Dix bonnes raisons pour investir en euro

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Malgré l’euroscepticisme exacerbé du moment, il est opportun de présenter les dix meilleurs motifs pour lesquels il est souhaitable d’investir en zone euro.

En ces temps de cacophonie «brexitienne», comment échapper à une énième salve d’arguments, de démonstrations et de scénarios d’une dystopie européenne qui ne peut engendrer que l’inéluctable effondrement de l’Union? C’est le défi qu’il m’a été proposé de relever lors de la conférence annuelle d’investisseurs organisée par BCA Research, il y a quelques jours à New York.

Résumons l’acte d’accusation: l’euro n’est pas une zone monétaire optimale, elle ne saurait donc provoquer que dysfonctionnements, déséquilibres, et au bout du compte, ruine pour tous. De fait, on ne saurait nier les deux premiers termes de la proposition. Les années de crise nous l’ont démontré. Disons-le, l’euro est une construction encore inachevée, et elle n’est pas sans fragilités. Mais comme disait Galilée «Eppur si muove». Sans oublier que même ses adversaires les plus farouches ne peuvent passer outre l’attachement majoritaire des européens à leur monnaie.

On a vu émerger des préoccupations plus générales comme les questions
climatiques, qui ont porté les partis «verts» à la députation.

A la lumière de ces constats, je pense qu’il est bon d’examiner les opportunités d’investissement qu’offre la zone euro, et les raisons pour lesquelles le moment me paraît particulièrement opportun de les considérer.

Numéro 10: le parlementarisme démocratique l’emporte sur le populisme

Les élections au Parlement européen, au printemps dernier, ont montré l’intérêt des peuples pour ces questions. Dans une majorité de pays, le taux de participation était en hausse. De plus, alors que les élections européennes sont l’occasion de se prononcer sur des enjeux purement locaux – favorisés par le mode de scrutin et les circonscriptions nationales – on a vu émerger des préoccupations plus générales comme les questions climatiques, qui ont porté les partis «verts» à la députation. Les eurosceptiques ont progressé mais n’ont pas conquis et restent divisés. Le Parlement européen se trouve donc renforcé dans ses prérogatives comme dans son action.

En Italie, la tentative de Matteo Salvini de provoquer des élections anticipées dont il espérait tirer parti, a finalement échoué au profit de la formation d’une coalition de gouvernement dont on attend plus de cohérence et de stabilité dans la gestion du pays. Ceci s’est traduit par un formidable «rally» de la dette italienne, dont les rendements à 10 ans se situent désormais sous les 1%. La nomination de Paolo Gentiloni – un européen chevronné, excellent connaisseur des questions budgétaires italiennes – me semble faire écho à la volonté affichée de part et d’autre de soutenir les efforts de redressement économique italien.

Numéro 9: la Grèce et le Portugal sortent du purgatoire

Les élections générales au Portugal ont reconduit le centre gauche à la tête du pays. Après les années d’austérité, le déficit budgétaire a été fortement réduit, la distribution en faveur des bas salaires et des petites pensions a atténué le poids des efforts consentis, tandis que le taux de chômage retombait au plus bas. La Grèce a porté au pouvoir une nouvelle équipe gouvernementale, arrivée avec un programme ambitieux de privatisations et de renforcement des réformes du marché du travail. Les deux pays devraient connaître une croissance proche ou légèrement supérieure à 2% cette année. Certes, ils portent encore le poids d’une dette publique importante - et même difficilement soutenable pour la Grèce – mais se trouvent néanmoins en meilleure position pour aborder leurs créanciers.

On devrait voir la BEI renforcer ses actions en finançant
plus largement des projets de changement climatique.
Numéro 8: Deux figures d’envergure à la tête de la Commission et de la BCE

Comme nous l’avons déjà souligné1 le tandem Van Leyen/Lagarde reflète la volonté des Etats d’installer à la tête des institutions européennes, des personnalités d’une dimension politique incontestable, et non de simples technocrates.

Leur nomination a été rapide et a fait l’objet d’un large consensus. Toutes deux devront composer avec le Parlement, comme avec les exécutifs nationaux. Toutes deux portent un projet en harmonie avec les aspirations européennes. L’agenda d’Ursula Van Leyen s’ordonne autour de trois axes principaux. Le renforcement de la cohésion Est/Ouest et Nord/Sud; la promotion de politiques de changement climatique et d’investissement technologique; le renforcement de la concurrence intérieure et extérieure. Dans cette perspective, on devrait voir la Banque Européenne d’Investissement (BEI) renforcer ses actions en finançant plus largement des projets de changement climatique et d’investissement socialement responsables. La Commission devait accentuer son action en matière de politique de défense et de sécurité extérieure comme de politique migratoire. La coordination en matière de politiques budgétaires devrait elle aussi être renforcée.

De son côté, Christine Lagarde aura pour mission de sortir la politique monétaire de la zone euro du seul management de crise. Ceci implique de relancer et compléter les projets d’union bancaire et financière.

Numéro 7: un environnement économique moins porteur mais résistant

Les indicateurs de confiance et d’activité ont nettement ralenti. La zone euro, particulièrement ouverte sur le reste du monde, subit le contrecoup du ralentissement général, notamment dans le secteur manufacturier. L’Allemagne est désormais pénalisée par sa double dépendance au secteur automobile et au marché chinois. De plus, pèse sur le continent l’hypothèque d’une sortie sans accord du Royaume-Uni, qui affecterait durement l’activité dans les mois qui viennent. Il n’empêche, la dynamique intérieure est encore soutenue par la baisse généralisée du taux de chômage, l’amélioration des marges de manœuvre budgétaires et la cohésion monétaire.

Numéro 6: l’Europe sera leader dans la mise en œuvre de politiques en faveur du changement climatique

La RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) sera un thème majeur des prochaines années. L’Europe sera en pointe dans la mise en œuvre de politiques et de règlementations favorisant les investissements en faveur de ce tournant majeur. La réduction des émissions de gaz à effet de serre devrait dominer. Ainsi l’Allemagne – qui concède avoir pris du retard sur son propre programme – s’apprête à le relancer avec pour objectif de ramener les émissions de gaz à effet de serre à 50% du niveau de 1990 d’ici 2050. Ce plan démarre par un investissement de plus de 50 milliards d’euros sur 4 ans en faveur du retrait des énergies fossiles. Déjà les constructeurs automobile se mettent à la page et se positionnent pour concurrencer Tesla.

La sortie de la politique monétaire ultra accommodante
s’avère plus délicate que prévue.
Numéro 5: la BCE en a fini avec la baisse des taux

Comme beaucoup, je salue le bilan de Mario Draghi à la tête de la BCE, dans un contexte de crise particulièrement difficile. Cependant, et comme on l’a vu aux Etats-Unis, la sortie de la politique monétaire ultra accommodante s’avère plus délicate que prévue. Il reste encore en zone euro des poches de fragilités. Néanmoins, les banques de la zone euro voient leur profitabilité s’améliorer. Les ratios de capital ont été renforcés, comme le montrent les résultats du dernier «stress test». Les ratios coûts/rendements restent encore au-dessus d’autres institutions, mais sont en voie de réduction. L’aiguillon de la compétition des Fintech, ou encore le recentrage des activités financières en zone euro, devraient soutenir le secteur.

Une fois passées les turbulences du Brexit, et alors que la Réserve Fédérale devrait à nouveau abaisser son taux directeur, on pourrait assister à une repentification des courbes de la zone euro.

Numéro 4: avec la fin de la baisse des taux, s’annonce la fin de la baisse de l’euro

En termes de taux de change effectifs réels, l’euro est actuellement légèrement sous-évalué face au dollar, une tendance qui pourrait se corriger dans les prochains mois. Cela dépend en grande partie du dollar, nous le savons. Alors que se dessine un ralentissement de l’activité américaine, un afflux supplémentaire de dette publique  et une détente sur le front de la «guerre commerciale» - Donald Trump se montrant désormais avide d’obtenir un accord – le dollar pourrait être un peu moins demandé. De plus, la Réserve Fédérale vient d’annoncer un important programme d’achats de T-bills, pour soulager le marché monétaire. Le risque d’escalade des conflits au Moyen-Orient reste toutefois une incertitude géopolitique majeure.

Numéro 3: l’Europe des licornes, un terroir d’avenir

L’industrie comme les services se redéployent vers l’Intelligence Artificielle. La Tech à proprement parler ne représente encore qu’une part assez limitée de l’économie européenne. Le secteur croît néanmoins deux fois et demi plus vite que la moyenne de la région. Il est temps de parier sur une nouvelle et décisive poussée de la Tech en Europe grâce à:

  • La multiplication par 5 de l’investissement dans ce secteur depuis 5 ans. Cette tendance devrait se poursuivre et s’intensifier.
  • Une politique de compétition renforcée qui devrait permettre d’ouvrir le marché, tout en lui conservant sa cohérence interne, au moment où les tensions commerciales et technologiques menacent de segmenter les marchés mondiaux.
Numéro 2: l’Europe reste une zone économique ouverte

Nombreux sont ceux qui le lui reprochent, y voient le ferment de ses faiblesses, sinon de son déclin. D’autres lui reprochent la rigidité de ses règlementations et son absence «d’imagination». Ces dernières années, l’UE a signé d’importants accords de libre-échange avec le Japon, le Canada et le Mercosur. L’Europe reste le plus grand exportateur de biens et de services au monde. Le commerce représente 1/3 de son PIB.

Le tourisme, industrie non délocalisable par excellence, représente
plus de 4% du PIB de l’UE et plus de 5% de sa population active.

L’euro, l’ouverture du marché unique, les accords de Schengen, ont permis de réduire les coûts de transaction au sein de l’Union. La mobilité des travailleurs, des marchandises et des services, peut encore être améliorée, tandis que l’harmonisation des politiques aux frontières nécessite une cohésion et une coordination renforcées entre les états-membres. L’Europe propose un vaste territoire et un marché assez large pour permettre le lancement et le déploiement – y compris au-delà de son espace – des secteurs d’avenir.  

Un niveau d’éducation très élevé, les sciences, le tourisme, le luxe, sont quelques-uns de points forts de l’Union, qui reste par ailleurs une grande puissance agricole.

Numéro 1: l’Europe terre en mouvement

Pour conclure et m’adressant à un public d’Outre Atlantique, je me devais de rappeler combien il était devenu aisé de se déplacer de la Toscane à la Côte d’Azur, de Vienne à Madrid, de Séville à Dublin, de Berlin à Lisbonne. En ces temps de grand repli sur soi, l’Europe est une réalité palpable pour des millions de voyageurs, pour les milliers d’étudiants bénéficiaires du programme Erasmus, pour tous celles et ceux qui veulent y étudier ou y travailler au-delà leurs frontières nationales. Le tourisme, industrie non délocalisable par excellence, représente plus de 4% du PIB de l’UE et plus de 5% de sa population active (soit quelque 12 millions d’emplois). Les principales destinations de l’Union sont l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Italie et la France.

En bref

Quoiqu’en disent les plus sceptiques, l’Union Européenne a fait beaucoup pour ses citoyens et a permis un déploiement économique sans précédent. L’euro rencontre une très large adhésion au quotidien comme sur les marchés. Il représente près de 15% des réserves de changes du monde (plus de 80% pour les pays de l’Union Européenne hors euro) et s’impose comme le garant d’une zone économique de stabilité et d’un état de droit puissant. Un projet d’une telle envergure n’est pas sans failles, ni sans aléas. Les critiques, souvent justes et méritées, ne devraient pas pour autant masquer les opportunités qui s’offrent aux investisseurs.
Et puis rappelons que l’attachement des citoyens de la zone à l’euro à leur monnaie force les eurosceptiques à mettre de côté leurs stratégies de sortie.

 

1 Voir l'article «Un tandem à la hauteur des enjeux», 9 juillet 2019

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