-elles crédibles? Le resserrement monétaire de la Fed a été agressif en amplitude et en vitesse (+500pb en 14 mois). La variation annuelle du taux d’intérêt à 2 ans US est la plus élevée depuis 1980. La politique monétaire est restrictive depuis seulement le premier trimestre 2023 et devrait maintenir durablement une telle orientation afin de ramener l’inflation vers les 2% (l’inflation basée sur le déflateur sous-jacent de la consommation des ménages est actuellement à 4,6% après un point haut à 5,4% en février 2022). Le taux implicite des Fed Funds est de 4,06% pour le début 2025 contre un pic à 5,40% en novembre 2023, ce qui signifie cinq baisses de taux. Ce scénario est totalement irréaliste dans un régime d’inflation élevée, qui limitera la capacité de la Fed à être préventive.

6/ Faut-il craindre une remontée du taux de défaut des entreprises? Le retournement du cycle de crédit est sans doute le risque macro-financier majeur pour les prochains trimestres. Le choc de duration qui a pesé sur les marchés financiers en 2022 devrait naturellement muter en choc de crédit. Le processus de rationnement du crédit est déjà très avancé au sein du secteur bancaire aux Etats-Unis et en Europe. Les défaillances d’entreprises sont déjà à un niveau élevé aux Etats-Unis, compatible avec une récession. Cette situation n’est pas encore reflétée dans les spreads de crédit. Une remontée de la volatilité implicite sur les Actions pourrait être une première étape de repricing du risque de crédit pour les émetteurs de moins bonne qualité. C’est probablement la dernière fenêtre pour adresser la question du risque de crédit dans les portefeuilles.

7/ Les deux grandes classes d’actifs Actions et Obligations d’Etat ont des visions opposées sur le risque de récession. Qui a raison? Au premier semestre 2023, les Actions globales ont progressé de 13,9% (+11,4% en euro), tandis que le benchmark obligataire en dollar n’a progressé que de 3,0% (+1,7% en euro). Un portefeuille 50/50 a progressé de 8,4% en dollar (après -18% en 2022), +6,6% en euro et +5,5% en CHF. Les actifs risqués n’offrent pas de marge de sécurité en cas de récession. Le rendement du dividende du S&P500 est de 1,7%, contre un rendement à 10 ans des US Treasuries à 3,9%. Un tel écart est inédit depuis 2007. Le spread du High Yield américain est sous les 390pb, ce qui n’offre pas de marge de sécurité par rapport à un risque de récession et/ou de remontée des taux de défaut. La moyenne de long terme est de 500pb, et le spread s’écarte au-dessus de 800pb en phase de récession. Quant à la dette Investment Grade, son taux est tombé au niveau du Cash USD à 3 mois, ce qui est une première dans l’histoire.

8/ La résilience des bénéfices des entreprises sera-t-elle durable? Le premier semestre a été meilleur que prévu concernant la dynamique macro (la croissance du PIB 2023 des Etats-Unis a été révisée en hausse par le consensus de 0,3% à 1,3%), les attentes des analystes ont marqué une nette amélioration sur les bénéfices au second semestre 2023, avec une progression attendue de plus de 7,9% au T4 2023 (après -6,8% au T2 2023). Les recommandations à l’achat des analystes sur les valeurs américaines sont passées de 53,2% en février à 54,8% en juin. Cet optimisme pourrait être invalidé par le déclin des marges bénéficiaires, la réduction du pricing power, l’augmentation des coûts financiers et la baisse du levier opérationnel des sociétés. La saison des résultats qui démarre sera un test.

9/ La valorisation des Actions est-elle soutenable? La performance des marchés n’est pas influencée par le niveau de valorisation à court terme. Toutefois, des situations d’excès peuvent conduire à des phénomènes de retour à la moyenne. Le principal excès au premier semestre 2023 a concerné les mega Techs (FAANNG), qui ont profité d’un re-rating exceptionnel, avec un P/E à 12 mois passant de 22,3x à 32,1x. Un tel niveau absolu et relatif par rapport au reste du marché (S&P500 ex. FANG+ à 16,4x) plaide pour une pause du Nasdaq, qui a connu son meilleur semestre depuis 1983. La surperformance du S&P Tech versus S&P500 hors Tech a atteint un rythme record (6 mois glissants). La préférence à ce stade du cycle pour des sociétés combinant croissance, qualité et bilan solide, incite toutefois à conserver son exposition aux leaders de la tech. Cette relative neutralité doit dès lors s’accompagner de décisions plus tactiques au sein des portefeuilles (couverture, décorrélation, rotation).

10/ Les facteurs techniques de marché sont-ils toujours favorables? L’excès de pessimisme qui dominait fin 2022 a largement soutenu le rebond des actifs risqués en début d’année. A la fin du semestre, la situation est très différente. Les flux ont clairement une orientation risk-on, le VIX (volatilité implicite sur le S&P500) est passé sous le seuil de 13 contre 23 en début d’année (et un pic au-dessus de 30 en mars), le sentiment est en zone de surachat, les investisseurs institutionnels sont passés d’une allocation sous-pondérée à surpondérée en Actions et la saisonnalité va devenir moins favorable. Juin a marqué le début de la phase de FOMO (Fear of missing out), phase de capitulation des investisseurs qui étaient en dehors du marché et qui ont désormais peur de manquer la hausse.

Les marchés financiers vont rapidement être soumis à quatre tests, qui devraient donner une direction plus claire: la saison des résultats, la ponction sur la liquidité, le rationnement du crédit, les chiffres de l’emploi.

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