Hiérarchiser les événements: I comme Iran
Evidemment, ce qui s’est passé en Iran a fait passer au second plan toutes les autres nouvelles censées faire bouger les marchés. Est-ce justifié? Cela dépendra de l’évolution du conflit qui peut se transformer en embrasement général au Moyen-Orient, sans compter le niveau d’implication des Etats-Unis. Sans vouloir minimiser l’événement majeur de la fin de semaine passée, il va falloir relativiser son importance, d’autant plus qu’il s’agit d’une chronique obligataire censée analyser l’évolution des taux d’intérêt et non d’une thèse de géopolitique. Notre discipline va être mise à rude épreuve car il va falloir faire attention à la désinformation et aux raccourcis hasardeux. Par exemple, les Iraniens n’ont pas bloqué Ormuz ce week-end et il serait surprenant (mais pas impossible) qu’ils le fassent car cela signifierait qu’ils ont décidé de tirer deux balles, la première dans leur propre pied et la seconde dans la tête de leurs amis Chinois. Ne cédons donc pas à la panique entretenue par les réseaux sociaux et les chaines d’info généralistes.
Hiérarchiser les événements: I comme Inflation
Passons donc à un autre I, comme Inflation. La Fed se réunit demain et selon toute vraisemblance nous aurons droit à un statuquo sur les taux. Pourtant, les Core CPI et Core PPI publiés la semaine dernière ont été légèrement plus faibles qu’attendu et cela reste une bonne nouvelle dans le cadre de la lutte contre l’inflation. Mais il y a un mais: les premiers effets des fameux «tariffs» vont se révéler seulement à partir de cet été et nul doute que Jerome Powell et ses collègues ne vont pas accorder trop d’importance à ces statistiques rassurantes. La BCE a baissé ses taux et même si elle envisage désormais une pause, elle va sans doute devoir poursuivre sa politique accommodante.
Le niveau du taux 10 ans américain ne signale pas plus de deux baisses de taux de la Fed donc pas de récession imminente.
Cela va-t-il influencer les membres du FOMC demain? Absolument pas puisque les situations économiques et les dynamiques des cycles ne sont pas identiques. Au passage, nous noterons que les marchés obligataires sont plutôt «dovish Fed» en ce moment puisque le spread de taux directeurs s’élève à 237 points de base (2% contre 4,375%) alors que le spread Bund-10y Note s’affiche à seulement 189bp (2,54% contre 4,43%). Cela signifie en d’autres termes que le niveau du taux 10 ans américain ne signale pas plus de deux baisses de taux de la Fed donc pas de récession imminente. Si cela était le cas, le 10 ans se situerait au minimum dans une fourchette 3%-3,5% et la courbe serait déjà inversée depuis un bon moment! Par conséquent, nous nous attendons à un «statu quo dovish» du FOMC demain qui n’engage à rien mais qui laisse la porte ouverte à un petit geste accommodant à la rentrée si la macro donne toujours quelques signes de faiblesse et que l’inflation ne repart pas (trop) dans le mauvais sens.
Hiérarchiser les événements: A comme Adjudication
Hiérarchiser les événements n’est pas une science exacte. Chacun peut élaborer sa propre hiérarchie puis en tirer les conséquences sur sa gestion de portefeuille (à la fois stratégique et tactique). Si les taux longs remontent depuis vendredi après-midi, le 10 ans a tout de même failli descendre jusqu’à 4,30% en venant de 4,50% en début de semaine. Les Core CPI et PPI ont bien joué leur rôle dans ce rally éphémère mais un événement passé relativement inaperçu a véritablement déclenché ce min-bull market obligataire. Cet événement se situe au sommet de notre propre hiérarchie parce que sans lui, le taux américain à 10 ans serait peut-être aujourd’hui remonté à 4,75% voire plus haut.
Jeudi, une adjudication de 30 ans Treasury a bénéficié contre toute attente d’une demande supérieure aux estimations. Il s’agissait d’une tranche supplémentaire de 22 milliards de dollars adjugée à un taux inattendu de 4,844%, plus bas que ce qui était craint. Cela signifie qu’il y a encore de l’appétit pour le long bond, contrairement à ce que le pessimisme ambiant laissait présager. Ce taux de 4,844% était de plus symboliquement inférieur au niveau de marché du 30 ans avant la perte du Aaa chez Moody’s. Cela tranche avec l’immense déception provoquée par l’adjudication de 20 ans en mai (qui avait fait grimper le taux 30 ans à 5,15%) et le franc succès de cette nouvelle émission provoque un réel sentiment de soulagement.
Nous serions tentés de rajouter «ce qui est pris est pris» car ne nous leurrons pas, des adjudications, il y en aura d’autres (et beaucoup d’autres) et il serait surprenant qu’elles se terminent toutes de la même manière. Il ne faut pas rêver: malgré cette nouvelle très rassurante à court terme, les taux longs US n’ont plus tellement la cote et devant les sommes gigantesques des futures nouvelles émissions, nous ne voyons qu’un acheteur en dernier ressort, la Fed. Nous surveillerons donc demain tout propos de Jerome Powell sur le Quantitative Tightening (QT) et la taille du bilan de la banque centrale. Car tout cela finira tôt ou tard par le rétablissement du Quantitative Easing (QE), avec ou sans Jerome Powell!