2024, la meilleure année de l’histoire du progrès

Emmanuel Garessus

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Le progrès paraît s’accélérer sous la plupart de ses dimensions, en dépit des conflits et des incertitudes politiques. Mais l’écart entre les Etats-Unis et l’Europe s’agrandit.

Le meilleur des mondes possibles paraît à portée de main. Le critère est, ici, multi-dimensionnel puisqu’il porte sur les conditions de vie économiques, financières, médicales et sociales. C’est la question du progrès, dont il est question.

Les dernières tendances conjoncturelles sont plus favorables qu’on ne le dit. Les Etats-Unis évitent le risque de récession, comme l’ont montré à nouveau les statistiques de l’emploi publiées vendredi (créations de 353'000 emplois en janvier), comme celui d’une surchauffe de la demande qui mettrait fin aux espoirs de baisse de l’inflation et des taux d’intérêt. 

Les chiffres de l’emploi américain méritent que l’on s’y attarde: La hausse des salaires horaires américains s’accélère à 4,5% en janvier (4,1% en décembre). Mais comme elle accompagne une hausse de la productivité, personne ne doit craindre un rebond inflationniste issu du marché du travail. C’est une excellente nouvelle pour la première économie du monde, et par ricochet, pour l’économie mondiale. Cela réduit aussi les craintes d’une remontée des taux d’intérêt et ses effets négatifs sur les marchés financiers. Dans sa dernière édition, le magazine The Economist se demandait: «Est-ce que les salaires augmentent trop vite?». Il s’inquiétait en particulier de la faible hausse de la productivité. Compte tenu de ce dernier élément, dans les pays riches «un objectif d’inflation de 2% ne peut probablement être atteint que si la hausse des salaires nominaux n’excède pas 3%». L’hypothèse d’une productivité stagnante est donc remise en question, au moins aux Etats-Unis. Ce qui alimente les perspectives d’une plus forte croissance économique. 

Au-delà des disruptions qu’on amené Apple ou Google, le progrès est avant tout le fait d’innombrables petites avancées dans la vie quotidienne.

Hausse des investissements privés et publics

Cette heureuse accélération de la productivité américaine est atypique à ce moment du cycle, comme le montre le professeur Christian Weller, de l’Université du Massachusetts, dans le magazine Forbes. Pour ce dernier la hausse de la productivité ne facilite pas seulement la tâche des banques centrales à l’égard de l’inflation, elle allège aussi les problèmes liés au vieillissement démographique.

Le phénomène paraît durable. La productivité s’accélère depuis 5 trimestres (+3,2% au dernier trimestre 2023), note Forbes. Les ingrédients de cette amélioration sont multiples. Christian Weller cite naturellement les premiers effets des nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle, le Cloud et la recherche biomédicale. Il s’appuie aussi sur une hausse de l’investissement tant public que privé américain. L’Etat américain, certes toujours plus protectionniste, même à l’égard de ses alliés européens, a investi dans ses infrastructures et facilité l’émergence de nouveaux équipements, à travers l’Infrastructure Investment Job et l’Inflation Reduction Act. La hausse des dépenses publiques a certes creusé les déficits, mais, à l’inverse de l’Europe, elle ne s’est pas concentrée sur les programmes de redistribution. 

L’optimisme est pourtant un sentiment fort peu répandu. Et pas uniquement en Europe. Quatre Américains sur dix pensent que le réchauffement climatique conduira à l’extinction de l’humanité, note Maarten Boudry, dans un article du Discourse Magazine.

Il est difficile d’écouter un débat économique sans entendre parler de crise, qu’elle soit politique, écologique, migratoire, agricole ou autre.

Les chiffres du progrès

Pour sortir de cette sinistrose, il n’y a rien de tel que d’adopter une approche factuelle et à long terme. Telle est l’idée adoptée par le projet HumanProgress.org, soutenu par le Cato Institute, la John Templeton Foundation et le Searle Freedom Trust. Son analyse définit le progrès comme une avancée, une amélioration, une croissance en termes non seulement de prospérité économique, mais aussi d’espérance de vie, d’éducation, de santé. 

Ce travail de recherche montre que, sur le plan mondial, le progrès est incontestable s’il est mesuré sur 50 ans. La mortalité infantile mondiale était par exemple 3,5 fois plus élevée en 1973 qu’aujourd’hui et en 1923 elle était 9 fois plus élevé. L’extrême pauvreté est aussi en recul. Elle a tellement chuté dans le monde qu’elle est passée pour la première fois en dessous d’une personne sur 10, après avoir touché 9 personnes sur 10 à l’aube de la révolution industrielle. 

Il est temps de remettre en question l’idée selon laquelle «c’était mieux avant». La nostalgie est une source d’erreurs majeures, notamment en économie. Le magazine Reason parle de faillite de la «Nostalgianomics». Il montre à quel point les ménages américains sont, grâce au progrès technique, plus riches que dans les années 1960: Le taux de propriétaires de maisons n’a qu’à peine progressé (66% contre 62% à l’époque), mais il y a 60 ans, les maisons étaient un quart plus petites et,  surtout, elles ne disposaient pas des équipements standards d’aujourd’hui en termes de chauffage, de nettoyage et de confort, sans parler des gains liés à la numérisation. De même, il y a 2 fois plus de propriétaires de voitures, mais ces dernières sont davantage définies par leur contenu numérique que par leur taille.

La mortalité infantile mondiale était par exemple 3,5 fois plus élevée en 1973 qu’aujourd’hui et en 1923 elle était 9 fois plus élevé.

Au-delà des disruptions qu’on amené Apple ou Google, le progrès est avant tout le fait d’innombrables petites avancées dans la vie quotidienne, indique Donald Boudreaux, chercheur à l’American Institute for Economic Research, dans un article sur ce qu’il appelle l’«Unseen Innovation». Il y souligne la multiplication de nouveaux articles de vente dans les supermarchés, comme les nouvelles apps sur les smartphones, ou encore les améliorations dans les installations sanitaires. Les progrès sont parfois minuscules, mais leur addition contribue au confort. 

Les effets négatifs du changement climatique sont incontestés, mais l’innovation peut protéger les populations d’une partie d’entre eux, note Maarten Boudry. Lors d’une catastrophe naturelle, le nombre de décès par million de personnes a chuté d’un facteur 100 en un siècle. L’innovation y joue un rôle clé. Lee Kuan Yew, le fondateur de Singapour, interrogé sur ce qui a rendu possible le miracle économique de son pays (le PIB par habitant est 65% supérieur aux Etats-Unis), il a répondu «l’air conditionné». Pour HumanProgress.org et Maarten Boudry, «dans tout bras de fer entre le climat et l'ingéniosité humaine, vous seriez bien avisé de parier sur cette dernière. Au cours des cinquante dernières années, les engrais artificiels, l'irrigation, les modifications génétiques et la mécanisation des récoltes ont rendu l'agriculture beaucoup plus résistante aux conditions météorologiques extrêmes, quadruplant la production alimentaire mondiale alors même que la Terre se réchauffait de 1,2 degré Celsius.»  Maarten Boudry conclut que «le meilleur moment de l’histoire pour mettre un enfant au monde, c’est 2024». La résilience et l’ingéniosité n'ont jamais été aussi grandes.

L’écart massif entre les Etats-Unis et l’Europe

L’innovation et la productivité ne progressent toutefois pas au même rythme au sein des économies. La stagnation dont souffrent l’Europe et la perte de dynamisme de la Chine contrastent avec la croissance américaine. L’économiste Greg Ip juge, dans le Wall Street Journal, que «l’Europe  se hisse à la dernière place en raison de ses réglementations». Des fusions et acquisitions aux émissions de carbone en passant par la protection des données et dorénavant l’intelligence artificielle, l’Europe crée un cadre réglementaire qui la met elle-même hors-jeu. 

La question porte sur le mode de réglementation. L’Europe accorde la priorité à une concurrence qui conduit à de bas prix de consommation mais qui pénalise les entreprises et leur volonté d’investir. L’économiste Christian Saint-Etienne ajoutait sur CNews que la réglementation européenne fonctionne par des interdits et des taxes alors que l’américaine privilégie les incitations. 

Pour Greg Ip, «les autorités de régulation américaines ne sont pas vraiment des adeptes de la non-intervention. Néanmoins, elles ont tendance à agir sur la base de preuves d'un préjudice, alors que les régulateurs européens agissent sur la base d'une simple possibilité.». Ce handicap devient insurmontable s’il s’ajoute à d’autres problèmes, comme les coûts de l’énergie et une fiscalité très lourde. Une étude du McKinsey Global Institute, cotée par Greg Ip, révèle que les grandes entreprises américaines (de plus d’un milliard de dollars)  dépensent 80% de plus en recherches et développement et profitent d’un rendement des fonds propres de 30% supérieurs. 

Le constat du décrochage économique de l’Europe devrait provoquer un changement de logiciel et permettre à l’Europe d’également profiter d’une hausse de la productivité. Les sources du progrès sont connues. Elles sont à chercher au sein des individus et des entreprises.

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