Démocratisation du Private Equity: décryptage et opportunités

Nicolas Macquin, Archinvest

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L’accès des investisseurs privés au Private Equity est porteur de nombreuses opportunités, mais aussi de plusieurs défis pour toute l’industrie financière.

 

Longtemps cantonné à une clientèle institutionnelle ou ultrafortunée, le Private Equity a été réservé à des investisseurs de long terme privilégiant la performance aux dépends de la liquidité. Historiquement, les clients des fonds de private equity (les fameux «Limited Partners ou LPs») sont des des grands fonds de pension, des banques, des assureurs, ou des fonds souverains ainsi que certains family offices, accompagnés de leurs banques privées et leurs tiers gérants.

Le Private Equity connaît depuis quelques années un processus de «démocratisation» progressive vers les investisseurs privés, catalysé par l’évolution réglementaire, la pression sur les rendements traditionnels et l’innovation technologique des nouvelle plateformes de distribution.

L’émergence de fonds «feeder» mutualisés, permet aujourd’hui à des investisseurs non professionnels d’accéder à des fonds de premier plan avec des tickets d’investissement réduits et bien inférieurs aux montants minima demandés aux investisseurs institutionnels.

Cadre réglementaire: vers une ouverture contrôlée?

L’adoption de la réglementation ELTIF 2.0 (pour «European Long Term Investment Funds») en janvier 2024 marque un tournant décisif dans cette évolution du secteur du non-coté. Selon la Commission européenne, l’encours sous gestion des ELTIFs pourrait dépasser 100 milliards d'euros d’ici 2030, contre moins de 10 Md€ en 20231.

Ce nouveau régime abaisse significativement les barrières à l’entrée pour les investisseurs particuliers: 1) Suppression du seuil de 10'000 euros minimum pour les investisseurs non professionnels, 2) Assouplissement des exigences de diversification (exposition à un seul actif possible jusqu’à 20%), 3) Élargissement du périmètre d’actifs éligibles (dette privée, actifs réels, infrastructure, etc.).

En parallèle, le développement de véhicules Evergreen semi-liquides, dotés de mécanismes de fenêtres de sortie ou de buy-back trimestriels, permet une forme de compromis entre rendement long terme et besoin ponctuel de liquidité.

Opportunités et défis pour les sociétés de gestion

Pour les équipe d’investissement en Private Equity (aussi connus sous le nom de «General Partners» – GPs), la démocratisation ouvre des relais de collecte face à la saturation relative du segment institutionnel, sans cannibaliser les stratégies historiques de levée de fonds.

Elle encourage également l’innovation dans la structuration de fonds thématiques hybrides millésimés, et appelle à un besoin accru de visibilité marketing vis-à-vis d’une clientèle protéiforme d’investisseurs ayant un patrimoine de 1 à 100 millions de dollars.

Cette révolution progressive au croisement du Private Equity et du Wealth Management va bousculer les habitudes de certains fonds et poussent vers un effort de standardisation (reporting, valorisation trimestrielle, etc.) et une industrialisation des fonctions de middle-office pour absorber des volumétries plus importantes.

En termes de performance, le TRI net médian des fonds PE européens à 10 ans ressort à 12,7 %, selon France Invest 20232, mais avec des écarts-types élevés selon les millésimes et stratégies. La question clé est donc celle de l’adaptation des produits «retail» sans altérer l’intégrité du modèle et de la performance des marchés non-cotés.

Vers une reconfiguration stratégique des allocations?

À l’échelle macro-économique, la démocratisation du Private Equity s’inscrit dans un changement de paradigme de l’allocation d’actifs. Selon le rapport de Deloitte «Retailisation of Private Markets: The next growth engine», les particuliers pourraient représenter 30 à 35% des flux vers les marchés privés d’ici 2030, contre moins de 10% actuellement.

Cette dynamique est encouragée par les autorités européennes dans le cadre de l’Union des marchés de capitaux, visant à canaliser l’épargne vers l’économie réelle, notamment les PME et les actifs de transition énergétique. La quête de sens des épargnants et le souhait de diriger leur épargne vers l’économie locale justifient une intégration croissante du Private Equity dans les portefeuilles.

La démocratisation du Private Equity n’est donc pas un simple effet de mode. C’est une transformation systémique, rendue possible par l’évolution du cadre réglementaire, la technologie et une nouvelle demande structurelle côté épargnants. Pour les acteurs du secteur, elle représente à la fois une opportunité de croissance et un test de robustesse opérationnelle avec l’arrivée prochaine de dizaine de milliers d’investisseurs privés.

 

1 European Commission – Regulation (EU) 2023/606 on ELTIFs, entrée en vigueur le 10 janvier 2024 

2 France Invest – Baromètre des perf. du capital-investissement, 2023 (TRI net à 10 ans 2012–2022)

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