Les «Granolas» ont l’avantage de leur stabilité sur la durée

Yves Hulmann

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La performance des 11 valeurs phares européennes entre janvier 2021 et début 2024 a été aussi élevée que celle des «7 magnifiques», observe Ilga Haubelt de Fidelity International.

Au début du deuxième trimestre, beaucoup d’investisseurs s’interrogent sur la poursuite de l’évolution des marchés durant le reste de l’année 2024. Faut-il privilégier les actions ou d’autres catégories de titres? Comment se comparent les actions européennes par rapport aux valeurs américaines? Pour évaluer ces questions, Fidelity International dispose d’une équipe d’environ 150 analystes spécialisés dans la recherche actions répartis à travers le monde, dont près de 40 uniquement en ce qui concerne l’Europe. Entretien avec Ilga Haubelt, Head of Equities Europe chez Fidelity International, en marge d’une conférence dédiée à la recherche actions qui s’est tenue en mars à Zurich.

On oppose parfois l’analyse des données fondamentales avec celle du sentiment qui prévaut sur les marchés. Comment analyseriez-vous ces deux aspects actuellement?

Depuis l’automne 2023, les marchés sont en hausse. Nous avons pu mesurer cela via une étude que nous réalisons chaque année avec nos analystes («Fidelity analyst survey»), qui indique clairement une hausse depuis décembre 2023, alors qu’il avait évolué en territoire légèrement négatif pendant une grande partie de 2023.

«Nous avons écarté le scénario d’une récession et avons même remis en question le scénario d’un atterrissage en douceur.»

Par ailleurs, si l’on tient compte des indicateurs de coûts, l’indice mesurant les coûts totaux du travail s’est maintenu à un niveau relativement élevé en 2023 et jusqu’au début de 2024. En revanche, l’indice qui mesure les coûts non liés au travail a, lui, constamment diminué depuis le milieu de l’année 2022. Ainsi, les salaires se maintiennent à un niveau élevé et plutôt stable. On constate également une dynamique positive sur les marchés financiers en ce moment avec des risques plutôt modérés. Plusieurs thèmes porteurs comme l’intelligence artificielle (IA) ou certains segments du secteur pharmaceutique animent les marchés. Nous avons ainsi écarté le scénario d’une récession et avons même remis en question le scénario d’un atterrissage en douceur («soft landing»).

Pour les investisseurs en actions, cela ne se traduit-il pas par un risque de surchauffe actuellement?

C’est effectivement un risque qui ne peut pas être sous-estimé. Nous constatons en effet que, si le prix d’achat élevé de certains marchés généré principalement par certains secteurs ou valeurs dont les «7 magnifiques» s’agissant de la bourse américaine, cela peut également créer des opportunités. Si l’on observe aux Etats-Unis les valorisations sur la base des multiples de bénéfices des actions incluses dans le S&P 500, on constate un ratio cours/bénéfices moyen d’environ 20 à un horizon de douze mois. C’est historiquement plutôt élevé. Il faut en effet remonter jusqu’à 2021 pour retrouver un ratio aussi élevé sur les dix dernières années. Si l’on observe le même ratio pour les moyennes capitalisations («mid caps») regroupées dans l’indice S&P 400 ou les petites capitalisations («small caps») de l’indice S&P 600, celui-ci se situe aux environs de 15. Cela est intéressant car pendant toute la période allant de la sortie de la crise financière à 2017, nous nous trouvions dans une situation inverse: les petites et moyennes capitalisations se traitaient alors avec des multiples plus élevés que les grandes capitalisations. Un tel écart de valorisation n’a pratiquement jamais été observé et cela ouvre ainsi des perspectives intéressantes pour les petites et moyennes capitalisations. En outre, une possible reprise des activités de fusions et acquisitions et les opérations de rachat des fonds de private equity sont autant de facteurs qui peuvent soutenir les valorisations des petites et moyennes capitalisations.

«En Europe, il n’existe pas un effet de concentration de performance aussi marqué qu’outre-Atlantique avec les ‘7 magnifiques’.»

En Europe, on n’observe pas de tels écarts de valorisations entre, d’un côté, les petites et moyennes capitalisations et, de l’autre, les 200 titres affichant les capitalisations les plus élevées. Cela signifie-t-il que les actions européennes sont, dans leur ensemble, valorisées de façon plus raisonnable?

Effectivement, en Europe, il n’existe pas un effet de concentration de performance aussi marqué qu’outre-Atlantique avec les «7 magnifiques» - même si cette année, on pourrait plutôt parler des «4 magnifiques», à savoir NVIDA, Meta, Amazon et Microsoft. Toutefois, il faut aussi reconnaitre que la performance des actions européennes a également été tirée vers le haut ces derniers mois par une poignée de titres.

De quels titres européens s’agit-il?

Un acronyme a même été créé pour les désigner, celui des «Granolas», à savoir GSK, Roche, ASML, Nestlé, Novartis, Novo Nordisk, L’Oréal, LVMH, AstraZeneca, SAP et Sanofi. Et si l’on observe la performance affichée par les «Granolas» depuis janvier 2021 jusqu’au début de 2024, on constate que ces 11 actions ont en fait autant progressé que les «7 magnifiques».

Les «Granolas» sont-elles autant exposées à une correction que les «7 magnifiques»?

Il y a une différence importante entre ces deux groupes de titres: les «Granolas» ont connu une évolution beaucoup plus stable sur la durée, ce qui est un facteur positif. En outre, les secteurs d’activité sont un peu plus diversifiés. De plus, il s’agit principalement d’entreprises qui ont une position très globale et qui dépendent moins de la seule conjoncture en Europe.

«L’immobilier et l’industrie devraient connaître les plus fortes améliorations au cours des 12 prochains mois.»

Y a-t-il des secteurs qui vous paraissent intéressant à suivre actuellement?

D’après notre enquête publiée en février, il ressort que les analystes s’attendent à ce que la plupart des secteurs connaissent une amélioration au cours des 12 prochains mois. Parmi ces secteurs, l’immobilier et l’industrie devraient connaître les plus fortes améliorations. Le secteur immobilier est en effet dans une situation complexe: en Chine cela reste compliqué, mais aux Etats-Unis, il y a un potentiel de stabilisation pour l’immobilier commercial. Et lorsque des baisses de taux seront annoncées par les banques centrales, cela constituera aussi une bouffée d’oxygène pour le secteur de l’immobilier dans de nombreux pays, y compris aussi en Allemagne qui a souffert des taux plus élevés au cours des deux dernières années.

Quant à l’industrie, ce secteur devrait connaitre une dynamique positive grâce notamment à la tendance à la relocalisation de certaines activités aux Etats-Unis ou en Europe, ainsi qu’aux progrès réalisés dans l’automation.

En matière de politique monétaire, les premières baisses de taux attendues de la part des banques centrales devraient-elles soutenir les marchés tout au long de l’année ou ce scénario de réduction des taux est-il déjà intégré dans les cours?

Au-delà de la question de savoir si la baisse des taux sera de 50, 75 ou 100 points de base, un risque potentiel serait que l’on assiste à des reports successifs des annonces de premières réductions des taux. Il pourrait y avoir différentes raisons à cela, par exemple en cas de ré-accélération de l’inflation. De tels reports peuvent être un facteur de volatilité sur les marchés.  

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