LPP: moment inapproprié pour le vote de la réforme?

Emmanuel Garessus

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La pression à la baisse du taux de conversion a diminué, selon Quentin Costa, de PPCmetrics.

Les caisses de pension ont pu restaurer une partie de leurs réserves au premier semestre. L’indice UBS des caisses de pension s’est par exemple accru de 3,51% depuis le début de l’année. Quentin Costa, actuaire auprès de PPCmetrics, répond aux questions d’Allnews sur les prochains défis des institutions de prévoyance:

Malgré la hausse des marchés cette année, pourquoi le degré de couverture économique calculé par PPCmetrics est-il en baisse depuis le début de l’année?

Le «PPCmetrics Pension Ticker» est un indicateur présentant une estimation de la performance et des degrés de couverture des caisses de pension suisses. La performance au 12 juillet est en hausse de 3,7% pour les caisses de pension. Le degré de couverture technique moyen progresse de 2,9 points à 109,5%. En revanche, si le regard se porte sur le degré de couverture économique, y compris les prestations promises, celui-ci est en recul, en moyenne, de 0,6 point à 105,3%. Le recul du degré de couverture économique traduit la baisse des taux sans risque depuis le début de l’année, mesurés par le rendement des obligations de la Confédération (p. ex. de 1,5 à 1% pour le taux à 10 ans).

La différence entre le degré de couverture technique et le degré de couverture économique s’est fortement réduite parce que beaucoup de caisses de pension utilisent un taux technique (1,5% à 2%) proche des taux du marché (1% à 1,5%). Certaines caisses de pension ont même relevé leur taux technique à la fin de l’année 2022. A ce propos, selon nos statistiques, environ 20% des institutions de prévoyance de droit privé ont augmenté leur taux technique.

Est-ce que vous conseillez d’augmenter le taux technique?

La décision est étroitement liée à la situation financière et démographique de chaque caisse de pension, mais globalement les institutions présentant un taux technique inférieur à 1,5% pourraient réfléchir à le relever.  Par contre, il appartient à chacune de déterminer le taux de conversion le mieux adapté à son profil, indépendamment du taux technique. Par exemple, certaines caisses utilisent un taux technique de 1,5%, voire même inférieur, pour évaluer leurs engagements, mais maintiennent un taux de conversion supérieur à 6%.

Est-ce que vous observez un changement de tendance sur la direction du taux de conversion?

La tendance ne s’est pas encore inversée, mais j’observe que de moins en moins de caisses de pensions envisagent une diminution supplémentaire du taux de conversion. La pression en faveur d’une baisse a diminué en raison de la hausse récente des taux d’intérêt.

Un grand nombre de caisses de pensions entend davantage rémunérer les assurés.
Est-ce indépendant du contexte politique et de la prochaine votation sur le 2e pilier?

Tout à fait. Nous pouvons même nous poser la question du timing d’une votation sur la baisse du taux de conversion minimal. La pression s’est significativement atténuée. Nous avons tant attendu pour préparer et mettre en place une nouvelle loi que la situation économique a évolué. Les taux d’intérêt ne sont plus négatifs. Je ne souhaite pas me prononcer sur le projet mis en votation. Je note néanmoins que la question du taux de conversion minimal n’est pas le seul élément du projet de loi.

Le pourcentage d’assurés pris en compte par la baisse du taux de conversion n’est-il pas limité à 10%?

En effet, seule une minorité d’assurés serait directement impactée par une baisse du taux de conversion minimal.

Les résultats de 2022 ont souligné la vulnérabilité de plusieurs institutions. En quoi la performance favorable des placements au premier semestre 2023 modifiera les prochaines décisions des Conseils de fondation et les incitera à s’interroger sur de nouveaux sujets?

Certaines institutions n’avaient pas suffisamment de réserve pour fluctuations de valeurs pour encaisser le choc de 2022. Elles doivent dorénavant reconstituer leurs réserves avant de parler d’autres sujets.

La bonne nouvelle est qu’une grande partie des institutions détenaient suffisamment de réserves qu’elles avaient notamment constituées lors de la très bonne année financière 2021. De nombreux Conseils de fondation discutent dorénavant de la thématique de l’inflation et de la meilleure manière de la compenser. Il s’agit de distribuer davantage que le taux minimal LPP de 1%. Certaines caisses envisagent également de distribuer un supplément de rente pour compenser l’inflation.

Quelle est la réponse des caisses de pensions à la hausse de l’inflation et à sa compensation?

Un grand nombre de caisses de pensions entend davantage rémunérer les assurés. Elles en ont, du reste, les moyens. Plutôt que de distribuer les 1% du taux minimal, elles ambitionnent de verser des intérêts de 2%, voire 2.5%.

L’attribution de la performance est discutée en fonction du taux de conversion de chaque caisse et de son évolution passée. Les institutions qui avaient octroyé un taux de conversion plutôt élevé vont d’abord rémunérer les assurés actifs, alors que celles qui l’avait nettement réduit réfléchiront à distribuer une partie des gains aux rentiers, notamment en faveur des générations ayant obtenu les taux de conversion les moins favorables.

Il est aussi important de rappeler que les taux de conversion sont restés longtemps trop élevés d’un point de vue actuariel et que l’écart a généralement bénéficié aux rentiers. Chaque situation doit être considérée au cas par cas.

Sur le plan des placements, est-ce que les premières fissures qui apparaissent sur le marché immobilier, où se trouve un tiers de leurs placements, amènent les institutions à de nouvelles réflexions?

L’immigration et la demande soutenue de logements limitent l’impact de la hausse des taux sur la valorisation de l’immobilier résidentiel. Quiconque dispose d’un grand parc immobilier bien diversifié et bien situé ne rencontrera guère de problèmes à long terme, même si une baisse des valorisations liée à la hausse du taux d’escompte pourrait intervenir à court terme. Cet effet négatif est néanmoins compensé par une hausse des revenus locatifs provenant de la hausse de l’inflation ou du taux de référence hypothécaire. L’immobilier de rendement reste ainsi une classe d’actifs attractive.

Par contre, la situation de l’immobilier international est plus incertaine compte tenu des valorisations plus fortement en baisse en raison de la hausse plus marquée qu’en Suisse des taux nominaux.

Si les taux à 10 ans ont baissé à nouveau en Suisse à 1% au premier semestre 2023, est-ce que les caisses de pensions se préparent à des taux d’intérêt à long terme au-dessus de 2%?

Les caisses de pensions suivent, majoritairement, une approche neutre en termes de duration des obligations. Du point de vue des placements, une duration plus courte serait pertinente en cas de hausse de taux. Cependant, en considérant une approche bilantielle, une hausse des taux engendre une diminution de la valeur des engagements d’une caisse de pension. Théoriquement, si le risque de taux à l’actif et au passif du bilan est similaire, l’impact d’une hausse de taux sur le degré de couverture est nul.

Seule une étude ALM permet à une caisse de pension de répondre à ces questions et de définir de manière optimale son portefeuille obligataire et son exposition au risque de taux.

Avec la fin des taux négatifs, certaines caisses de pension présentant une forte proportion de rentiers mettent en place des stratégies de «liability hedging» pour s’immuniser contre les futures fluctuations de taux. De plus, les institutions sont aussi tentées de revoir les investissements en obligations d’entreprises et des pays émergents qu’elles avaient renforcés lors de la période de taux négatifs.

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