Dans nos précédentes tribunes, nous avons vu que les investisseurs institutionnels se lancent dans le Private Equity, en investissant via des fonds de fonds, en recrutant une équipe d’investissement pour se bâtir leur propre portefeuille de fonds de Private Equity et pour les plus sophistiqués en ayant en plus un programme de co-investissements. Comprenons maintenant pourquoi les institutionnels s’engagent à long terme dans le Private Equity.
Les plus grands institutionnels et les familles les plus fortunées investissent tous les ans en Private Equity. Et ils ne font jamais de market timing, c'est-à-dire qu'ils ne choisissent pas d'investir sur tel millésime plutôt qu’un autre parce qu’ils penseraient que le marché serait meilleur sur une année donnée.
Ils évitent le market timing car ils veulent se désensibiliser du risque macroéconomique. Chaque millésime dure 10 ans et est donc exposé à plusieurs environnements macroéconomiques différents. Il est donc impossible de savoir quel millésime sera le meilleur. Ils ne choisissent donc pas un millésime plutôt qu'un autre, ils s’engagent dans tous les millésimes. De cette façon, ils vont capturer la surperformance du Private Equity à long terme par rapport aux marchés cotés plutôt que la performance d'une année ou d'une autre année.
La deuxième raison réside dans le fait qu’ils souhaitent réduire leur risque de change. Le risque de change sur un programme global se réduit significativement à long terme avec des appels en capital et des distributions chaque année.
Comment les institutionnels décident-ils des montants qu’ils doivent engager en Private Equity chaque année?
L'ennemi d'un portefeuille de Private Equity est le cash qui dort au bilan. Comme ils souhaitent avoir une exposition permanente à la classe d’actifs, les investisseurs institutionnels doivent en effet décider combien engager chaque année pour ne pas diminuer leur exposition. La clé repose donc dans la gestion du réemploi des distributions qu’ils reçoivent de leurs fonds et co-investissements en portefeuille. Un institutionnel a donc une équipe middle office - de trésoriers - qui se base sur des modèles de flux de trésorerie historiques pour anticiper au mieux les appels en capital et les distributions futures et calculer le niveau d'engagement idéal à prendre dans les fonds que lèvent leurs gérants pour maintenir leur exposition cible et pour toujours faire travailler leur capital de manière optimale.
Arrivent-ils à maintenir correctement leur exposition cible à la classe d’actifs?
Les institutionnels ont souvent du mal à piloter leur exposition à la classe d’actifs de manière optimale, et ce pour plusieurs raisons.
L’activité de fusions acquisitions et donc de transactions de fonds de Private Equity est cyclique. A titre d’exemple, les fonds de Private Equity ont beaucoup vendu durant les années 2019-2021, entraînant une forte réduction de l’exposition des institutionnels à la classe d’actifs. Cette situation n’a été que partiellement compensée par le fait que les gérants ont aussi beaucoup investi durant cette période. Ils ont dû revenir rapidement sur le marché des levées de fonds pour redemander du capital à leurs investisseurs qui se sont ré-engagés massivement pour réaugmenter leur exposition. Puis est arrivé 2022 et la forte hausse des taux, qui a augmenté le coût de financement en dette des opérations de LBO. Cela a tout d’abord gelé l’activité car les vendeurs avaient en tête les prix de 2021, alors que les acheteurs attendaient qu’une baisse des valorisations vienne compenser cette augmentation du coût de leur financement en dette LBO. Avec la baisse de valorisation qui a suivi, les gérants ont beaucoup moins vendu et donc les investisseurs ont, cette fois, reçu beaucoup moins de distributions que prévu dans leurs modèles. Le résultat est qu’ils sont surexposés au Private Equity et ils réduisent donc leurs engagements dans les millésimes actuels qui pourraient pourtant être de très bons millésimes.
Les effets dénominateurs et numérateurs
Beaucoup d’institutionnels sont sujets à deux effets connus dans l’industrie: l’effet dénominateur et l’effet numérateur, qui font qu’ils ne respectent plus leur limite maximum d’exposition au Private Equity. Le ratio d’exposition de l’institutionnel au Private Equity a au numérateur la valeur de son portefeuille de Private Equity et au dénominateur la valeur de tous ses actifs.
Illustrons avec l’exemple d’un institutionnel qui souhaite ou est contraint de manière réglementaire à avoir une exposition au Private Equity qui ne dépasse pas 10% de ses actifs. Si la valeur de son portefeuille investi en bourse s'écroule, la valeur du dénominateur de notre ratio d’exposition au Private Equity baisse et son portefeuille de Private Equity peut tout d'un coup représenter plus de 10% de ses actifs. C’est l’effet dénominateur. A ce moment-là, l'institutionnel va devoir réduire la taille de son portefeuille de Private Equity pour qu'il représente de nouveau moins de 10% de ses actifs. Il va donc soit essayer de vendre une part de son portefeuille de Private Equity au pire moment, puisque les valorisations auront baissé, ou réduire de manière significative ses engagements durant plusieurs années qui pourraient être de très bons millésimes. L’effet dénominateur est très connu dans l’industrie et représente une des raisons pour lesquelles des institutionnels sont passés à côté de très bons millésimes car une fois de plus, qui dit baisse de valorisation, dit souvent bon millésime.
Et l’effet numérateur?
Le numérateur, c’est-à-dire la valeur du portefeuille de Private Equity, augmente beaucoup plus que la valeur des autres actifs si bien que là encore l’institutionnel est surexposé au Private Equity. Cela a été un vrai problème au sortir de la crise du covid pour les institutionnels. Leur portefeuille de Private Equity a tellement bien performé pendant la crise du covid comparé aux autres classes d'actifs que la taille de leur portefeuille de Private equity est devenue trop grosse en % de tous leurs actifs.
Lire le premier épisode: Private Equity: comment les investisseurs institutionnels bâtissent leur portefeuille?
Lire le second épisode: Comment les institutionnels les plus sophistiqués investissent en Private Equity?