Le gouvernement espagnol a compliqué mardi l’OPA hostile du groupe BBVA sur son concurrent Sabadell, censée donner naissance à un géant bancaire européen, en imposant de strictes conditions empêchant toute fusion entre les deux entités durant au moins trois ans.
«Le Conseil des ministres a décidé d’autoriser l’opération», mais «à condition que les deux entités conservent pendant trois ans une personnalité juridique et un patrimoine distincts, ainsi qu’une autonomie dans la gestion de leurs activités», a expliqué le ministre de l’Economie Carlos Cuerpo lors d’une conférence de presse.
Cette mesure vise à garantir le maintien d’un niveau de financement élevé pour les entreprises, mais aussi pour les consommateurs, inquiets de l’impact de cette possible fusion sur l’octroi de crédits. Elle cherche également à éviter des réductions de poste drastiques et les fermetures d’agence, selon le ministère.
Il s’agit d’une décision «équilibrée», basée sur des «critères d’intérêt général», a fait valoir Carlos Cuerpo, en précisant que la période durant laquelle les deux groupes devraient fonctionner de manière séparée pourrait être portée à cinq ans si ces différent critères n’étaient pas satisfaits.
A la bourse de Madrid, le titre de BBVA - dont la cotation a été suspendue durant plusieurs heures mardi en raison de la décision imminente de l’exécutif - a clôturé en hausse de près de 2,30%. Celui de Sabadell, lui aussi provisoirement suspendu par le gendarme boursier espagnol, a progressé de 0,37% seulement.
«Nouvelle regrettable»
Annoncée le 9 mai 2024, l’offre de BBVA valorise à près de 15 milliards d’euros sa concurrente Sabadell, quatrième banque du pays. Elle doit permettre de créer un géant bancaire européen capable de rivaliser avec les mastodontes du secteur, comme Santander, BNP Paribas ou HSBC.
Cette OPA a suscité une levée de boucliers en Catalogne, région d’origine de Sabadell, attachée au maintien d’une banque catalane indépendante, mais aussi parmi les syndicats, les PME et les consommateurs, qui craignent une réduction du nombre d’agences et d’importantes suppressions de postes.
Le feu vert annoncé par l’exécutif est une «nouvelle regrettable», malgré les conditions décidées pour encadrer l’opération, a ainsi estimé mardi l’association de consommateurs Facua, qui espérait son «rejet» pur et simple.
Le gouvernement, qui avait lancé début mai une consultation publique sur l’opération, ne pouvait en réalité pas bloquer l’opération. Il pouvait en revanche renforcer les mesures correctives à un niveau élevé, jusqu’à pousser BBVA - deuxième banque espagnole en termes de capitalisation - à jeter l’éponge.
Contactée par l’AFP, l’entreprise s’est refusée à tout commentaire mardi, assurant que les conditions fixées par le gouvernement étaient en cours d’évaluation. Mais le président de BBVA Carlos Torres a prévenu lundi qu’il pourrait retirer son offre si ces dernières s’avéraient trop strictes.
«Pas le moment idéal»
Les conditions fixées par l’exécutif s’ajoutent à celles déjà imposées fin avril par la CNMC, gendarme de la concurrence espagnol. Elles doivent désormais être examinées par la direction de BBVA, qui devra décider à l’issue de cette procédure si elle lance formellement ou non son OPA - ce qui pourrait être fait mi-juillet.
Frontalement opposée à l’opération, la direction de Sabadell a multiplié depuis un an les initiatives pour convaincre ses actionnaires de rejeter l’offre de sa concurrente, assurant pouvoir créer plus de richesse hors du giron de ses concurrents.
La banque catalane a ainsi triplé la rémunération versée à ses actionnaires, qui devrait atteindre 3,3 milliards d’euros en 2024-2025 contre 846 millions les deux années précédentes, et a réimplanté son siège en Catalogne, huit ans après avoir quitté la région en pleine tentative de sécession indépendantiste.
Elle a par ailleurs annoncé le 17 juin avoir reçu des marques d’intérêt pour sa filiale britannique TSB. Cette démarche, destinée selon les analystes à contrer l’offre de BBVA en modifiant les conditions de l’opération, a été critiquée lundi par Carlos Torres, qui a jugé que le moment n’était pas «idéal» pour lancer une telle opération.
Fondée en 1881 près de Barcelone, Sabadell est détenue par une multitude d’investisseurs, dont des grands fonds d’investissement. Aucun d’entre eux ne possède toutefois plus de 7% du groupe, ce qui rend l’issue de l’OPA très imprévisible.