Un goût de bulle spéculative sur le MSCI World

Emmanuel Garessus

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Tandis que la pondération de la tech et du marché américain ne cessent de grimper dans le MSCI World, le risque de concentration réel de cet indice est l’objet d’une étude de PPCmetrics.

Les marchés financiers sont souvent décriés. Mais leurs prix, fruits des anticipations à long terme, et leurs tendances sont riches d’enseignements. En ce début 2024, un double phénomène émerge d’une étude du consultant PPCmetrics sur l’indice MSCI World. de concentration. 

Car si chacun sait que les valeurs technologiques prennent de plus en plus de place dans les indices, donc dans les portefeuilles, et que les titres américains surperforment, faut-il y voir une double bulle spéculative? L’investissement dans un indice aussi large que le MSCI World assure-t-il une diversification des risques suffisante? Existe-t-il des alternatives satisfaisantes?

La tech est le seul secteur à briller depuis plusieurs mois. Son poids a franchit la barre des 30% de l’indice S&P 500 pour la première fois … depuis l’an 2000, selon John Plassard, spécialiste en investissements de la Banque Mirabaud. L’agence Bloomberg parle de similitudes croissantes avec la bulle internet. 

La plupart des professionnels balaient toutefois l’idée d’une telle comparaison parce que les gains  boursiers actuels reposent sur une hausse bien réelle des bénéfices et non pas sur les espoirs de revenus de sociétés encore dans les chiffres rouges. Certes, mais les règles de diversification des portefeuilles sont-elles mises à mal par la tech?

Cinq titres font 16,4% du MSCI World

En se concentrant sur l’indice MSCI World, PPCmetrics se penche sur la capitalisation boursière mondiale, son risque de concentration et ses implications pour les investisseurs. Quelques chiffres font craindre un réel problème. Cinq titres représentent aujourd’hui 16,4% de l’indice MSCI World et dix titres 21,3% de cet indice mondial. Cet indice pondéré en fonction de la capitalisation boursière regroupe 1480 actions de 23 pays industrialisés. Le marché suisse est toutefois encore plus concentré puisque cinq valeurs représentent 51,6% de l’indice SPI et 10 titres 66,9%.

En 20 ans, la pondération des titres américains dans l’indice MSCI World est passée de 53 à 68%.

La composition sectorielle semble axée sus la tech depuis des lustres. Pourtant le Top 10 change pourtant complètement d’une décennie à l’autre. A la fin 2023, 8 actions du Top 10 mondial sont issues de la tech et deux seulement ne le sont pas (JP Morgan et UnitedHealth). Il y a 20 ans, le Top 10 était dominé par l’énergie pétrolière et les banques. Les seuls représentants de la tech étaient Microsoft et Vodafone.

S’il est hors de question de se priver des gagnants de la cote la question porte sur la bonne mesure du degré de concentration d’un portefeuille. Un ratio permet de le déterminer, selon PPCmetrics. Il s’agit de celui qui définit le «nombre effectif» d’actions.
Ce ratio est calculé en convertissant le nombre d’actions d’un portefeuille concentré en nombre d’actions d’un portefeuille à pondération égale. Si le portefeuille comprend 10 actions et qu’une action représente 50% de la pondération tandis que les autres titres ont une pondération égale, le portefeuille se composera de 3,6 actions effectives. Par contre si les 10 actions du portefeuille ont la même pondération, ce dernier contiendra10 actions effectives.

Le MSCI World comprend 143 actions «effectives»

Entre 2004 et 2018, la concentration des 10 plus grands titres de l’indice MSCI World est demeurée très stable, selon l’étude. Elle a par contre nettement augmenté depuis 2020. En effet l’indice MSCI World est actuellement composé de 143 actions effectives (soit 9,6% des actions de l’indice), contre 237 en 2022, 456 en 2018 et 727 en 2010. Malgré cette concentration croissante, l’indice MSCI World demeure «largement diversifié», aux yeux de PPCmetrics. Il l’est par exemple davantage que le SPI. Au cours des 20 dernières années, la part du secteur technologique est passée de 9 à 23% dans l’indice MSCI World alors que la finance est passée de 19 à 15%.
Les professionnels séparent souvent le marché entre les sept magnifiques et les autres. De fait, depuis 2020, la contribution à la performance des 5 plus grands titres du MSCI World se situe entre 21 et 48%.

Le 2e risque de concentration illustre l’accélération des bénéfices des entreprises américaines. 

Cinq titres représentent aujourd’hui 16,4% de l’indice MSCI World et dix titres 21,3%.

La puissance américaine est écrasante. En 20 ans, la pondération des titres américains dans l’indice MSCI World est passée de 53 à 68%. En clair, le reste du monde vaut moins d’un tiers de toutes les entreprises du monde. Entre 1985 et 1997, elle se situait entre 28 et 40%. Et entre 1945 et 1985, la fourchette allait de 50 à 70%.

L’essayiste Renaud Girard estime, met en avant, dans un article pour Le Figaro, deux raisons principales à la puissance américaine: Premièrement, «le Vieux Continent a complètement raté la révolution numérique». Et «la seconde raison est que ni l’État fédéral, ni les États fédérés n’inhibent l’esprit d’entreprendre à force de réglementations.»

Pour PPCmetrics, l’investisseur n’a guère de raison de s’inquiéter de cette concentration accrue. Le MSCI World reste largement diversifié.  Le consultant propose toutefois comme alternative une pondération alternative des composants de l’indice, à travers des stratégies avec pondération égale (qui conduit à une surpondération des small caps), une pondération par le PIB (qui conduit à une surpondération de l’Europe par rapport aux Etats-Unis) et une pondération «Risk Weighted» (sous-pondération des Etats-Unis et de la tech). Sur les 5 dernières années comme depuis 2005, le MSCI World a surperformé les stratégies alternatives, observe PPCmetrics. De plus, la mise en oeuvre des stratégies alternatives ajoute un degré supplémentaire de complexité. 

Plutôt qu’une gestion passive, il est aussi possible de proposer la mise en oeuvre d’une gestion active internationale. L’étude  montre que le degré de concentration est alors inférieur à celui du MSCI World, mais le pari sur les grandes valeurs est plus faible. Plus le nombre d’actions dans le portefeuille des gérants actifs est faible, plus le tracking error historique (risque actif) est élevé. En conclusion le MSCI World a encore de beaux jours devant lui. 

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