Corée: dur, dur, d’être un bébé… fille

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Le taux de natalité dégringole en Corée. Plus encore que le Japon, la Corée est confrontée à un vieillissement accéléré et au déclin de sa population.

C’est bien connu, les enfants sont la richesse des pauvres. A contrario, l’enrichissement tend à réduire le nombre des naissances, d’autant que l’espérance de vie à la naissance s’allonge considérablement. Malthusianisme bourgeois, le phénomène est commun à tous les peuples. Mais en Corée, il a pris un tour particulièrement inquiétant. Le taux de fécondité du pays est tombé à 0,98 enfant par femme. Rappelons que le taux de renouvellement des générations – hors apport migratoire – est de plus de 2. En France le taux de fécondité était encore de 1,87 en 2018, il ralentissait à 1,43 au Japon, et 1,2 à Singapour.

Cette tendance va s’aggravant, car les femmes ont leur premier enfant de plus en plus tard – 30% d’entre elles après 35 ans. Un fait commun à toute l’Asie, qui entraîne des perspectives de vieillissement accéléré de la population, d’autant que la réduction des naissances s’est accompagnée d’un véritable eugénisme à l’encontre des filles, provoquant un déséquilibre massif des sexes à la naissance en faveur des garçons. Rien qu’en Corée du Sud, et selon une étude publiée cette année1,  le manque cumulé de naissances de filles depuis 1970 atteindrait 155’000. La préférence pour les garçons a fait des dégâts, et pas seulement en Inde et en Chine, où le phénomène est particulièrement criant.

La modernisation de l’économie
n’a pas fait évoluer assez les mentalités.

Les enquêtes montrent de façon alarmante que les jeunes Coréens, ne veulent plus d’enfant. Chez les garçons la vasectomie devient une pratique courante (d’autant que l’avortement y est encore illégal, une situation que vient de condamner la Cour Constitutionnelle du pays). Près de 80% des jeunes femmes disent ne pas vouloir avoir d’enfant. Dans cette société considérée comme très patriarcale, le mariage, la famille, n’ont plus la cote. Evolution et libération des mœurs, craintes économiques, les raisons principales de ce rejet tiennent au coût de la vie, aux frais de maternité et d’éducation, aux salaires trop bas ou aux emplois instables, et bien sûr au manque de logement approprié. Pire encore, un quart des femmes interrogées ne veulent pas d’enfant car elles considèrent qu’ils ne peuvent vivre heureux dans la société coréenne.

On aurait pu croire que ces enfants si rares et si précieux étaient choyés. Mais tragiquement, le taux très élevé de suicides des adolescents tend à démontrer que leur vie n’est pas si facile. Parmi les raisons avancées, les chercheurs attribuent une forte influence au fait que le faible nombre d’enfants par famille fait peser sur leurs épaules de trop lourdes attentes. Hantise de l’échec scolaire: dans une société qui survalorise la réussite scolaire, la pression familiale souvent portée sur un seul individu conduit les jeunes à se supprimer plutôt qu’à décevoir.

Les conditions de vie économiques de la classe moyenne jouent un rôle majeur. Le rôle de la femme et sa place dans le monde du travail aussi. La modernisation de l’économie n’a pas fait évoluer assez les mentalités. Sociétés fortement patriarcales, qui surinvestissent et survalorisent la réussite masculine et elle seule, car c’est de l’homme que dépendra le foyer, ne laisse qu’une place bien médiocre aux femmes, et rien n’est fait pour les aider à concilier leurs vies professionnelles et leur vie de famille. Beaucoup témoignent encore d’avoir été forcées à quitter leur travail après le mariage, ou à l’arrivée de leur premier enfant.

Pour nombre de femmes, travailler
ou materner, il faut choisir!

Congés maternités, prise en charge des enfants par la crèche et l’école, contraintes professionnelles, pour nombre de femmes, travailler ou materner, il faut choisir! On se souvient au Japon des proclamations de Shinzo Abe pour inciter à embaucher des femmes. Le Japon comme la Corée connaissent un taux record d’activité des femmes. Mais à quels postes et pour quels revenus? Les courbes d’activités sont encore nettement façonnées en M, hausse après les études, abandon pour s’occuper des enfants, reprise après qu’ils ont quitté le nid, à moindre salaire et pour des fonctions subalternes, cela va de soi.

Ces pays sont donc sur le chemin du dépeuplement. Comment maintenir un rythme de croissance adéquat? Quel avenir pour les plus âgés dont la longévité fait envie?  Le gouvernement commence à réagir en accroissant les budgets publics en faveur de crèches et d’écoles notamment. Mais ce sont toutes les mentalités et les pratiques qu’il faut adapter pour de bon. La politique familiale ne concerne pas seulement l’Etat. Saluons donc l’initiative de la maison Kering qui vient d’annoncer qu’elle étendait à tous ses salariés son congé parental payé de 14 semaines pour la naissance ou l’adoption d’un enfant. Un remarquable effort pour un groupe qui compte 60% de femmes dans ses effectifs totaux dont 51% de managers.

Sécurisation des parcours professionnels, aide financière et matérielle dans l’éducation des enfants, reste aussi à voir les pères «autorisés» à prendre et assumer leur part et le bonheur de s’occuper des enfants. Les nouvelles générations y sont plus enclines.

 

1 Fengging Chao, Patrick Gerland, Alex r. Coook, Leontine Alkema: “Systemetic assessement of the sex ratio at birth for all countries and estimation of national imbalances and regional reference levels” in Proceedings of the National Academy of Sciences PNAS, 15 avril 2019.

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